Gardiens de prison à l’heure du confinement: «on s’est sentis abandonnés, très oubliés»

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Entre manque de personnel et de moyens de protection, libération de détenus et mutineries, en cette période de crise sanitaire, la vie des gardiens de prison est encore plus complexe qu’à l’accoutumée. Ils doivent aussi gérer leurs angoisses et la peur de l’après-confinement. Sputnik s’est intéressé à la situation des centres pénitentiaires.

C’est en cette période de crise sanitaire liée à l’épidémie de coronavirus que l’on constate quels sont les métiers essentiels, ceux que l’on ne peut renvoyer se confiner chez eux. C’est notamment le cas des personnels de prison, sur lequel Sputnik s’est penché.

Quelles directives pour surveiller au mieux les détenus, alors que les mutineries dues à la fin des visites -mesures prophylactiques obligent- se sont multipliées? Comment gérer les angoisses des uns et des autres? Pour y répondre, Sputnik a interrogé Lucie Lecuyer, une surveillante et secrétaire locale Force ouvrière au sein de la maison d’arrêt du Val d’Oise, ainsi que Léa, une psychologue au sein de l’unité sanitaire du centre pénitentiaire du Sud francilien - Réau.

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Les deux femmes continuent d’aller travailler chaque jour, bien que la surveillante assure être angoissée à l’idée de se rendre le terrain, entre le risque de contaminer sa famille et l’ambiance pesante qui se dégrade un peu plus chaque jour au sein de la prison.

«On n’a pas de droit de retrait. Les effectifs ont baissé alors que l’on n’a pas atteint le pic, c’est ce qui fait peur. Il y a un surveillant pour au moins 80 détenus. C’est compliqué de gérer au niveau de la détention. Plus les jours vont passer et pire ça va être.»

Une diminution d’effectifs directement imputable au Covid-19. Si les tests de dépistage étaient obligatoirement passés, ce n’est plus le cas aujourd’hui et «il faut vraiment être dans un état critique» pour y avoir droit, lance la surveillante. S’ajoute à cela le manque de protections sanitaires: pas de masques, pas de gel et des gants au compte-gouttes, que les surveillants avaient interdiction de mettre «pour ne pas faire paniquer les détenus», ajoute Lucie, qui avoue avoir ressenti un sentiment d’abandon de la part de la hiérarchie.

«Jusqu’à samedi [28 mars, ndlr], on s’est sentis abandonnés, très oubliés, alors qu’on est la 3e force armée de France. Mais à force de se plaindre, on les [les masques, ndlr] a eus parce qu’on avait peur, sauf que la quantité est insuffisante. On espère en recevoir, parce que là, on est mercredi et on est à court de masques sur tout l’établissement.»

Des surveillants dans l’angoisse de se rendre au travail et des détenus qui craignent pour leur santé. Souvent, ces derniers demandent aux surveillants de ne pas les approcher: «vous allez nous contaminer, on va être malades et on va mourir à cause de vous», lancent-ils aux surveillants de la maison d’arrêt du Val d’Oise.

Une peur que confirme Léa. Elle n’a plus aucun contact avec les prisonniers qu’elle suit d’habitude, seuls les traitements sont encore distribués et les urgences prises en charge.

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«Les personnes détenues craignent même de se rendre dans le service d’unité sanitaire, parce qu’ils ont peur d’attraper quelque chose. Donc, si avant ils s’y rendaient pour un mal de dents, de dos ou autre, là ils s’abstiennent, parce qu’ils n’ont aucune envie de rendre dans un service hospitalier», déclare Léa à Sputnik.

Des mutineries en hausse

La crainte du virus, la fermeture des parloirs, l’absence de contacts avec l’extérieur, donc plus d’accès aux drogues pour les consommateurs réguliers et des activités restreintes pour tous exacerbent les violences, qui font parfois place à des mutineries, comme celles que l’on a pu voir en Italie, qui ont abouti à des dizaines évasions.

Des agressions et des mutineries qui ont déjà eu lieu dans certaines prisons de France. Lucie Lecuyer admet avoir dû faire appel aux équipes régionales d’intervention de sécurité (ERIS) pour des cas de tensions «deux jours de suite», car ses équipes ne sont pas formées pour ce genre d’intervention.

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Elle avoue que la direction de son établissement craint une situation similaire à l’Italie, sauf «qu’ils minimisent et cachent les choses», regrette la surveillante, qui craint de voir une mutinerie semblable à celle de la prison d’Uzerche, le 22 mars, au sein de son établissement.

«À Uzerche, ils ont brûlé des ailes, cassé du matériel et des portes, c’était une mutinerie. La violence est là. Nous, on est obligés de se retirer, parce que ce sont nos vies qui sont en jeu. Ils sont déchaînés à brûler, casser, crier leur colère. On n’est pas formés, donc on se retire et on laisse faire les ERIS.»

«On se moque de nous»

Officiellement afin d’éviter d’enrayer la propagation du virus, sans doute pour éviter la multiplication de ce genre de scène, Nicole Belloubet a annoncé la libération de plusieurs milliers de détenus fin mars. Seuls les prisonniers qui n’ont pas été condamnés pour des crimes, des délits, des actes de terrorisme ou des violences conjugales, ainsi que les détenus pour lesquels il reste moins de deux mois à purger se sont vus libérés et assignés à domicile. Des prisonniers qui pourraient théoriquement se retrouver réincarcéré en cas de non-respect du confinement. Pour Lucie Lecuyer, ça a été une très bonne nouvelle, permettant «de souffler un peu», au vu de la surpopulation de son établissement –800 détenus pour une capacité initiale de 586 places -, mais elle avoue avoir des craintes pour l’avenir.

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«Pour le moment, les prisons se vident et c’est très bien pour nous. On a peur de tous les cas de tribunaux reportés, parce que les tribunaux aussi sont confinés et ne jugent plus que les cas les plus graves. Tous ceux qui n’ont pas été jugés vont finalement l’être et on a peur que ça re-remplisse nos prisons.»

À l’heure du confinement, la situation au sein des prisons ne va pas en s’améliorant. Au début de l’année 2019, les surveillants des prisons de l’Hexagone se sont rassemblés pour demander plus de moyens et de considération, en vain. Et la pandémie n’a rien changé, selon Lucie:

«Avec la crise sanitaire, on est encore moins entendus. Malgré nos manifestations, on n’a pas été assez entendus. On se moque de nous, on nous promet des choses et on ne les voit jamais arriver. L’excuse du budget est trop facile. On ne peut rien faire, on n’a pas de droit de retrait, on est obligés de travailler et travailler avec un tel risque, je trouve ça inimaginable.»
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