Moins de lits de réanimation occupés, se félicite Jérôme Salomon? «Les gens meurent ailleurs!» répond un médecin

© AP Photo / Christophe EnaDes médecins français
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Le directeur général de la Santé s’est réjoui au soir du mercredi 15 avril d’une baisse des hospitalisations et de l’occupation des lits de réanimation. Le docteur Jérôme Marty, président de l’UFML, un syndicat de médecins, dénonce auprès de Sputnik le manque de visibilité des autorités sur l’évolution de l’épidémie de Covid-19 dans le pays.
«Le soir, le travail de Jérôme Salomon, c’est du grand guignol! C’est de la rigolade! Pendant ¾ d’heure, on n’a le droit qu’à des chiffres, des chiffres, des chiffres… qui ne veulent rien dire!»

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Le point presse quotidien du directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, le 15 avril, n’a pas été du goût du docteur Jérôme Marty, médecin généraliste et président de l’Union Française pour une Médecine Libre (UFML). Lors de cette intervention télévisée, le haut fonctionnaire s’est notamment «réjoui» qu’une «légère baisse des besoins en réanimation se confirme», soulignant le «solde négatif» des admissions en réanimation par rapport aux sorties «nombreuses».

Si Jérôme Marty admet qu’il s’agit du premier jour où l’on observe un recul des hospitalisations totales dues au Covid-19 dans le pays, il appelle à la plus grande prudence et fustige le fait que l’approche de cette pandémie en France ne se fasse qu’au travers du spectre de la réanimation:

«les gens meurent ailleurs!» assène ce responsable syndical au micro de Sputnik.

Il faut dire que le nombre de décès quotidiens en France a battu ce même 15 avril des records, avec l’annonce de 1.438 morts supplémentaires liés au coronavirus. Une hausse «due à un rattrapage de saisie des données, à des mises à jour et surtout à l’issue de ce long week-end de trois jours», relativisait le haut fonctionnaire, insistant sur le seul décompte des morts à l’hôpital et en Ehpad depuis le 1er mars. Pour le docteur Marty, tout cela donne «l’impression d’une gestion au doigt mouillé.»

«La première chose: on ne nous dit pas si ce sont des sorties de gens guéris ou si ce sont des sorties de gens malheureusement décédés.»

De fait, si Jérôme Salomon induit que cette libération de lits serait un gage de l’amélioration de la situation, notons que pour les malades du Covid-19, le taux de mortalité en réanimation est de 50%, comme le rappelait Jean-Yves Le Goff, chirurgien digestif laparoscopique, dans une interview accordée à Atlantico le 12 avril.

«La deuxième, reprend Jérôme Marty, c’est que l’immense majorité des gens hospitalisés ne le sont pas en réanimation. L’immense majorité des décès à l’hôpital ne sont pas des décès en réanimation, mais en soins continus», dénonce-t-il.

Pour illustrer son argument, le docteur Marty évoque les données de l’AP-HP pour le 1er avril, qui donnaient 174 décès, dont 29 en réanimation. Autre point, si aujourd’hui les Ehpad sont pris en compte, la comptabilisation des décès survenus «en ville» manque toujours à l’appel.«On ne connaît absolument pas les statistiques des décès à domicile», regrette ainsi le docteur Marty.

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La mortalité due au Covid-19 en dehors de l’hôpital ou de maisons médicalisées, un point sur lequel l’INSEE tente d’apporter un éclairage en publiant durant l’épidémie le nombre de décès par jour et par département. Les chiffres de l’Institut national de statistiques révèlent qu’«au niveau national, huit départements ont un nombre de décès en mars 2020 supérieur de 25% à 40% par rapport à 2019», bien qu’il soit «cependant pas possible d’imputer systématiquement cet excès de mortalité à l’épidémie du Covid-19». Durant son intervention télévisée du 15 avril, Jérôme Salomon concédera sur ce point qu’il y a eu «un niveau d’excès exceptionnel», de 57%, de la mortalité observée la semaine du 30 mars au 5 avril à «l’échelon national.»

«On a une vision extrêmement parcellaire de cette maladie, tout cela parce que– comme d’habitude –on a l’impression que pour les administratifs et les gens en charge du suivi de cette maladie, la vie en dehors de l’hôpital n’existe pas. Il faut passer les murs de l’hôpital pour être comptabilisé, ce qui nous donne une vision complètement minorée et à côté de la plaque», fustige Jérôme Marty, «puisque jusqu’à preuve du contraire, la très large majorité des patients sont pris en charge par la médecine de ville.»

Le diagnostic est clair pour ce médecin: on a besoin d’études, notamment si l’on veut lever les mesures de confinement. «On n’est pas allé regarder ce qui se passait à l’extérieur des clusters», relève-t-il, soulignant qu’une grande partie des gens aujourd’hui hospitalisés ou qui décèdent à l’hôpital actuellement «sont des gens qui ont été contaminés pendant le confinement.» Le docteur Marty ne voit qu’un nombre limité de possibilités de contracter le virus: au sein de la cellule familiale –où des malades sont renvoyés sans moyens de protection pour eux et leurs proches, faute de masques–, dans les transports en commun, ainsi que certaines entreprises, «qui structurellement ne peuvent pas respecter les gestes barrières».

«Vous avez aujourd’hui quantité d’entreprises qui ont repris, puisque dans la région parisienne, le Grand Est, comme le reste de la France, vous avez un déconfinement officieux», rappelle-t-il.

Autres vecteurs de contagion à ses yeux: les individus qui ne respectent pas «volontairement» les mesures barrières «les fameux joggeurs du canal de l’Ourcq», notamment, ainsi que l’hôpital, «où quantité de soignants son contaminés», soulignant qu’eux aussi ont des familles qui se retrouvent exposées. Le Dr Marty rappelle à cet effet le «taux de reproduction du virus», qui évalue la contagiosité d’un virus, du SARS-Cov-2: dénommé «R0», il se situe à 2,7 personnes contaminées en moyenne par malade. Un chiffre considérable. À titre de comparaison, le R0 de la grippe saisonnière se situe à environ 1,3. Tant que ce taux sera supérieur à 1, l’épidémie aura de beaux jours devant elle.

«On est dans un magasin de porcelaine la lumière éteinte»

Pire encore que ces absences d’études menées sur le terrain afin d’identifier les comportements vecteurs de contamination, alors qu’elles pourraient pourtant être réalisées simplement en posant quelques questions aux malades, le médecin regrette l’absence d’étude portant sur le personnel médical lui-même. Des soignants en partie contaminés, selon lui, en tout début d’épidémie, lorsque l’intégralité des patients «les plus comme les moins symptomatiques» étaient alors dirigés vers les hôpitaux qui n’étaient «pas prêts à les accueillir». Un chiffre qu’il est aujourd’hui impossible de connaître en France.

«On a lancé une pétition [pour connaître le nombre de soignants contaminés, ndlr]. Quand on demande de nous donner le chiffre des soignants malades, on ne nous le donne pas en expliquant qu’on ne veut pas avoir une comptabilité morbide. Cela n’a rien à voir, on en a besoin sur le plan épidémiologique, c’est quand même bien le minimum!»

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Le docteur Marty brandit notamment le cas des Ehpad, où lorsque le personnel est finalement testé, de nombreux cas sont révélés: «on n’allume pas la lumière! Nous, on voudrait moins de chiffres et plus de lumière!»

Toujours au rang du manque de visibilité et du déconfinement, la question de la réouverture des classes le 11 mai. «Vous avez entendu parler d’étude sur les enfants, vous? Moi non.» Le médecin rappelle que lors de la fermeture des écoles, il était notamment avancé que les enfants ne pouvaient respecter les mesures barrières «Entre-temps, les enfants n’ont pas changé», fait-il remarquer. Dans de telles conditions, un déconfinement progressif à partir le 11 mai lui paraît hypothétique.

«On est dans un magasin de porcelaine la lumière éteinte et on va s’étonner qu’il y ait de la casse! Il y a un moment, il faut allumer la lumière…»

«Le déconfinement partiel, cela ne marche dans aucun pays», s’inquiète Jérôme Marty, pour qui il faut un minimum de moyen pour assurer la protection sanitaire des individus. Or, «on n’a ni masques, ni tests, ni gel hydroalcoolique», lâche le président de l’UFML, alors même que ces problématiques sont connues depuis des semaines. Une gestion qui reflète selon lui l’«échec complet d’une administration ultra-centralisée». Administration à l’encontre de laquelle le médecin ne mâche pas ses mots:

«C’est comme une bulle Internet, elle a éclaté, il n’y a rien, en fait. C’est vide. C’est assez frappant et inquiétant, car en réalité, le roi est nu. Heureusement qu’on a un pays dynamique, avec des entreprises, des collectivités locales, des conseils régionaux, des mairies, qui ont pris le relais d’un État défaillant.»
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