Covid-19: «Administration sclérosée», décrets «imprécis», «crise du pouvoir», le réquisitoire d’un avocat de médecins

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Retards, pénuries, décrets en série: depuis le début de l’épidémie Covid-19, l’exécutif a démultiplié le nombre d’acteurs intervenant dans la gestion de la crise sanitaire et semble laisser faire les Administrations, sans toutefois leur indiquer de cap. Une stratégie que dénonce auprès de Sputnik l’avocat Fabrice Di Vizio.
«Il n’y a pas de pilote dans l’avion!»

Quelques jours après l’annonce par le Président de la République d’un déconfinement progressif à partir du 11 mai, Fabrice Di Vizio, avocat spécialiste dans la défense des professionnels de santé, ne décolère pas au micro de Sputnik. Il souligne notamment l’absence apparente de plan de déconfinement concerté entre le chef de l’État et les différents acteurs de la crise dans le pays.

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«Nous avons deux semaines devant nous pour travailler à l’élaboration de ce retour», déclarait ainsi sur le plateau de France2– au lendemain de l’allocution présidentielle– le ministre de l’Éducation nationale concernant la réouverture partielle des classes. En somme, si le 13 avril, Emmanuel Macron a fixé une date de déconfinement, rien n’est finalisé concernant sa mise en œuvre.

Autre illustration de ce que l’avocat perçoit comme une incapacité de l’exécutif français à indiquer un cap, alors même qu’il s’agit de sa mission première: la réplique d’Olivier Véran à Philippe Douste-Blazy lorsque ce dernier l’appelle à mettre sans plus attendre l’hydroxychloroquine en circulation.

Dans une pétition accompagnée d’une vidéo mise en ligne le 3 avril, l’ancien ministre de la Santé, lui-même médecin, appelle le gouvernement à «ne plus perdre de temps» pour autoriser la prescription du médicament phare du protocole du professeur Didier Raoult par tous les médecins, à l’hôpital comme en ville.

Dès le lendemain, Olivier Véran intervient devant les médias, «furieux» de la sortie de son prédécesseur, pour ce que Voici qualifie de «recadrage». Le ministre déclare alors que «ce n’est pas une décision que l’on prend seul». Un terrible aveu de faiblesse aux yeux de Fabrice Di Vizio, qui prouverait qu’Olivier Véran «ne gère rien» et «n’a aucun pouvoir»:

«Cela traduit une crise du pouvoir en France, une faiblesse institutionnelle majeure», estime Me Di Vizio. «Le Premier ministre est le grand absent de cette affaire, il ne dirige pas l’action du gouvernement», estime-t-il.

Durant ce «recadrage» devant les caméras, le ministre de la Santé reviendra également sur la polémique suscitée par la pénurie de masques, qui fait déjà rage depuis plusieurs semaines. Un point qui tient particulièrement à cœur à Fabrice Di Vizio qui, représentant le collectif de soignants «C19». Après avoir engagé des poursuites à l’encontre d’Agnès Buzyn et d’Édouard Philippe devant la Cour de Justice de la République (CJR) pour leurs manquements dans la gestion de la crise sanitaire, C19 a demandé des comptes à Olivier Véran précisément sur cette épineuse question des achats de masques par l’État.

Il faut dire que la première commande de 250 millions de masques à la Chine n’a été annoncée que le 21 mars, un mois jour pour jour après le premier décès du Covid-19 constaté dans un hôpital français. Face aux caméras, Olivier Véran avance que les usines de masques en Chine étaient fermées en janvier à cause de l’épidémie qui y sévissait et que malgré tout, la France étant «en lien» avec ces dernières avant même qu’elles ne rouvrent leurs portes. Pour l’avocat, les raisons du retard pourraient être toutes autres… notamment budgétaires.

«L’État veut les acheter à 80 centimes, sauf que ce n’est pas le prix du marché. Vous les trouvez à ce prix-là, mais il faut les chercher longtemps.»

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L’avocat avance en effet une fourchette de prix entre 1,8 et 2 euros le masque FFP2, celui qui répond à la norme de protection nécessaire pour les soignants et autres personnes confrontées à de possibles porteurs du virus. Il voit ainsi un lien entre ces masques achetés moins cher que les prix du marché et les défauts constatés sur certains arrivages en provenance de Chine. Une autre raison qu’avance Di Vizio est qu’en temps de crise, il est nécessaire d’envoyer directement en Chine un «émissaire» afin de s’assurer de la bonne prise et conduite des commandes. «Les Américains et les Allemands l’ont fait, nous on n’a personne», fustige-t-il. Notons que début avril, on apprenait par L’Express que les Américains rachetaient «trois fois le prix» aux Chinois les masques commandés par la France…

«On va à une catastrophe», conclut l’avocat, qui rappelle qu’en France, en semaine 15, aucun masque FFP2 n’a pu être envoyé aux pharmacies à destination des professionnels de santé, faute de stock. Autre point qui l’agace particulièrement concernant les masques, la rhétorique déployée sur les plateaux télévisés depuis le discours d’Emmanuel Macron concernant les mérites des masques dits «grand public», ces protections en tissu qui devraient être distribuées à la population d’ici le début de ce déconfinement annoncé. «Ça n’existe pas, les masques grand public», assène-t-il, rappelant les nombreuses études qui statuent sur leur manque d’efficacité face à d’autres virus, tels que celui de la grippe, pourtant bien moins contagieux que le SARS-CoV-2.

Indiquant recevoir «chaque semaine» des demandes d’industriels étrangers ne parvenant pas à vendre des masques sur le sol français, Di Vizio souligne que l’importation de masques «est permise», la réquisition ne restant «possible» qu’au-delà de 5 millions de masques. «Il faudrait permettre aux grossistes-répartiteurs de vendre les masques à la population», estime-t-il. Cependant, ce qui pose problème est l’interprétation que le gouvernement et le Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens (CNOP) font de ces décrets particulièrement «imprécis». S’ajoute à cela un paramètre de dimension purement politique qui vient aggraver la crise.

«Le problème, c’est qu’ici, ce n’est pas concevable de vendre des choses en temps de crise. Le jour où vous vendez des masques, vous avez la France insoumise, vous avez le Parti communiste, vous avez le Parti socialiste qui vous tombent dessus pour vous dire que c’est l’exploitation du malheur du monde. Et donc, l’État cherche absolument à vouloir centraliser ça et à garder la main pour pouvoir distribuer les masques à la population.»

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Et ceux qui seraient les plus à même d’assurer cette tâche sont les pharmaciens. Récemment encore, l’un d’entre eux, Bruno Fellous, se plaignait auprès de Jean-Marc Morandini qu’un décret lui interdise de vendre et même d’acheter des masques.

Face à «l’absence de réponse de l’État» à leur demande de «règles claires» sur la distribution des masques, Federgy (chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacie) et l’UDGPO (Union des groupements de Pharmaciens d’officine) avaient ainsi appelé le 15 avril, dans un communiqué commun, leurs 11.000 officines affiliées (soit la moitié des pharmacies en France) à débuter le jour même la «commercialisation» des masques auprès du public. Après le passage en force, la machine arrière? Dès le lendemain, un autre communiqué paraissait. Ce dernier faisait part d’un échange avec le CNOP et n’appelle plus qu’à s'approvisionner en masques en vue de commencer à les «distribuer la semaine prochaine, dans le respect de la législation actuelle».

Di Vizio évoque également le cas des visières de protection, offertes par des industriels aux personnels de certains établissements:

«L’hôpital a dit à son personnel qu’il ne pouvait pas s’approvisionner par des filières personnelles, qu’il fallait passer par une filière de l’ARS, affirme l’avocat. Sauf que le problème, c’est qu’il n’y a pas de filière de l’ARS! Donc le personnel n’a plus le droit d’utiliser les visières données par l’entreprise.»

Chercherait-on trop en France à trop centraliser la gestion de la crise? Le parallèle est souvent dressé avec l’Allemagne pour expliquer en partie sa bonne gestion de la crise. «On vous parle de centralisation, mais c’est à moitié vrai», tranche Fabrice Di Vizio, qui, au passage, vante la compétence de certains gouverneurs aux États-Unis, de länder en Allemagne, lesquels «règlent le problème», et de certaines régions en Italie «gérées par des gens extrêmement compétents».

«On vous parle de centralisation, mais c’est à moitié vrai»

En France, si l’on «n’a jamais eu autant d’acteurs que dans cette crise», on en revient au manque criant de coordination: «on a créé des échelons intermédiaires où chacun ne discute pas avec l’autre», regrette le représentant de professionnels de la santé.

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En guise d’exemple, l’avocat revient sur l’apparition dans le paysage médiatique de Jean Castex, haut fonctionnaire et dont le nom a été évoqué pour la première fois dans cette crise par Édouard Philippe le 2 avril. Dépeint comme «redoutable d’efficacité» par le chef du gouvernement, celui-ci serait en charge de la gestion du confinement.

«Je croyais qu’il y avait un ministre, un directeur général de la Santé, un conseil scientifique, un Haut comité de santé publique, une cellule de crise, Santé publique France, un deuxième conseil que Macron a rajouté. Donc tout ça ne suffit pas, il faut qu’on ait en plus un haut fonctionnaire qui vienne faire la stratégie de déconfinement», fulmine Me Di Vizio.

L’avocat dresse un parallèle entre le manque de réactivité d’une administration «sclérosée» et le monde de l’entreprise, dont la capacité d’adaptation dans l’urgence est l’essence même, pour dresser un bilan sévère. À ses yeux, si l’Administration française s’avère être plus un poids mort qu’une aide pour tous ceux qui luttent au quotidien contre la pandémie, c’est avant tout parce que personne ne la canalise, ne lui indique de cap. «On n’est pas capable d’avoir une urgence de réaction», regrette l’avocat, qui rappelle que c’est au gouvernement de jouer ce rôle de pilote.

«Le gouvernement est comme un moustique aveuglé par la lumière. Dans cette crise, je crois que l’on a besoin de deux choses: d’une projection et d’une réaction –de penser les choses et de les mettre en œuvre urgemment– les deux choses pour lesquelles l’Administration n’est pas conçue.»
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