«Il s’agit d’un racisme d’État»: le CRAN remet en cause le «modèle universaliste» français

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De nombreuses figures politiques, médiatiques et intellectuelles françaises récusent le parallèle entre le racisme aux États-Unis et en France, et ce, au nom de l’universalisme français. Au micro de Sputnik, Louis-Georges Tin, président d’honneur du CRAN, explique pourquoi l’universalisme serait l’arbre qui cache la forêt du racisme en France.

Partout dans le monde, la mort de George Floyd a propulsé sur le devant de la scène le débat sur le racisme, notamment dans les pays occidentaux. On assiste pourtant en France à une levée de boucliers d’une partie de la classe politique, médiatique et intellectuelle, qui refuse de considérer qu’il existe un «racisme systémique» et un «privilège blanc» en France. Et ce, au nom de l’universalisme.

​C’est le cas chez des acteurs de la vie politique et culturelle pourtant politiquement aux antipodes. Ainsi, au nom de l’universalisme, des personnalités comme Caroline Fourest ou Nicolas Dupont-Aignan, qui incarnent des courants de pensée que tout oppose, estiment que la notion de «privilège blanc», importée des campus américains, est un piège communautariste qui n’a pas sa place en France.

​Corinne Narassiguin, secrétaire nationale à la coordination du PS s’est d’ailleurs fendue d’une tribune dans Le Monde, dans laquelle elle réfute avec vigueur l’importation de «l’expression “privilège blanc.”» Pour elle, il s’agit de «vouloir plaquer l’histoire des États-Unis sur l’histoire de France, sans respecter ni l’une ni l’autre.»

Pour Louis-Georges Tin, président d’honneur du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) et fondateur de la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie, il s’agit d’une façon pour ces élites de faire l’autruche face à un problème bien réel. Au micro de Sputnik France, il explique pourquoi.

Sputnik France: Diriez-vous que certains acteurs politiques, médiatiques, intellectuels, se cachent derrière l’universalisme à la française pour ne pas affronter le problème du racisme en France?

Louis-Georges Tin: «Absolument. Je suis universaliste, mais l’universalisme dont parlent certains ressemble plutôt à une forme d’uniformalisme. C’est-à-dire que ce sont des élites plutôt blanches, bourgeoises, catholiques, hétérosexuelles qui disent en gros “l’universalisme c’est moi. Vous devez vous assimiler à mon modèle et si vous n’êtes pas comme moi, vous êtes communautariste.” Voilà le discours social que l’on entend dans ce pays depuis 30 ans. C’est presque drôle selon moi, et si la situation n’était pas si grave, nous en ririons même davantage.»

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Sputnik France: Peut-on aujourd’hui en France parler de racisme systémique ou systématique?

Louis-Georges Tin: «Il faut parler de racisme systémique et non systématique. On ne dit pas que tous les policiers sont racistes, donc ce n’est pas systématique. C’est systémique au sens où il y a des politiques qui les poussent à la chasse aux immigrés, en particulier aux immigrés noirs. Et ceux qui dénoncent le racisme de l’institution sont mis à l’écart et ceux qui sont racistes sont protégés. On le voit bien dans la mascarade qu’est l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale). C’est en cela que ce racisme fait système.

C’est d’ailleurs ce qu’a dit la Cour de cassation en rendant un jugement très important il y a quelques années, en disant qu’il y a eu faute lourde de l’État dans l’affaire des contrôles au faciès. Ce ne sont pas seulement les policiers qui sont mis en cause, mais également la hiérarchie, car la Cour de cassation a condamné les policiers et l’État lui-même pour faute lourde. La Cour a compris qu’il y avait là un système dans lequel l’État était impliqué, il s’agit donc d’un racisme d’État, puisque le délit de faciès, c’est du racisme. Ce racisme est donc mis en place et protégé par l’État. Ça ne veut pas dire que tous les fonctionnaires, dont je fais partie, sont racistes. Par contre, ça veut dire qu’il y a un système qui protège ceux qui sont racistes.

L’article 40 du Code de procédure pénal fait obligation à tout fonctionnaire de dénoncer un délit dont il ou elle est victime ou témoin. Certains ne le font pas, ils sont donc également coupables.»

Sputnik France: Quel est selon vous le modèle le plus à même de combattre le racisme? L’universalisme français ou le modèle plus communautariste à l’américaine, qui reconnaît les différences ethniques?  

Louis-Georges Tin: «Cette histoire de modèle universaliste en France est une vaste mascarade, il n’y a pas de modèle universaliste en France. L’universalisme, c’est une hyperbole. Tous les gens qui disent qu’ils sont universalistes se prennent pour le nombril du monde. Personne ne représente l’univers à lui tout seul. Un universalisme sans les femmes, sans les noirs, sans les étrangers, sans les personnes en situation de handicap, sans les pauvres, ce n’est pas un universalisme. Nous aimons penser que nous sommes les meilleurs en France, mais il faut que nous arrêtions de croire que nous sommes meilleurs que les autres.»

Sputnik France: Et concernant le modèle américain?

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Louis-Georges Tin: «Nous ne pensons pas non plus que les États-Unis sont un modèle pour la France. Ce que nous demandons dans le fond, c’est l’égalité. Celle qui est citée dans notre devise républicaine et dans l’article 1 de notre Constitution. Il n’y a pas besoin de chercher ailleurs des modèles. Simplement, nous ne respectons pas nos valeurs, nous sommes en dessous de nous-mêmes. Nous sommes dans le déni perpétuel et à un moment, il faut se rendre compte qu’il y a un problème en France, et cela ne concerne pas que les noirs. Sur la violence faite aux femmes, c’est pareil, sur la pédophilie également… On dit toujours à ceux qui sont victimes “taisez-vous”, “cachez-vous”, car nous avons besoin de garder notre illusion nationale.»    

Sputnik France: Comment jugez-vous la réponse politique apportée en France aux problématiques soulevées un peu partout dans le monde par la mort de George Floyd?

Louis-Georges Tin: «Nous avons noté un changement dans le discours, mais cela sera-t-il suivi par un changement dans les actes? Bien malin qui peut le dire. Il y a une lecture optimiste, qui consiste à dire que les choses vont changer pour le meilleur, mais il y a également une lecture pessimiste, qui consiste à dire que c’est simplement un discours hypocrite et que monsieur Macron change tous les jours d’avis.

Mon sentiment personnel est que je ne parierais pas sur le fait que la politique de monsieur Macron va s’améliorer du jour au lendemain. Je fais plus confiance aux mobilisations populaires qu’aux politiques, surtout dans le cas de quelqu’un qui a déjà menti plusieurs fois, sur plusieurs sujets.»

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