Crise du Covid: «leur stratégie de déni ne fait que renforcer la défiance des Français à l’égard des politiques»

© AP Photo / Francois MoriSibeth Ndiaye
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L’heure des comptes? Plusieurs ministres doivent répondre de leur action pendant la crise sanitaire devant la commission d’enquête du Sénat. Si Agnès Buzyn et Sibeth Ndiaye semblent vouloir se défausser de leurs responsabilités, Florence Parly, ministre des Armées, est quant à elle accusée de «mensonge d’État» par plusieurs élus.

Plus de sept mois après le confinement imposé aux Français, les responsables politiques doivent désormais répondre de leurs décisions prises pendant la crise sanitaire. Après l’Assemblée nationale, c’est au tour du Sénat d’organiser une commission d’enquête et de convoquer les ministres. L’occasion de quelques révélations inédites. 

Mardi 22 septembre, Florence Parly, ministre des Armées, reconnaissait ainsi «une inexactitude» prononcée le 4 mars dernier au micro de France 2. Petit rappel des faits: la France n’est alors que très peu touchée par le virus et l’État rapatrie en urgence les Français se trouvant à Wuhan –identifiée comme le foyer du virus– vers la base de Creil, dans l’Oise. Quelques semaines plus tard, ce département –et notamment la commune de Crépy-en-Valois– devenait l’un des premiers clusters connus en France. Contrairement à ce qu’elle avait affirmé alors, Florence Parly a reconnu que les dix-huit militaires qui avaient procédé à cette opération n’avaient «pas été testés» à leur retour sur le sol français:

«C’était un raccourci. Ce qui s’est passé, c’est que les équipages ont été soumis à un protocole sanitaire extrêmement strict, mais qui en effet ne comprenait pas à l’époque de tests.»

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Si la ministre assure ensuite que «la base militaire de Creil n’est pas à l’origine d’un cluster dans l’Oise», les réactions scandalisées de plusieurs élus de l’opposition ne se sont pas fait attendre. Le député LFI Ugo Bernalicis a aussitôt dénoncé un «parjure» de la part de la ministre des Armées, la sénatrice EELV Esther Benbassa a pointé du doigt «un gouvernement qui ment continuellement» dans un tweet, tandis que du côté du RN, l’eurodéputé Gilbert Collard épinglait, sur Twitter également, «un mensonge de plus à l’actif du club des bobards viraux». Wallerand de Saint-Just, le trésorier du RN, va plus loin et évoque sur le même réseau social un «mensonge d’État» dans cette affaire.

«Pays dans le déni», «problème d’acculturation scientifique»: vraiment?

Mercredi 23 septembre, c’était au tour de Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement pendant la crise, et d’Agnès Buzyn, ministre de la Santé jusqu’en février 2020 –soit au tout début de l’épidémie– d’être interrogées par les sénateurs. Morceaux choisis:

«Nous n’avons pas cessé d’agir. Le problème est que nous avons considéré qu’il y avait un risque potentiel à un moment où l’on ne peut pas dire que c’était partagé. On ne m’a jamais demandé d’aller plus loin, plus vite, plus fort. Les experts n’ont cessé de minimiser les risques dans les médias», a soutenu Agnès Buzyn. 

Toujours d’après l’ex-ministre de la Santé, la polémique sur la pénurie des masques serait le résultat d’une décennie de «défauts d’appréciation». Elle qui se dit persuadée «d’avoir eu raison trop tôt» dans un «pays en plein déni» et finit par désigner l’aveuglement de la population française sur la menace de la pandémie: «Notre société n’a pas cru qu’on pouvait mourir en France».

«Mentir pour protéger le Président de la République»

Agnès Buzyn se défausse-t-elle de ses responsabilités? Interrogé par Sputnik, Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire et spécialiste en communication politique, considère que ce genre de propos «contribue à la démonétisation de la parole politique»:

«Il s’agit d’une stratégie de déni, qui fait porter la faute sur l’état de la société. Cela ne fait que renforcer la défiance des Français à l’égard des politiques. […] Par leur communication [les responsables politiques, ndlr] montrent qu’ils ne maîtrisaient pas la situation et qu’ils n’assument pas leurs responsabilités», affirme-t-il au micro de Sputnik

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Sibeth Ndiaye, qui soutenait le 20 mars dernier sur RMC que le port du masque n’était pas utile, s’est quant à elle contentée de rappeler la position de l’OMS fin mars, qui n’établissait «pas de preuve de l’utilité du masque en population générale». Celle qui disait en 2017 «assumer parfaitement de mentir pour protéger le Président de la République» se défend cette fois-ci fermement d’avoir «menti» aux Français sur l’exposition des risques liés au Covid-19:

«Dire la vérité sur ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas en temps de crise est primordial et je crois que c’est ce à quoi nous nous sommes attachés collectivement dans l’exécutif. […] À aucun moment, on ne m’a demandé de mentir sur la situation des masques et à aucun moment donné je ne l’ai fait», a-t-elle assuré devant la commission d’enquête du Sénat

Bien au contraire, celle qui vient de récupérer le «pôle Idées» de LREM, regrette un «défaut d’acculturation scientifique de la population française». Difficile ne pas sourire quand on se rappelle que l’ex-porte-parole du gouvernement confiait «ne pas savoir utiliser un masque» au début de la crise sanitaire… Arnaud Benedetti, qui pointe un «défaut de transparence et d’empathie dans la gestion de cette crise», n’est d’ailleurs pas dupe du retournement de veste opéré par Sibeth Ndiaye:

«Dans cette crise, la communication n’a été qu’une arme visant à dissimuler la non-maîtrise de l’action publique par les gouvernants. Le meilleur exemple étant la controverse sur les masques, le discours des autorités politiques et des autorités sanitaires ayant varié en fonction de la constitution du stock de masques.»

Ce jeudi 24 septembre, c’était Olivier Véran, qui a succédé à Agnès Buzyn au ministère des Solidarités et de la Santé, qui était entendu par les sénateurs. Bernard Jomier, sénateur de Paris et co-rapporteur de cette commission d’enquête, qui appelait dans Le Parisien Olivier Véran à «prononcer les mots que les gens attendent, correspondant à la réalité» plutôt que de «la revisiter avec un langage technocratique», sera-t-il entendu?

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