Dissolution des associations islamistes: pour le CCIF, «l’accusation d’islamophobie équivaut à une fatwa»

© AFP 2023 AAMIR QURESHIProtestation au Pakistan contre la publication de carricatures par Charlie Hebdo. Image d'illustration
Protestation au Pakistan contre la publication de carricatures par Charlie Hebdo. Image d'illustration  - Sputnik Afrique
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Gérald Darmanin a annoncé ce lundi 19 octobre sa volonté de dissoudre les associations en lien avec la mouvance islamiste, citant notamment le CCIF. Que se cache-t-il derrière cette association qui entend lutter contre l’islamophobie en France? Décryptage avec Céline Pina et Waleed Al-Husseini, spécialistes de la question.

Trois jours après l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine et la décapitation d’un professeur d’histoire, Gérald Darmanin tente de faire preuve de fermeté dans la riposte de l’État.

Interrogé par Europe 1 ce lundi 19 octobre, il a ainsi déclaré sa volonté de dissoudre un certain nombre d’associations suspectées de liens étroits avec l’islamisme radical. En tout, ce sont près de 51 associations qui recevront «les services de l’État» dans les jours qui viennent.

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Deux associations en particulier sont dans le viseur du gouvernement, l’ONG BarakaCity, proche de la mouvance salafiste et cible en 2017 d’une enquête sur des soupçons de financement du terrorisme, classée sans suite en 2019. Son fondateur, Idriss Sihamedi, est par ailleurs inculpé de cyberharcèlement à l’encontre de Zohra Bitan, chroniqueuse sur RMC.

Mais c’est surtout le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) qui est dans le collimateur du gouvernement. Fondé en 2003 par Samy Debah –un activiste islamiste proche des Frères musulmans et de Tariq Ramadan en particulier–, son objectif avoué est de lutter contre la propagation de l’islamophobie en France. L’association enregistre ainsi les actes islamophobes commis dans le pays et adresse un rapport annuel, chiffres à l’appui. Pour l’année 2020, 743 actes qualifiés comme islamophobes ont ainsi été recensés par le CCIF. Des chiffres fortement contestés: «doublons et triplets visiblement comptabilisés pour autant d’actes “islamophobes”», dénonçait ainsi la journaliste Isabelle Kersimon en 2016, ajoutant que le CCIF comptabilisait des actes aussi divers qu’«une question posée à une jeune femme voilée lors d’un entretien à l’ANPE, […] des expulsions de prédicateurs violemment antisémites et appelant au djihad.»

Des associations «proches de la nébuleuse des Frères musulmans»

Sur son site, le CCIF définit les actes islamophobes comme «l’ensemble des actes de discrimination ou de violence contre des institutions ou des individus en raison de leur appartenance, réelle ou supposée, à l’islam». Le collectif apporte également une aide juridique aux personnes qui en sont victimes, en plaidant parfois devant les tribunaux. Récemment, le CCIF a fortement critiqué le projet de loi contre le séparatisme porté par Emmanuel Macron, dénonçant «une islamophobie d’État décomplexée […] au nom de la lutte antiterroriste.»

Dans le cas de la polémique liée aux caricatures de Mahomet présentées en classe par Samuel Paty le 5 octobre dernier, le CCIF aurait été saisi par plusieurs parents d’élèves suite à l’appel de Brahim Chnina, qui affirmait que sa propre fille suivait le cours du professeur, une information démentie depuis.

C’est cette implication, ainsi que le rôle trouble joué par le CCIF depuis plusieurs années, qui ont conduit Gérald Darmanin à viser aujourd’hui l’association. «C’est une association qui touche des aides d’État, des déductions fiscales. Il y a un certain nombre d’éléments qui nous permettent de penser que c’est un ennemi de la République», a ainsi déclaré le ministre de l’Intérieur, responsable des cultes.

Une volonté politique «parfaitement justifiée» d’après Céline Pina, auteur de Silence coupable (Éd. Kero), essai dans lequel elle dénonce le déni de la classe politique face à la progression du salafisme:

«Ces associations [le CCIF et BarakaCity, ndlr] sont proches de la nébuleuse des Frères musulmans. […] Il suffit de regarder leurs alliés idéologiques et leurs références théologiques pour constater qu’elles sont des émanations “fréristes”», souligne Célina Pina au micro de Sputnik.

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Un bref rappel des déclarations officielles du CCIF à la suite des attentats commis au cours des dernières années permet également de situer la mouvance. L’attentat de Mohammed Merah à Toulouse en 2012 (7 morts)? «Des thèses complotistes». L’attentat de Mehdi Nemmouche contre le musée juif de Bruxelles en 2014 (4 morts)? «Un acte de violence marginal». L’attentat contre Charlie Hebdo en 2015 (12 morts)? Justifié, «Charlie Hebdo est purement raciste et xénophobe». Clou du spectacle, sur fond de désinformation pure et simple, par Marwan Muhammad, directeur du CCIF jusqu’en 2017: «L’islam est une religion qui a vocation à régir toutes les sphères de la vie sociale […] En France, on mitraille des mosquées et on viole des femmes le jour de l’Aïd.»

«Ces associations ont multiplié la division de la société française»

Marwan Muhammad est justement venu au secours du CCIF, dont il est toujours adhérent. Sur Europe 1 ce lundi 19 octobre, il explique ainsi que «la mise en cause du CCIF ne correspond ni à une réalité factuelle, ni à une réalité juridique, mais vraiment à une volonté politique». Sur Twitter, le collectif s’est fendu d’un communiqué dans lequel il dénonce une «stratégie répressive de persécution de la part du pouvoir en place, qui cherche à tuer politiquement toute contestation.»

Cette manière de se placer dans la position de victime est une pratique courante chez le CCIF. Une dialectique victimaire retorse, que décrypte pour Sputnik Waleed Al-Husseini, auteur de Une trahison française (Éd. Ring), essai dans lequel il s’en prend aux «collaborationnistes de l’islam radical». Pour l’essayiste, arrêté en 2010 par l’Autorité palestinienne pour avoir blasphémé contre l’islam sur Facebook et ayant depuis trouvé asile en France, «ces associations et leurs collaborateurs sont responsables du terrorisme qui balaie la France», car, pour ces dernières, «l’accusation d’islamophobie équivaut à une fatwa».

«L’accusation d’islamophobie est l’une des armes aux mains des islamistes, qu’ils utilisent pour faire taire ceux qui les critiquent ou dénoncent leurs stratagèmes dans l’islamisation de la société française. Depuis plusieurs années, ces associations ont multiplié la division de la société française et accru la haine», dénonce Waleed Al-Husseini au micro de Sputnik.

Céline Pina n’hésite pas à son tour à pointer du doigt la responsabilité indirecte de l’association dans l’attentat de Conflans. «Les gens qui sèment cette logique-là ne sont pas innocents de ce qui est arrivé à M. Paty.»

«Il y a volonté d’introduire dans l’esprit des gens l’idée d’une persécution particulière de l’islam. L’idée est de construire une ligne qui va de la persécution à la justification de la violence, puisque quand vous êtes persécutés vous ne commettez pas de crime: vous mettez un terme à l’action des prétendus bourreaux.»

Une analyse corroborée par l’eurodéputé LR François-Xavier Bellamy dans Le Point ce mardi 20 octobre, pour qui «L’islamophobie est une manière de rétablir le délit de blasphème». La lutte contre l’islamophobie et la stigmatisation contre les musulmans, menée tambour battant par le CCIF ou BarakaCity sous le regard bienveillant d’une partie de la gauche, serait ainsi le faux-nez de l’instauration d’un délit de blasphème spécifique pour les musulmans de France.

«Djihad judiciaire»

Dans Le Point toujours, l’ex-journaliste de Charlie Hebdo, Zineb El Rhazoui, encore sous protection policière, formulait ainsi les choses: «La tactique du CCIF est de se placer sous la bannière de la lutte contre le racisme, dont la définition est encadrée par la loi, pour bénéficier des mêmes protections juridiques. Toute personne qui critique l’islam se voit automatiquement traitée de raciste, voilà un chantage juridique qu’il est grand temps de rendre inopérant

Là encore, Céline Pina approuve et met en lumière la stratégie islamiste, dangereuse, car profondément insidieuse:

«À partir du moment où l’on considère que le fait de critiquer l’islam est un rejet raciste, il n’y a plus aucune issue. Seule la réintroduction d’un délit de blasphème permettrait de protéger l’intégrité des musulmans, laquelle serait autant religieuse que physique dans la vision des islamistes.»

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Or, pour ce faire, le CCIF n’hésite pas à pratiquer une forme de «harcèlement judiciaire» à l’encontre des tenants d’une ligne laïque hostile aux positions prosélytes du CCIF, à tel point que Zineb El Rhazoui n’hésite pas à parler de «djihad judiciaire» pour qualifier les méthodes du collectif. Céline Pina, elle-même en procès contre Lallab (association féministe et musulmane défendant notamment le droit pour les femmes de porter le voile) et Rokhaya Diallo depuis 2016, nous explique cette stratégie:

«Le djihad judiciaire, c’est une façon de bâillonner le contradicteur en l’attaquant en justice. C’est intenable financièrement et cela suscite une forme de réprobation sociale en faisant planer le soupçon de racisme sur la personne visée. Le but du jeu, c’est d’amener les gens à s’autocensurer. C’est une forme de terreur intellectuelle», décrypte Céline Pina au micro de Sputnik.

Sur le plan juridique justement, rien ne dit que la dissolution des deux associations voulue par Gérald Darmanin sera un jour effective. La dissolution administrative d’une association est une prérogative du conseil des ministres, qui saisit par décret l’association concernée. Dans le cas du CCIF, il faudrait que l’implication du collectif dans la campagne de dénigrement orchestrée contre Samuel Paty soit démontrée par les faits. Or, le CCIF n’a jamais communiqué officiellement sur le sujet.

Pis, même en cas de décret de dissolution, les recours seraient nombreux pour l’association: d’abord devant le tribunal administratif, puis devant la cour administrative d’appel, et enfin le Conseil d’État.

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