Frontières françaises, l’impossible souveraineté?

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Un renforcement des contrôles aux frontières vient d’entrer en vigueur. L’occasion pour la classe politique de s’écharper sur des mesures que beaucoup considèrent comme tardives et insuffisantes. L’Europe a-t-elle mal veillé à ses frontières? Quid de la France? Réflexions avec Jean Messiha, partisan d’un renforcement des frontières nationales.

Ce lundi 18 novembre, la France a étendu l’interdiction d’entrer sur le territoire à tous les citoyens non européens qui ne présenteraient pas un test PCR négatif de moins de 72 heures. Jusqu’à présent, la mesure concernait uniquement certaines zones rouges et son extension à tous les pays hors UE se fait en amont d’un Conseil européen qui se réunit jeudi en vue d’aboutir à des décisions coordonnées. De la poudre aux yeux, selon Jean Messiha, ancien délégué national du Rassemblement national et président de l’Institut Apollon:

«On raisonne pour l’Europe comme si c’était un pays avec un peuple et des frontières, à mon avis on se fourre le doigt dans l’œil. Les seules qui méritent d’être fermées sont les frontières nationales, car elles seules peuvent être contrôlées.
En termes de crise sanitaire, c’est même non pertinent. Alors effectivement, cela permet aux idéologues du sans-frontiérisme et du libre-échangisme de contenter une grande partie de la population, mais pour neutraliser en réalité la notion de frontière.»

Annoncé jeudi 14 janvier par Jean Castex lors de sa conférence de presse, le contrôle aux frontières uniquement pour les non-Européens est considéré par une partie de la classe politique comme une demi-mesure.

C’est notamment le cas de Marine Le Pen, qui estime que l’«on devrait le faire pour l’intégralité des pays!» Elle a également pointé du doigt la décision tardive de la France de renforcer la maîtrise de ses frontières.

Interrogé par Europe 1, Gérard Larcher, président du Sénat, s’est également montré favorable à un contrôle des frontières entre pays européens et a avancé que de telles décisions pourraient être prises lors du Conseil européen à venir qui se réunit jeudi en visioconférence.

La France incapable d’autonomie?

Gérard Larcher précise toutefois que «c’est une décision collective que les 27 doivent prendre» tandis que l’Allemagne et l’Italie n’ont pas attendu et exigent déjà des tests PCR à l’entrée de leurs territoires respectifs pour certains pays européens, dont la France.
Pour le président de l’Institut Apollon, il faut y voir une preuve supplémentaire de la dépendance totale de la France vis-à-vis de l’Europe.

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«Parler de souveraineté européenne est un oxymore; il n’y a de souveraineté que du peuple. Or, par définition, il n’y a pas de peuple européen», rappelle-t-il, conscient du regain d’intérêt pour les frontières en période de crise sanitaire.

L’exécutif semble pourtant rechigner à franchir le pas d’un contrôle renforcé des frontières qui semble couler de source chez certains de nos voisins. Une enquête du Journal du Dimanche, intitulée «Fermeture des frontières contre le Covid-19: pourquoi la France hésite», met en évidence plusieurs raisons aux réticences gouvernementales à cet égard.

Le credo de l’«Europe ouverte» mis à rude épreuve

L’une des explications apportées n’est autre que le refus de récupérer une thématique chère au Rassemblement national. «Marine Le Pen a toujours été dans ce registre-là et le Président pour une Europe ouverte», peut-on y lire de la part de l’entourage du chef de l’État. «On refuse de jouer avec le symbole de la frontière, d’en faire une protection illusoire qui donnerait l’impression que le virus est ailleurs», justifie également un ministre. Une assimilation du terme «frontière» à «l’extrême droite» qui n’a rien d’étonnant, selon Jean Messiha, et qui «donne au gouvernement le sentiment d’un échec idéologique lorsqu’il va dans ce sens; il est donc tiraillé entre la nécessité de reconnaître la réalité et la volonté de ne pas admettre cet échec.» La France serait même la plus mauvaise élève en termes d’évolution idéologique, affirme le haut fonctionnaire.

«La France est le dernier des Mohicans. Les élites françaises ont toujours été les plus réticentes à toutes les évolutions mondiales et il y a même eu des révolutions pour que les choses changent», déplore l’ancien cadre du Rassemblement national.

La seule manière de changer de direction serait donc de se «laisser guider par les partenaires européens», ce qui est en train de se produire, observe Jean Messiha.

Un retour à l’État-nation ?

En amont de la conférence du 21 janvier, les ministres des Affaires européennes de l’UE se sont réunis ce 18 janvier pour évoquer l’éventualité d’imposer les tests aux voyageurs de l’espace Schengen. Solution qui pourrait s’avérer indispensable pour freiner la circulation de nouvelles souches du coronavirus, en particulier les variants anglais et sud-africain, jusqu’à 70% plus contagieux et dont la présence en France est déjà avérée.

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Malgré tout, Clément Beaune, secrétaire d’État aux Affaires européennes se montre réticent. Dans la lignée du gouvernement, il affirmait le 17 janvier que «les frontières internes ne sont pas “un rempart miracle” contre la pandémie» ou encore qu’il n’envisage «pas de fermeture des frontières, notamment pour les travailleurs frontaliers: on a besoin que les marchandises circulent, que les salariés puissent continuer à travailler.» Pour le fondateur de l’Institut Apollon, cette aversion du pouvoir à un protectionnisme actuellement vital est le symptôme ultime de leur déconnexion:

«Les élites en place depuis quarante ans constatent, effarées, la fin de la parenthèse du village planétaire. La crise du Covid n’a fait qu’accélérer la fin de cette parenthèse et le déterminisme historique fait que de facto, lorsque tous les pays rétablissent leurs frontières pour lutter contre une pandémie, c’est le retour d’un monde néo-westphalien, c’est-à-dire des États-nations, des identités, des frontières […] Le paradigme mondialiste freine des quatre fers, car il sent ce basculement.»

Pour autant, et alors qu’il ne fait aucun doute pour l’ancien délégué national du Rassemblement national que l’État français se pliera aux directives européennes, cette crise aura occasionné un mal pour un bien, argue-t-il. Les souverainistes espèrent ainsi que l’opinion sera durablement sensibilisée à ces questions d’identité.

«On découvre l’existence de notions qui avaient été estampillées comme fascistes. C’est le retour à la frontière comme rempart sanitaire, mais espérons que ce le soit également de manière économique et identitaire», conclut Jean Messiha.

Pour l’heure, c’est sur le plan sanitaire –et surtout de manière provisoire– que s’oriente cette réhabilitation forcée de la frontière. Des personnalités de tous horizons –l’ancien socialiste Arnaud Montebourg, François Ruffin, député LFI, Arnaud Fontanet, membre du Conseil scientifique– se sont montrées également favorables à un contrôle plus strict aux frontières nationales afin de contenir l’épidémie. S’il les a sans doute entendus, le gouvernement devrait leur apporter une réponse claire dans les jours à venir.

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