«À 4.000 euros, on est dans la classe moyenne»: quelle mouche a piqué François Bayrou?

© AFP 2023 JEAN-FRANCOIS MONIERLa président du MoDem et haut-commissaire au Plan Francois Bayrou lors d'un meeting de son parti à Guidel, le 29 septembre 2019
La président du MoDem et haut-commissaire au Plan Francois Bayrou lors d'un meeting de son parti à Guidel, le 29 septembre 2019 - Sputnik Afrique, 1920, 08.02.2021
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François Bayrou a déclenché la polémique en affirmant que, en gagnant «4.000 euros par mois», on faisait partie des «classes moyennes». Chiffres à l’appui, l’économiste Christophe Ramaux entend démonter une allégation jugée «hors sol» à gauche.

«Il faut vraiment vivre dans un autre monde pour affirmer une chose pareille.» L’économiste «hétérodoxe» Christophe Ramaux n’en revient toujours pas. Interrogé sur le plateau du Grand Jury ce dimanche sur le seuil de revenus à partir duquel on peut être considéré comme «riche», François Bayrou a ainsi répondu, laconique: «À 4.000 euros, on est dans la classe moyenne.»

La petite phrase du haut-commissaire au plan n’a pas manqué d’alimenter la polémique. Le député Matthieu Orphelin (Écologie Démocratie Solidarité) a ainsi estimé que la séquence était un «exemple» de «déconnexion» de la réalité du pays, quand le PCF a rappelé que «le salaire médian en France est de 1.789 euros».

Ce qui signifierait que la moitié des salariés touchent moins de 1.800 euros par mois. Pour Christophe Ramaux, membre des Économistes atterrés, ce chiffre mérite même d’être revu à la baisse. Selon lui, «il faut prendre en compte les temps partiels», lesquels ne sont pas intégrés dans le calcul du salaire médian.

«En réalité, le salaire médian se situe plus autour de 1.500 euros, et non 1.800 euros, car les temps partiels et les emplois précaires sont de plus en plus nombreux en France», précise l’économiste au micro de Sputnik.

Les déclarations de François Bayrou seraient donc bien loin de correspondre à la réalité.

«À 4.000€, on fait partie des 13% les plus riches»

Selon l’Observatoire des inégalités, qui se fonde sur des données de l’Insee de 2018, un salarié qui touche 4.000 euros net par mois avant prélèvement à la source fait partie des 9% des Français les mieux payés.

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Dans un article publié sur son site Internet le 22 janvier dernier, intitulé «Combien y a-t-il de riches?», le même Observatoire des inégalités plaçait le seuil de richesse à 3.470 euros par mois pour un adulte, soit le double du revenu médian. «L’Insee ne calcule pas de seuil de richesse et ne fournit pas de données assez précises pour que l’on puisse répondre avec exactitude à la question: “Combien compte-t-on de riches?” Malgré tout, nous avons fait une estimation. Si l’on situe le seuil de richesse à 3.470 euros mensuels (le double du niveau de vie médian), alors on compterait 8,2% de riches selon nos calculs.» Soit environ 5,1 millions de riches en 2017, si l’on s’appuie sur les chiffres de l’Insee.

Là encore, Christophe Ramaux estime que ce chiffre doit être pondéré en prenant en compte non pas simplement le salaire, mais aussi les prestations sociales et les revenus du patrimoine qui peuvent s’y ajouter.

«Les études les plus pertinentes portent sur le “niveau de vie” des Français. Selon ces statistiques, les 10% les plus riches gagnent au moins 4.700 euros par mois. À 4.000 euros, on fait donc partie des 13% les plus riches. Peut-on sérieusement appeler cela la “classe moyenne”?» fait mine de s’interroger le chercheur au Centre d'économie de la Sorbonne.

«En prenant en compte les revenus qui s’ajoutent au salaire mensuel, 80% des gens gagnent moins de 2.810€ par mois en niveau de vie», poursuit l’économiste.

Toujours est-il que la notion de «classe moyenne» reste floue. Selon une enquête du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), deux tiers des Français se placent spontanément dans la classe moyenne. Or, si l’on en croit l’Observatoire des inégalités, celles-ci ne représentent au maximum que 50% de la population.

Autrement dit, le concept de «classe moyenne» revêt les atours de fourre-tout sociologique dans lequel chacun est susceptible de se reconnaître. Dans l’essai La guerre des mots (éd. du Passager clandestin), Selim Derkaoui et Nicolas Framont allaient jusqu’à évoquer le «mythe» de la classe moyenne. «Au-delà de la confusion, des abus de langage et de l’inculture sociologique, il y a un intérêt stratégique évident à parler de “classes moyennes”: la classe politique peut donner l’impression de parler à tout le monde, alors qu’elle ne parle en fait de... personne. Tout engagement pris “en faveur des classes moyennes” pourra finalement cibler qui le politique engagé le souhaite». Dont acte pour le président du MoDem?

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