Marine Le Pen a-t-elle réussi son escale au Liban?

© REUTERS / Aziz TaherMarine Le Pen in Beirut
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Nouveau couac sur le chemin de Beyrouth, Marine Le Pen n’a pas voulu mettre de voile pour rencontrer le mufti, annulant ainsi à la dernière minute sa rencontre. «Je ne me voilerai pas» argue-t-elle. Avec la délicate question de son soutien à Assad, sa visite a-t-elle été semée d’impairs ?

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Marine Le Pen refuse de se voiler et annule sa rencontre avec le Grand Mufti du Liban
Son deuxième et dernier jour au Liban s'achève par une polémique, qui éclipse le reste de la visite. La candidate Front national à la présidentielle a refusé de porter le voile pour rencontrer à Beyrouth le mufti de la République du Liban. « Je ne me voilerai pas », fait-elle savoir, l'air étonné, aux journalistes alentour. Dans la foulée, son bras droit Florian Phillipot tweete son respect pour ce message « d'émancipation envoyé aux femmes de France et du monde! ». L'institution sunnite, qui avait pourtant averti la candidate du protocole, exprime ses regrets « pour ce comportement inconvenant ».

« Elle va tenter d'utiliser cette histoire-là à son profit. […] Mais il y a des précédents, Michelle Obama en Arabie Saoudite n'a pas porté le voile. La question que l'on peut poser ici, c'est pourquoi le mufti a insisté pour qu'elle porte le voile? A la limite, il aurait pu laisser passer ça, justement pour ne pas lui donner d'argument supplémentaire », commente Michel Touma, rédacteur en chef de L'Orient le Jour.

Dans la course à la présidentielle, le Liban, fenêtre ouverte sur une crise régionale grave, est devenu une escale incontournable. Les principaux candidats  s'y sont exercés ou vont le faire, Emmanuel Macron en tête. Un mois après, c'est au tour de Marine Le Pen de visiter le pays du Cèdre afin de rompre avec un isolement hérité du père et de soigner sa crédibilité internationale. Car ce n'est clairement pas pour la réserve de voix que représente le Liban que les candidats à l'Élysée défilent au pays du Cèdre: 17 000 inscrits sur les listes, qui votent traditionnellement et majoritairement à droite.

Pari en partie tenu: la présidente du FN aura la joie non dissimulée de pouvoir, enfin, rencontrer officiellement un chef d'État étranger en exercice. Comme Macron, elle s'est entretenue avec le président Michel Aoun et le Premier ministre Saad Hariri. En partie, donc, car son entrevue avec le Premier ministre sunnite Hariri aura soulevé les contradictions de ce voyage. Celui qui a rapidement dénoncé « l'amalgame entre islam et terrorisme » a des positions très claires sur la question syrienne: « une grande partie du gouvernement a une attitude hostile vis-à-vis du régime syrien, car il est responsable de 30 ans d'occupation au Liban […] Un simple rendez-vous avec le Premier ministre n'est pas suffisant pour lui donner une crédibilité sur ce plan-là », explique Michel Touma. Marine Le Pen a reconnu ces divergences, mais insiste: « en l'état, il m'apparaissait n'y avoir aucune solution viable et plausible en dehors de ce choix binaire qui est Bachar el-Assad d'un côté, l'État islamique (EI) de l'autre. »

Le Premier ministre est le leader d'un parti qui représente l'islam modéré au Liban et un peu dans la région. Or, je n'ai pas connaissance de déclaration de Mme Le Pen dans laquelle elle fait la distinction entre l'islam modéré et le terrorisme.

Elle aura en revanche marqué des points avec le patriarche maronite Béchara Raï. À l'issue de l'entrevue, Marine Le Pen a salué la culture libanaise de « modération, créée par les chrétiens et les musulmans. »

« Ce n'est pas l'escale libanaise qui va lui redonner une certaine envergure internationale. L'escale libanaise est compréhensible parce que se pose la question des chrétiens d'Orient, donc c'est une occasion pour elle », commente Antoine Sfeir, Directeur des Cahiers de l'Orient et politologue. De fait, Marine Le Pen n'a pas choisi le Liban par hasard, confirme Élie Hatem, avocat et spécialiste de cette région. Soulignant les relations séculaires qui unissent les deux pays, la candidate entend faire « revenir la France au Proche et au Moyen-Orient, pour être la protectrice des chrétiens et de l'ensemble des minorités persécutées au Proche et au Moyen-Orient. »

Bashar Asad, presidente de Siria - Sputnik Afrique
Pour Marine Le Pen, face à Daech, Bachar el-Assad est un moindre mal
Le Liban est peut-être plus important pour la France que ne le laisse entendre Antoine Sfeir: la crise des réfugiés syriens, la lutte contre le fondamentalisme et la question des chrétiens d'Orient ont catapulté ce petit pays du Proche-Orient en tête préoccupations internationales. Il compte quatre millions d'habitants et environ un million d'émigrés. La crise des réfugiés syriens est « lourde pour le Liban, car elle entraîne des difficultés », commente Marine Le Pen au sortir de la réunion avec Saad Hariri.

Le gouvernement libanais espère aussi trouver son compte dans ce défilé des prétendants à la gouvernance de la France et souhaiterait « une contribution sans cesse croissante au règlement du problème des réfugiés syriens », explique Michel Touma. À ce sujet, Marine Le Pen, qui veut réduire drastiquement le nombre de réfugiés admis en France, appelle la communauté internationale à faire davantage pour les maintenir dans des camps humanitaires au Liban. Son prédécesseur, en visite dans un camp de réfugiés, s'est montré aussi évasif que Marine était froide sur la question de la répartition: « C'est bien la ligne, celle d'une protection de la France, de sa sécurité, de ses intérêts et en même temps d'un humanisme français que je tiendrai. »

Mais globalement, « pour le Liban, c'est important que les candidats à l'Élysée tentent de s'informer de près de la situation dans le pays », selon Michel Touma:

Nous avons 18 communautés au Liban, qui sont reconnues officiellement. Le système politique et l'équilibre du pays est fondé sur la sérénité dans les rapports entre ces 18 communautés. Alors lorsqu'un parti comme le Hezbollah s'implique dans la guerre syrienne et participe à des combats, en définitive contre la population sunnite, cela a des répercussions au Liban. Cette situation explosive, je pense qu'il est important que les candidats à l'Élysée, soient informés de près de sa complexité.

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Plus circonspect, Antoine Sfeir estime que les Libanais « ont l'habitude », « les Français passent et le Liban reste. Il n'y a aucune conséquence, puisque la France malheureusement ne s'occupe plus du Liban et de la politique libanaise à l'intérieur. »

Pour l'instant, aucune visite officielle de Jean-Luc Mélenchon et de Benoît Hamon n'est encore prévue. François Fillon, pris dans la tourmente des révélations embarrassantes du Canard Enchaîné, pourrait envoyer Bruno Le Maire, d'après Michel Touma, qui s'étonne de cet engouement nouveau et manifeste: « C'est la première fois dans une bataille présidentielle française que nous assistons à cet intérêt-là ».

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