Emmanuel Macron et le «gaullo-mitterrandisme»

© AFP 2023 JOSEPH EID Emmanuel Macron et le «gaullo-mitterrandisme»
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Les relations internationales, hors Europe, n’ont pas tenu une grande place durant le débat d’entre-deux tours, à l’image de la campagne. Emmanuel Macron revendique en la matière une ligne «gaullo-mitterrandienne». Que recouvre exactement ce terme?

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À plusieurs reprises durant sa campagne, Emmanuel Macron a revendiqué une approche « gaullo-mitterrandienne », tant de la scène internationale que de la fonction présidentielle. Comme lors de son déplacement au Liban et en Jordanie, fin janvier, où il plaidait pour que la France renoue « avec la conception gaullo-mitterrandienne d'une politique internationale d'indépendance et d'équilibre ».

Lors du débat de l'entre-deux tours, l'opposant à Marine Le Pen, le candidat d'« En Marche! » a là encore employé ce terme dont il n'a pas le monopole, puisqu'il le partage avec Jean-Luc Mélenchon. Une expression qui surprend, tant les politiques internationales de ces deux présidents pouvaient parfois diverger.

Pascal Boniface, directeur de l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), enseignant à l'Institut d'Études européennes de l'Université de Paris 8 et dont le dernier ouvrage s'intitule Je t'aimais bien, tu sais. Le monde et la France: le désamour? (Éditions Max Milo, 2017), répond à nos questions.

Sputnik: Lors du débat télévisé entre les deux candidats, Emmanuel Macron s'est réclamé d'une ligne « gaullo-mitterandienne » en matière de politique étrangère. Pourriez-vous nous dire ce que ce terme recouvre exactement? Car De Gaulle et Mitterrand n'avaient pas vraiment la même « approche » des relations internationales.

Pascal Boniface: « Si, ils ont eu une approche commune des relations internationales, mais une fois que Mitterrand a été élu Président, parce qu'initialement, effectivement, François Mitterrand lorsqu'il était dans l'opposition a critiqué la politique extérieure que mettait en place le général de Gaulle, qui s'éloignait de celle de la IVème République.

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Mais après l'avoir beaucoup critiqué, Mitterrand s'y est rallié avant d'avoir été élu président à la fin des années 70. On peut dire que par la suite il a développé et même amplifié cette approche, qu'il s'agisse d'une relation avec les États-Unis, avec la Russie, avec les pays émergents, avec les pays du Sud, qu'il s'agisse du concept du droit des peuples à disposer d'eux même et c'est pour cela qu'on parle du "Gaullo-mitterrandisme" donc une politique qui a été initiée par De Gaulle, initialement critiquée par François Mitterrand, mais ensuite poursuivie et développée par le même François Mitterrand. »

Sputnik: Comment comprendre ce qualificatif de « gaullo-mitterandien » dans le cadre des relations entre la France d'une part et les États-Unis et la Russie d'autre part? S'applique-t-il à la politique extérieure qu'envisage Macron et qui semble être dans la continuité de celle appliquée par François Hollande?

Pascal Boniface: « C'est quoi le "gaullo-mitterrandisme"? Avant tout, l'indépendance de la France, donc c'est de dire que la France est un pays occidental, mais qu'elle n'est pas qu'un pays occidental, qu'elle est beaucoup plus que cela et qu'elle doit avoir des relations d'amitié et même d'alliance et de partenariat avec d'autres pays.

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Aussi bien le général de Gaulle que François Mitterrand ont été lié aux États unis, au plus fort des crises de la Guerre froide, et j'en citerais trois: La crise du mur de Berlin en 1961, la crise de Cuba en 1962, la crise des euromissiles en 1982 — 1983. Le Général de Gaulle comme François Mitterrand ont été des soutiens très fermes et très déterminés des États-Unis.

Cela ne les a pas empêchés à de nombreuses reprises de critiquer très fortement la politique américaine, qu'il s'agisse de la politique de domination de l'Amérique latine par les États-Unis, par le Général de Gaulle. François Mitterrand en a fait de même, qu'il s'agisse de la politique des États-Unis au Proche-Orient, aussi bien de De Gaulle que de François Mitterrand, les deux ont soutenu la cause arabe et palestinienne ou qu'il s'agisse de la guerre américaine au Vietnam du temps du Général de Gaulle ou de certaines interventions américaines.

François Mitterrand s'est aussi très fortement opposé au programme d'Initiative de Défense Stratégique, baptisée "guerre des étoiles", dont on peut penser que l'actuel système de défense anti-missile que veut mettre en place Trump en Asie et qu'Obama a mis en place en Europe est la continuation. »

Sputnik: Emmanuel Macron ne se cache pas d'être soutenu par Barack Obama. En même temps, il a snobé une conférence à l'Assemblée nationale ou sept candidats à la présidentielle — ou leurs représentants — étaient venus présenter leur vision de l'avenir des relations franco-russes et des sanctions. Cette attitude peut-elle être qualifiée de « Gaullo-mitterrandienne »?

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Pascal Boniface: « En tout cas, Emmanuel Macron a demandé la levée des sanctions des accords de Minsk étaient mis en œuvre […]. On peut penser qu'au cours de la campagne électorale, il a pris ses distances avec la Russie, peut être aussi parce que trois autres candidats, ses principaux concurrents, François Fillon, Jean Luc Mélenchon et Marine Le Pen étaient considérés comme plus proches de la Russie. François Hollande n'était pas tout à fait un gaullo-mitterrandien, mais il n'était pas non plus complètement un occidentaliste, puisqu'il a maintenu des contacts avec la Russie après la crise ukrainienne contre l'avis de certains occidentalistes qui voulaient l'en empêcher et qu'il a créé le format dit "Normadie", qui a permis de maintenir un contact avec la Russie.

Je pense, personnellement, que François Hollande était moins allant dans le gaullo-mitterrandisme que ne l'ont été ses prédécesseurs et on verra si Emmanuel Macron redonne vigueur à cela. En tous les cas, le fait qu'il évoque la notion me paraît intéressant, car cela signifie entre autres que le gaullo-mitterrandisme n'est pas mort et que c'est bien un concept qui est opératoire même après la fin du monde bipolaire. »

Sputnik: Qu'en est-il de sa position vis-à-vis de l'Afrique et du Moyen-Orient? Vous avez évoqué la cause arabe et palestinienne tout à l'heure.

Pascal Boniface: « Là, on peut dire qu'il y a peut-être une petite contradiction de la part d'Emmanuel Macron, puisque dans un déplacement au Proche-Orient, il a dit qu'il ne reconnaîtrait pas unilatéralement l'État palestinien. Il a semblé prendre des positions, disons plus proches d'Israël que des Palestiniens, ce qui n'était pas le cas alors que De Gaulle par rapport aux pays arabes et Mitterrand — qui a été le premier président occidental à réclamer la création d'un État palestinien, à l'évoquer, et ce à la Knesset en 1982 — étaient plus allants sur cette cause-là.

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Est-ce qu'Emmanuel Macron s'est montré plus prudent pour des raisons de politique intérieure? Est-ce qu'il reprendra le fil d'une politique plus active au Proche-Orient, alors que la France est dans cette région, disons toujours le pays occidental le plus actif, mais elle est, néanmoins — il faut le reconnaître —, moins active qu'elle ne le fut dans le passé. »

Sputnik: Est-ce qu'Emmanuel Macron entend ressusciter la politique arabe de la France ou va-t-il rester sur la ligne actuelle, pro-israélienne et pro-pétromonarchies? Une ligne « Atlantiste » et « islamophobe » que vous dénoncez dans votre dernier ouvrage, comme nuisant à l'influence de la France.

Pascal Boniface: « Ecoutez, c'est au pied du mur qu'on verra le maçon. Rien ne l'obligeait à faire référence au Gaullo-mitterrandisme, donc il a pris en quelque sorte un engagement. Il a dans son entourage quelques personnes qui ne sont pas de cet avis, puisque certains d'entre eux ont soutenu la guerre d'Irak en 2003, ont réclamé des bombardements sur l'Iran par la suite, mais ils n'auront peut-être pas voix au chapitre, ils sont peut-être là juste dans l'entourage, ils ne seront pas décisionnaires.

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Mais en tous les cas le fait qu'Emmanuel Macron ait pris la décision de se référer au Gaullo-mitterrandisme est quand même un engagement et on verra si cet engagement est tenu, s'il est tenu cela me paraît être l'intérêt de la France. Je trouve personnellement intéressant qu'il se réclame de cette école de pensée qui a été un peu plus en difficulté au cours des dernières années. »

Sputnik: Pour revenir sur la notion de « gaullo-mitterandisme », mais cette fois-ci à l'échelle de l'Europe, peut-on là-aussi parler de ligne « gaullo-mitterandienne », sachant que le Général de Gaulle et François Mitterrand avaient des visions différentes de la construction européenne? Dans quel héritage Emmanuel Macron se situe-t-il?

Pascal Boniface: « Il n'est pas certain qu'ils aient eu une conception si différente. Disons que l'époque n'a pas été la même, De Gaulle a connu une Europe a six et Mitterrand est arrivé Président le Royaume-Uni faisait déjà parti de l'Europe. Donc ce sont des temps tout à fait différents et disons que Mitterrand avait les mains moins libres parce que l'Europe avait plus de pays et que l'équilibre entre la France et l'Allemagne était très différent que du temps de De Gaulle.

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Mais ceci étant, les deux étaient persuadés que l'Europe était un atout pour la France, que l'Europe était un moyen pour la France, comme une sorte de multiplicateur de puissance, et qu'il était vraiment indispensable — quitte à être exigeant avec les partenaires et ne pas tout accepter d'eux — que la France soit réellement un pays moteur et actif dans l'Europe. Et ils avaient l'un et l'autre la même vision du couple franco-allemand qui devait être le moteur de cette construction européenne, De Gaulle l'a fait avec Adenauer, Mitterrand l'a fait avec Helmut Kohl. »

Sputnik: Pensez-vous, comme près de 60 diplomates dans une tribune parue jeudi 4 mai dans le Figaro, qu'Emmanuel Macron soit le candidat le plus à même de redonner à la France sa stature internationale et à défendre ses intérêts, tant en Europe que dans le monde? Eux qui érigent en priorité pour un chef d'État « la capacité à mener une politique étrangère fidèle à notre histoire, mais adaptée aux réalités d'aujourd'hui. »

Pascal Boniface: « On peut dire que cette position des diplomates est autant un soutien à Emmanuel Macron qu'une opposition à Marine Le Pen, tant à sa personne qu'à son programme. »

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