Ces journaux américains qui se sont transformés en propagande du mensonge

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A la charnière des XIXe et XXe siècles la presse américaine a changé: les lecteurs ont commencé à noter l'apparition de plus en plus fréquente de fausses informations dans les journaux.

A la même époque la communauté médicale et juridique s'est penchée sur le phénomène du « menteur pathologique », un individu qui ment sans raison ni mauvaise intention.

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A la fin du XIXe siècle un nouveau type de menteur est apparu dans la conscience de masse américaine. Il a été décrit par Henry James dans sa nouvelle Le Menteur. Son héros, le colonel Capadose, déformait les faits sans aucune raison. « Il ment sur l'heure de la journée, sur le nom de son chapelier », décrivait une connaissance du colonel. Cependant, Capadose n'était pas une personne amorale, son état était plutôt une maladie psychique, « une particularité naturelle, comme la claudication ou le bégaiement ». Elle « arrivait et repartait comme la fièvre ».

Quand James écrivait sa nouvelle, cette maladie supposée n'avait pas de nom, mais un an plus tard le psychologue américain Stanley Hall a proposé de l'appeler « pseudomanie ». Un homme souffrant de cette maladie éprouvait des élans incontrôlables de mentir. De l'autre côté de l'océan, le médecin suisse Anton Delbrück a identifié l'existence d'un syndrome peudologia phantastica supposant un comportement identique. Rapidement la maladie s'est dotée de nouvelles appellations: mythomanie, mensonge psychologique, enclin maladif au mensonge et, le plus répandu, — mensonge pathologique. Dans les années 1920 ce diagnostic a été reconnu par les avocats, les travailleurs sociaux, les journalistes et le public.

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Le mensonge malicieux et ingénieux occupait toujours l'esprit de l'homme. Cependant, le nouveau type du menteur se distinguait pas l'absence totale d'une fin de son mensonge. De plus, cette pathologie se manifestait chez un individu sur cent. Alors pourquoi ce problème a-t-il acquis une telle popularité ?

Le fait est que les normes du journalisme et du discours politiques ont commencé à changer. Pendant une grande partie du XIXe siècle la classe moyenne américaine était persuadée que « la vérité remontera toujours à la surface ». Cependant, la foi en ce principe s'est progressivement dissipée, car à la charnière des siècles la presse américaine s'est mise à publier activement de la désinformation, sciemment ou inconsciemment. Non seulement les lecteurs ont commencé à se poser des questions sur la véracité de l'information présentée, mais ils se sont demandé également pourquoi tel ou tel média a publié un mensonge flagrant. L'une des explications populaires de ce phénomène était le syndrome de menteur pathologique.

Les malfaiteurs et la vertu

L'honnêteté était une qualité principale d'un bourgeois américain pendant la première moitié du XIXe siècle. Avant le début de la guerre civile aux Etats-Unis les hommes ne pensaient même pas que le mensonge pouvait être involontaire, sans motivation particulière. Un menteur était perçu comme un malfaiteur désireux de nuire à la société ou à ses représentants concrets.

Les médias de l'époque tentaient de ne pas enfreindre le consensus public. Tout a changé pendant la seconde moitié du siècle.

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En 1868 le journal New York Tribune a publié un article intitulé « Le gouverneur Seymour est un menteur » contenant des accusations discutables. Ce n'était qu'une première d'une longue suite. Dans les dernières décennies du XIXe siècle la presse ne publiait pas seulement des accusations, elle en est devenue la source.

Entre 1870 et 1900 le nombre de journaux vendus par jour s'est multiplié par six. Se pliant à la demande du marché, les médias ont organisé le concours de virulence verbale. En 1884 l'éditeur du New York World, Joseph Pulitzer, le père de la presse people, a figuré dans 21 procès de diffamation.

La course aux scoops

Les quotidiens à cette époque publiaient volontiers des interviews exclusives et des nouvelles sensationnelles pour attirer de nouveaux lecteurs. De plus, ces médias ne critiquaient plus seulement les standards de leurs concurrents et les politiciens publics, mais ils s'accusaient directement de mentir.

Les revues comme New York World de Joseph Pulitzer et New York Journal de William Randolph Hearst portaient régulièrement plainte l'une contre l'autre pour diffamation. Compte tenu du grand nombre de telles plaintes, les juges préféraient ne pas prononcer de verdict en faveur d'une partie ou d'une autre, ce qui affectait négativement l'image publique des médias.

La confiance du public était également sapée par la reconnaissance ouverte de certaines revues de leur avidité du scoop. En 1888 Hearst écrivait: « Si un scoop est vrai, il est meilleur que toute autre nouvelle ». Il avouait qu'une telle approche réduisait finalement la confiance des lecteurs pour la presse, mais trouvait qu'une telle stratégie était bénéfique pour les affaires.

Une forte concurrence et la soif d'obtenir un contenu sensationnel n'augmentaient pas forcément une augmentation d'un faux discours dans les médias. Mais c'est ainsi que voyaient les choses les critiques. Dans l'article « L'épidémie de l'exagération » paru dans le New York Tribune l'un d'eux écrivait: « Le lecteur ne croit plus à aucun autre article du journal, et le reporter ne pense plus que le lecteur croira à l'information qu'il rapporte ».

Les guerriers de la vérité

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Dans les années 1910 le nombre de journaux s'est considérablement réduit au profit de la création de conglomérats médiatiques. Cela s'est reflété sur la formation de l'éthique professionnelle — les collèges et les associations de journalisme ont proclamé la « falsification de l'information » de comportement marginal de certains petits journaux, magazines et journalistes nonchalants. Pour améliorer sa réputation la direction des éditions créait des services spéciaux de vérification des faits appelés à identifier les fausses informations et les personnes qui les propagent.

Ralph Pulitzer, fils et héritier de Joseph Pulitzer, a cité les exemples de propagation de fausses informations pendant son discours à l'Ecole de journalisme à l'université Columbia.

Il avait parlé d'un reporter censé interviewer la femme d'un homme suspecté d'homicide, mais s'en apercevoir il s'est entretenu avec une autre femme qui s'est faite passer pour la première. Une autre histoire était consacrée au journaliste qui amplifiait d'abord les événements dans ses articles, avant de se mettre carrément à les inventer.

Toutefois, il soulignait que les cas de fabrication de fausses informations par des reporters étaient très rares. Pulitzer affirmait qu'en général les journalistes devenaient victime de désinformation en utilisant des sources peu crédibles.

En balayant les accusations de propager de la désinformation, les reporters professionnels et les agences de presse ont commencé à se positionner comme des « détecteurs de mensonge ». Les éditions proposaient aux lecteurs des récompenses pour l'identification de menteurs et de mystificateurs.

Quand les USA sont entrés dans la Première Guerre mondiale, les journalistes américains se sont proclamés « combattants contre le mensonge militaire ». « La guerre fournit à un menteur né de grandes possibilités, mettait en garde le journal Saturday Evening Post. Les médias reçoivent des communiqués sur des événements sensationnels — plus exactement, ils le seraient si c'était vrai. »

Cette politique des médias a influencé le discours médical et juridique à l'égard du phénomène de « mensonge pathologique ». Au tout début du XXe siècle certains psychiatres supposaient que les individus souffrant de pseudologia phantastica optaient pour le journalisme. 10 ans plus tard, après l'apparition d'un protocole de vérification des faits et de la véracité de l'information dans la plupart des éditions, leurs déclarations semblaient naïves et même amusantes.

Dans les années 1920 la société et les spécialistes ont débouché sur le consensus que le mensonge n'était pas une pathologie ou la preuve de la nature vicieuse de son propagateur, mais qu'il était un phénomène involontaire et inévitable. L'unique conséquence positive du vaste débat sur le phénomène du « mensonge pathologique » a été la réforme dans les médias qui était très sollicitée à la charnière des siècles.

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