Djihadistan : voyage en terre de radicalisation

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États-Unis, Turquie, Suède, les attaques se multiplient depuis plusieurs mois, impliquant des djihadistes de Daesh d’origine ouzbèke... Qui sont ces combattants d’Asie Centrale et constituent-ils une réelle menace pour l’Europe?

Ce n'est pas parce que le phénomène est ancien qu'il est mieux traité. Trump a promis de faire payer le «prix fort» à l'État islamique, dont l'un de ses «soldats», un ouzbek de 29 ans appelé Sayfullo Saipov, a fauché 8 personnes à Manhattan mardi 31 octobre. En Suède, la récente attaque au camion bélier par un homme de 39 ans, connu des services de renseignement et d'origine ouzbèke, a parfait de sceller les craintes sur un nouveau et solide contingent de terroristes centrasiatiques.

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En effet, depuis quelques mois, les attaques terroristes impliquant des djihadistes d'Asie Centrale se multiplient: en 2016 avec l'attaque de l'aéroport à Istanbul ou, sept mois plus tard, celle de la boîte de nuit Reina, toujours dans la même ville. Le leitmotiv commence à inquiéter: dans les deux cas, les arrestations ont toutes mené à des personnes d'origine ouzbèke, kirghize, tchétchène, daghestanaise ou russe.

«Le seul qui était vraiment incorporé à un réseau, c'était Abdoul Masharipov», auteur de la tuerie de Reina, commente René Cagnat, ancien attaché militaire à Tachkent, en Ouzbékistan, et spécialiste des questions centre-asiatiques.

Avec la perte de terrain de Daesh en Irak et en Syrie, les combattants centrasiatiques ne seraient plus d'entre 300 et 400. Mais pour ceux qui se nichent dans des organisations clandestines à travers différents pays, notamment la Russie et la Turquie, leur nombre est difficile à évaluer, et «c'est là où le danger réside».

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Il faut remonter aux années 1990, avec la dislocation de l'URSS, pour voir le mouvement djihadiste se développer dans la vallée du Ferghana, vaste région de steppes, à cheval sur l'Ouzbékistan, le Kirghizstan et le Tadjikistan. Après 70 ans d'athéisme soviétique, la volonté de renouer avec la religion est forte. C'est avec l'expansion de Daesh et l'apparition du théâtre de guerre irako-syrien que différents groupes islamistes convergent vers le djihad international. Mais tous n'ont pas baigné dans cette atmosphère, et certains d'entre eux se sont « autoradicalisés » en Occident: «Ils représentent la principale menace aujourd'hui sur nos sociétés», estime David Gaüzere, Président du Centre d'Observation des Sociétés d'Asie Centrale et Consultant régulier pour l'IRIS.

«Pour 90% d'entre eux, ils ont rejoint Daesh au moment de l'immigration économique. Le théâtre de radicalisation s'est fait à Moscou ou à Istanbul ou Ankara, c'est-à-dire dans les villes d'émigration, par le biais des diasporas», que les hommes intégraient seuls, afin de subvenir aux besoins leur famille, restée au pays.

«Une fois en place, du fait de revenus assez bas, ils avaient besoin de réseaux de solidarité pour pouvoir subsister. Des réseaux d'entraide se sont développés et qui ont été progressivement pénétrés par des organisations islamistes pacifiques, mais qui ont déjà mis le place le terreau», passant progressivement de la politisation du combat djihadiste aux prêches violents. C'est dans ces villes que se sont formés des embryons d'organisations «beaucoup plus effectives», complète René Cagnat.

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L'action de Daesh passe progressivement du Proche-Orient à l'Afghanistan: traqués dans leur pays d'origine, chassés du théâtre irako-syrien, nombres d'entre eux viennent dangereusement grossir les rangs terroristes dans le Nord afghan «Ca fait des mois que le phénomène est observé […] je dirais qu'ils sont maintenant un millier», estime René Cagnat.

Globalement, ces combattants sont malvenus dans leur pays d'origine… Pourtant, la réponse apportée semble être purement répressive et parfois elle attise les motivations djihadistes. Avec «l'Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Turkménistan, le Tadjikistan, je dirai qu'on est dans la répression systématique, sans prévention ou quoi que ce soit», estime David Gaüzere.

«J'aime autant vous dire que dans ces pays, il n'est pas bon d'être djihadiste, ou avoir la réputation de l'être. Cela signifie qu'aussitôt, on est emprisonné, torturé, surveillé, etc. Les mesures de précaution sont draconiennes, c'est le moins qu'on puisse dire», avance René Cagnat, qui réside la moitié de l'année à Bichkek au Kyrgyzstan.

«La Russie est dans le clan Asie Centrale, c'est elle qui les a formés […] Elle est très sévère, mais parfois les réactions sont un peu moins déterminantes que du côté ouzbek […]»

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En effet, dans ce pays où les mosquées sont sous contrôle d'État, l'Ouzbékistan peine à endiguer le phénomène de radicalisation, particulièrement chez les jeunes, provoquant parfois l'effet inverse:

«Si les Ouzbeks, à l'intérieur de leur pays, sont particulièrement efficaces, cela explique toute une diaspora ouzbèke qui s'est créée et qui est extrémiste, en réaction.»

Débordés, sans programme de coopération, s'attaquer en profondeur au problème sur cette zone semble encore un vaste chantier pour les pays de la région: «La Fédération de Russie entend responsabiliser les États de départ. Mais les États de départ rétorquent que le processus se fait soit en Russie, soit en Turquie, donc la balle, pour l'instant, est renvoyée», conclut David Gaüzere.

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