Et si la guerre au Yémen n'était que la suite logique de son histoire mouvementée?

© REUTERS / Khaled AbdullahLa Ciudad Vieja de Saná, la capital de Yemen
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Il pourrait sembler pertinent de ne parler que de l’antagonisme impérialiste Iran/Arabie saoudite, ou du clivage chiite/sunnite (au moins dans sa forme) pour expliquer le conflit au Yémen. Cependant, il pourrait être tout aussi intéressant de s’attacher à l’Histoire très mouvementée de ce pays pour déterminer les raisons profondes de ce conflit.

«La guerre est un jeu cruel qui ne se paie qu'avec le sang.». Ce proverbe de Saadi, poète persan du XIIIe siècle, s'applique à tous les conflits. Celui en cours au Yémen n'y fait pas exception, loin s'en faut.

Et il est peu de dire que l'histoire récente du Yémen est mouvementée. Au début du XXe siècle, le Yémen est partagé entre deux empires. Le nord est intégré à l'Empire ottoman tandis que le sud est placé sous domination britannique. En 1918, l'imam Hamid Al-Din parvient à arracher l'indépendance du nord du pays, et fonde ainsi le royaume yéménite. En 1934, l'armée saoudienne entame une guerre de conquête contre ce jeune royaume. Ce conflit se soldera par le traité de Taif, dans lequel il est stipulé que trois provinces du nord du Yémen (l'Asir, le Najran et le Jizan) seront désormais intégrées au royaume des Saoud. Cette décision influe encore aujourd'hui sur la crise. Ce n'est qu'en 1967 que le sud du pays devient indépendant de l'Empire britannique, après une guerre civile ayant duré trois années. Le Yémen formera à compter de cette date un royaume indépendant et unifié. C'est du moins ce qui était recherché.

​Malgré l'unification de facto, le Yémen reste en proie à de nombreuses guerres nord/sud, ainsi qu'à des guerres civiles à intervalles réguliers (1978-1990). Ce n'est qu'avec l'accession au pouvoir d'Ali Abdallah Saleh que le pays se trouvera enfin un leader capable de rassembler les deux régions. Ce jeune Président issu du nord joue encore un rôle actif aujourd'hui. Malgré une courte guerre civile en 1994, le pays connaîtra une «longue» période de paix. La seule qu'il n'ait jamais connue.

Tout bascule de nouveau en 2004. La guerre contre le terrorisme engagée par Bush fils suite au 11 septembre 2001 reçoit le soutien du Président Saleh. Les habitants zaydites (une branche du chiisme) de la province de Saada, à la frontière saoudienne, s'opposent fermement au soutien apporté aux USA par leur gouvernement. Néanmoins, cette rébellion reste cantonnée localement, sans s'exporter à la totalité du pays. Ces combattants sont appelés les Houthis.

Yémen - Sputnik Afrique
Les Houthis menacent de prendre pour cibles les navires de la coalition saoudienne
Cette présence de rebelles chiites à la frontière inquiète fortement l'Arabie saoudite, et pour cause. Les trois régions prises au Yémen en 1934 sont majoritairement peuplées de chiites issus des mêmes tribus que celles entrées en rébellion de l'autre côté de la frontière. Craignant pour sa sécurité intérieure, la dynastie des Saoud intervient en 2009 sur le territoire yéménite. Cette intervention marque aussi l'émergence de l'AQPA (Al-Qaïda dans la péninsule arabique), qui s'enracine localement dans le centre du pays. Le 11 août 2009, le gouvernement yéménite, présidé par Saleh, lance une intervention armée contre les groupes rebelles du nord, sans toutefois rencontrer un succès suffisant pour mettre fin aux troubles. Dans le même temps, les terroristes d'Al-Qaïda commencent à perpétrer des attentats dans la capitale, Sanaa, au nord du pays.

Ce conflit latent toujours en cours, les printemps arabes s'invitent à Sanaa. Les manifestants, qui demandent le départ du Président Saleh, sont rejoints par les rebelles Houthis. En novembre 2011, Ali Abdallah Saleh est contraint de signer un accord de transition à Riyad pour quitter le pouvoir. C'est le vice-Président Hadi qui est désigné pour reprendre le contrôle du pays.

Malgré la signature de l'accord de transition, Saleh est toujours au pouvoir en janvier 2012. Suite à de nouvelles manifestations, des élections anticipées sont organisées. Hadi est élu à 99,9% des voies. L'armée entame alors une vaste offensive contre l'AQPA. Les moyens manquent, l'économie du pays sombre, le Président fait appel à la communauté internationale.

Afin de mettre fin à la guerre en cours contre les Houthis, les autorités mettent en place une conférence du dialogue national, censée régler les problèmes du pays en proposant une fédéralisation en six provinces. Cependant, le gouvernorat de Saada, siège des rebelles houthistes, refuse cette partition du fait que la province se voit intégrer à une seconde, et n'accède donc pas à l'indépendance.

Riyad - Sputnik Afrique
76 missiles houthis tirés sur l’Arabie saoudite depuis le début du conflit au Yémen
La guerre civile, jusqu'à présent contenue au nord du pays, se propage. Le 21 septembre 2014, les rebelles houthistes s'emparent de Sanaa. Suite à la prise du Palais présidentiel en janvier 2015, Hadi présente sa démission. Cela ne suffit pas à arrêter les rebelles, qui poursuivent leur offensive dans l'ouest et le sud du pays avec le soutien de l'ex-Président Saleh, qui avait pourtant dû quitter son poste du fait de la pression exercée par les populations du nord.

Totalement désorganisée, l'armée yéménite enchaine les défaites, et perd la troisième ville du pays, Taëz. Hadi s'exile à Riyad, où il demande l'intervention de l'Arabie saoudite pour stopper les rebelles.

Cette demande est entendue par les saoudiens, qui le 26 mars 2015 déclenchent l'opération «Tempête décisive» dans le but de mettre fin à l'avancée territoriale des Houthistes et de rétablir le gouvernement de Hadi. Une coalition de pays arabes soutenue par les Etats-Unis se met en place. Cette intervention est vue par beaucoup comme un moyen d'empêcher les rebelles, qui sont de religion chiite, de servir de tête de pont à l'Iran dans un pays frontalier du royaume saoudien. Il a aussi peut-être pour objectif d'envoyer un message clair à la minorité chiite saoudienne, afin de calmer toute tentation indépendantiste ou de soulèvement. Il est d'ailleurs important de noter que l'armée saoudienne effectue régulièrement des opérations dans les régions frontalières au Yémen contre des groupes qualifiés de terroristes.

Une autre explication avancée notamment par le politologue et philosophe français Michel Lhomme à cette intervention est proposée. Riyad chercherait à profiter de cette crise afin de sécuriser le détroit de Bab-el-Mandeb, quatrième passage maritime le plus important au niveau mondial en termes d'approvisionnement énergétique.

L'Arabie saoudite a reconnu plusieurs fois des «erreurs» dans ses bombardements, comme lorsque le 8 octobre 2015, 140 civils sont tués dans une frappes sur un marché de Sanaa. Le blocus mis en place depuis le 4 novembre dernier (progressivement levé depuis hier) ne fait qu'acter une situation déjà catastrophique. Selon le Directeur des opérations du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), John Ging, le choléra touche déjà plus de 800.000 personnes. 15 millions de Yéménites n'ont pas un accès suffisant à l'eau et à l'hygiène tandis que sept millions d'entre eux souffrent directement de la faim. Toutes ces accusations ont été réfutées par l'Arabie saoudite dans un rapport transmis par sa représentation à l'UE en avril 2017, traduit en français.

Le Conseil de sécurité de l'Onu est impuissant dans ce conflit, tant la situation régionale est déjà tendue. Quelle décision prendre? Condamner l'Arabie saoudite quitte à offrir une victoire à l'Iran et perdre un allié? Se taire et perdre toute crédibilité internationale? Elle ne fait qu'appeler au dialogue dans toutes ses résolutions, sans moyen d'agir. L'OMS et l'envoyé spécial pour le Yémen, M.Ould Cheikh Ahmed, exhortent le Conseil de sécurité à agir. Mais sans préciser dans quelle direction. Ni l'Arabie saoudite, ni les rebelles ne souhaitent se mettre à la table des négociations, du moins pour l'instant. Chacun considérant que sa cause est juste. Toute la difficulté est ici.

La population yéménite, qui a si peu connue la paix durant son histoire, est encore une fois victime d'une guerre de son antagonisme nord/sud, chiite/sunnite, anti-américain/occidentaliste. Et quel que soit l'issue de ce conflit, difficile de garantir qu'une paix sera durable dans un Yémen stable et unifié. Le conflit en cours nous l'a seulement rappelé.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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