Erdogan à Paris: «Le droit-de-l'hommisme ne peut pas constituer une politique»

© AP Photo / Christophe EnaEmmanuel Macron et le Président turc, M.Erdogan
Emmanuel Macron et  le Président turc, M.Erdogan - Sputnik Afrique
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Emmanuel Macron recevait le 5 janvier dernier à Paris le Président turc, M.Erdogan. Les deux hommes se sont entretenus lors d'un déjeuner où les dossiers régionaux mais également la question des droits de l'Homme devaient être abordés. Didier Billion, spécialiste de la Turquie et directeur adjoint de l'IRIS a analysé cette rencontre pour Sputnik.

Lorsqu'on lui demande les raisons de la réception de Recep Tayyip Erdogan à Paris, M.Billion met en avant la volonté du Président français de vouloir renouer le dialogue avec l'ensemble des acteurs internationaux ainsi que la prise de conscience d'Emmanuel Macron quant au rôle stratégique d'Ankara pour la défense des intérêts français et européens. Selon le spécialiste,

«C'est un message assez fort adressé à la Turquie sur le thème "Nous n'avons pas rompu les ponts; il faut continuer à se rencontrer, à se voir, à dialoguer et si possible à prendre des initiatives communes"».

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Il ne croit pas à une hypothèse émise par plusieurs médias français selon laquelle la Turquie d'Erdogan se serait isolée sur le plan international. Au contraire, M.Billion estime qu'Ankara n'a pas «rompu avec ses alliances traditionnelles» mais que son statut de puissance émergente lui permet de diversifier ses relations diplomatiques. Il développe son propos en expliquant:

«La Turquie diversifie ses relations. On le voit avec la Russie évidemment, on le voit avec l'Iran, avec des pays africains. La Turquie n'est plus dans une relation quasi-exclusive avec l'Occident. Elle a une diplomatie à 360°.»

Le directeur adjoint de l'IRIS reconnaît que les relations de la Turquie avec les puissances occidentales se sont détériorées à la suite d'erreurs d'Ankara. Il estime néanmoins que ces erreurs sont dues à l'instabilité des voisins de la Turquie, comme l'Irak ou la Syrie. Il explique ces erreurs par le fait qu'«il est difficile pour les dirigeants turcs de se repérer et d'élaborer une politique stable parce que la région n'est pas stabilisée».

Interrogé sur la situation des journalistes et des universitaires emprisonnés en Turquie, il estime «nécessaire que des gestes politiques soient émis» concernant les détenus contre lesquels il n'existe pas de preuve d'un lien avec le coup d'État manqué de juillet 2016. M.Billion se montre plutôt satisfait de l'approche choisie par le Président français car il considère qu'il y a «une complémentarité entre la défense des valeurs et la défense des intérêts» nationaux.

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Selon lui, Emmanuel Macron peut se permettre, contrairement à Jean-Marc Ayrault en 2016, d'aborder le sujet des droits de l'Homme avec son homologue turc. M.Billion se montre critique envers l'ancien Premier ministre dont les déclarations sur les «dérives liberticides» du gouvernement turc n'étaient «pas des plus habiles à un moment où la Turquie était mise en péril par une tentative de coup d'État». Il développe son idée en déclarant:

« Lorsqu'un État est victime d'un putsch, il est nécessaire de lui apporter un soutien inconditionnel. […] Le contexte dans lequel M.Ayrault s'était exprimé lui avait valu effectivement une réaction rude d'Erdogan. Aujourd'hui nous sommes dans un contexte différent.»

De plus, de l'avis de M.Billion, le Président français évite, en déclarant à l'avance qu'il compte parler des droits de l'Homme, deux écueils. D'une part, il ne se pose pas en donneur de leçons, ce qui serait sans aucun doute «la pire des attitudes» à avoir. Et d'autre part, il ne risque pas que son initiative soit perçue comme du chantage car

«Si Emmanuel Macron tentait de faire du chantage, cela aurait irrémédiablement l’effet contraire car M. Erdogan n'est pas homme à céder à un quelconque chantage que ce soit»

Cependant, il souligne que tout progrès dépendra de la bonne volonté du gouvernement turc et que la France a des moyens limités en dehors de sa capacité de persuasion. Il explique que la France «ne dispose pas de beaucoup de leviers pour convaincre M.Erdogan de changer de position [sur les droits de l'Homme]».

La venue d'Erdogan à Paris correspond forcément, dans une certaine mesure, à la défense des intérêts de la France. Répondant à une question sur le gain espéré de la France au Moyen-Orient avec la réception du Président turc, M.Billion différencie plusieurs dossiers.

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Le spécialiste estime que la France est devenue inaudible sur le dossier syrien, la qualifiant d'acteur mineur du fait des «nombreuses erreurs sous les présidences de M.Sarkozy d'abord puis de M.Hollande». Emmanuel Macron pâtit ainsi des erreurs commises par ses prédécesseurs et qui minent encore la crédibilité de Paris en Syrie.

Son constat est radicalement différent en ce qui concerne l'Iran. Il voit dans le dossier iranien un potentiel point d'accord entre Paris et Ankara. Il reprend les déclarations de M.Erdogan parlant de contacts avec Rohani et voit en Turquie «une position de soutien à M.Rohani. Je pense que Macron est dans la même posture».

Il s'attarde sur une éventuelle visite du Président français à Téhéran et s'en montre extrêmement partisan. Il déclare à ce propos:

«Je souhaite que [cette visite] puisse se réaliser dans les meilleurs délais. Ce serait une nouvelle tout à fait exceptionnelle. Ce serait la première fois que le dirigeant d'un grand pays occidental se rend en Iran depuis la Révolution islamique [de 1979, ndlr].»

L'avis de M.Billion diffère de celui de M.Agkönül, spécialiste de la Turquie à l'Université de Strasbourg, pour qui M.Erdogan venait en France «faute de mieux». Pour le directeur adjoint de l'IRIS, le choix de la France repose certes en partie sur l'état des relations turco-allemandes, mais aussi et surtout sur le fait qu'Erdogan voit en Macron un homme qui a la volonté de réformer l'Europe et de faire évoluer les conventions. Il conclut sur l'idée suivante:

«Aujourd'hui, au vu des tensions avec l'Allemagne, Erdogan a décidé que la France offrait le meilleur cadre pour mener à bien une reconstruction normalisée de la relation turco-européenne». 

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