Macron en Chine: la victoire du pragmatisme diplomatique

© REUTERS / Thomas PeterFrench President Emmanuel Macron and Chinese President Xi Jinping review the guard of honour during a welcoming ceremony at the Great Hall of the People in Beijing, China January 9, 2018.
French President Emmanuel Macron and Chinese President Xi Jinping review the guard of honour during a welcoming ceremony at the Great Hall of the People in Beijing, China January 9, 2018. - Sputnik Afrique
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Affaires économiques et enjeux diplomatiques étaient au programme du déplacement de Macron en Chine. S’il peut indéniablement se targuer de quelques succès, il n’a pas obtenu de Pékin de grosses concessions sur les dossiers sensibles. Pierre Picquart, géopolitologue spécialiste de la Chine fait un bilan de la visite présidentielle pour Sputnik.

La visite officielle d'Emmanuel Macron en Chine s'achève et la presse nationale l'encense. Michèle Cotta y voit dans Le Point le «nouvel empereur de Chine» tandis que L'Express le rebaptise «Makelong le Chinois». Sa prestation est saluée de manière unanime, tout comme sa volonté de faire «entrer la relation [franco-chinoise] dans une nouvelle ère».

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Qu’attend donc la France de la nouvelle route de la soie chinoise?
Pierre Picquart, géopolitologue français spécialiste de la Chine et du monde chinois estime qu'il y est arrivé, en ancrant la relation entre les deux pays dans le long terme grâce à son pragmatisme et sa vision multilatéraliste, deux qualités que partagent Emmanuel Macron et Xi Jinping, président de la République populaire de Chine.

Sur les dossiers économiques, la France a dû faire face, de l'aveu même du ministre de l'Économie Bruno Le Maire, à des négociations difficiles. L'embargo sur les volailles persiste, celui sur la viande de bœuf en vigueur depuis 2001 prendra bien fin prochainement, mais le mérite revient au gouvernement précédent. Paris a également fait, toujours selon Bruno Le Maire, des «efforts sur le prix» de l'usine de retraitement des déchets nucléaires qui devrait être construit par Areva et Airbus a pu remplir son carnet de commandes sans pour autant remettre en question l'équité chinoise entre Airbus et Boeing.

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Interrogé à ce propos, Pierre Picquart réfute l'idée de succès en demi-teinte et se dit optimiste,

«Même si la France n'a pas obtenu tout de go un ensemble de contrats mirifiques comme l'attendaient les marchés.»

Il ne faut, selon lui, pas oublier que les accords avec Pékin sont issus de négociations passées et correspondent à une vision à long terme. Il estime ainsi qu'Emmanuel Macron marque des points en «proposant un partenariat global stratégique à la Chine tant sur les questions sécuritaires que sur les domaines économiques et financiers».

«Ce ne sont généralement pas quelques contrats économiques, aussi bons ou aussi moyens soient-ils, qui marquent un partenariat avec la Chine. Ces contrats sont le fruit des négociations passées ou des négociations à venir. […] C'est vraiment le partenariat de stratégie globale qui va être important.»

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La réalité économique montre en effet un rapport de force clairement en faveur de Pékin dans la relation franco-chinoise. La balance commerciale française affiche un déficit d'environ 30 milliards d'euros avec Pékin. De plus, les investisseurs chinois ont des capacités d'action extrêmement importantes. Ces sujets ont bien sûr été abordés, Emmanuel Macron rappelant à ce sujet son inquiétude quant à une «nouvelle hégémonie chinoise». Selon M. Picquart, la France dispose malgré tout du levier européen pour faire infléchir la position chinoise.

Par ailleurs, Xi Jinping et Emmanuel Macron ont pu aborder toute une série de dossiers diplomatiques et c'est dans ce domaine que la visite d'Emmanuel Macron aura sans doute été la plus productive. Le géopolitologue estime que l'expression de «nouvelle ère» est encore plus pertinente lorsqu'on traite des relations diplomatiques que des relations économiques entre Paris et Pékin sous l'impulsion d'Emmanuel Macron. Le fait que ce dernier affiche la volonté de créer un partenariat stratégique global avec la Chine plaît chez le géant asiatique.

S'agissant des «Nouvelles routes de la Soie», Emmanuel Macron a déclaré vouloir que la France puisse «reprendre la main» sur ces axes stratégiques. Pierre Picquart apparaît optimiste quant aux chances d'Emmanuel Macron d'agir en moteur européen. De l'avis du géopolitologue, le «plus grand projet planétaire jamais mené» est certes défendu par la Chine, mais «modulable», pensé de façon à ce que tous les États puissent s'y rattacher, de manière unilatérale ou multinationale.

«La Chine compte, avec des partenariats qui vont concerner entre 60 et 100 pays, construire des stratégies en matière d'infrastructures et en matière d'échanges économiques, culturels et financiers, y compris avec la France. Et c'est une première.»

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Emmanuel Macron pense qu'en basant la relation sur des «partenariats gagnant-gagnant» et sur une «croissance verte», l'Europe peut apporter une contribution significative à l'initiative chinoise. Jusque là frileuse, l'Union européenne est donc enjointe par le Président de la République à se rallier au projet chinois.

«Le fait que la chancelière allemande soit en difficulté actuellement pour composer son gouvernement pose M. Macron sur le devant de la scène européenne. Tout en ménageant ses partenaires européens, le Président français est le premier à valider le projet [des nouvelles routes de la soie].»

Sur la question des droits de l'Homme, Emmanuel Macron repart en revanche bredouille. Car, abordée publiquement ou «en tête à tête» comme il le dit lui-même, la France ne dispose pas de moyens de faire pression sur la Chine. M. Picquart estime que certains progrès pourraient être faits à ce sujet dans la foulée de la visite du chef d'État français. Il considère que «la Chine n'étant pas une démocratie» et les droits de l'Homme «une préoccupation européenne», il faut aborder le problème autrement. L'expert souligne les progrès de Pékin pour sortir sa population de la pauvreté et estime que le pays «sait très bien qu'il y a des étapes à franchir pour atteindre le rêve chinois». Pour lui, Emmanuel Macron mentionne avant tout la question des droits de l'Homme pour répondre aux attentes de la presse française.

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Le déplacement d'Emmanuel Macron en Chine coïncidait avec la première rencontre inter-Corée et le sujet devait être abordé par les deux chefs d'État. S'il réfute l'idée que Paris ait pu faire pression sur Pékin, car la «Corée est aussi une inquiétude pour la Chine qui fera tout son possible pour que la Corée du Nord rentre dans le rang», il estime néanmoins que «la France, effectivement se renforce un peu plus sur ce dossier même si elle a toujours été présente, notamment en votant toutes les résolutions de l'ONU».

La France, engagée militairement au Sahel depuis plusieurs années affichait avant le déplacement de M. Macron en Chine ses ambitions d'inclure Pékin dans le dispositif sécuritaire de la région sahélo-saharienne. L'expert avoue ne pas avoir plus de détails sur le sujet, même s'il explique qu'il y avait «des discussions pour former une force multinationale y compris avec la Chine, ce qu'on appelle le G5» et qu'à sa connaissance les discussions sont toujours en cours.

Malgré tout, l'axe principal qu'a développé Emmanuel Macron lors de sa visite en Chine a été le climat. Donnant suite à son slogan «Make our Planet great again», il a tenté d'amener Pékin à assumer aux côtés de Paris le leadership de la lutte contre le changement climatique. Un projet qui est «pris très au sérieux» par la Chine. Le géopolitologue estime qu'il y a, dans ce domaine, une «vraie révolution culturelle» chez le géant asiatique qui veut s'associer à un projet «global». Emmanuel Macron arrive, avec sa proposition de partenariat global, arrive à point nommé.

Pierre Picquart dresse donc un bilan globalement positif de la prestation du Président de la République sur le territoire chinois. La vision multilatéraliste défendue par Emmanuel Macron «répond au souhait de la Chine». Il se dit donc optimiste quant au futur de la relation et conclut:

«Si l'engagement est réciproque et si l'engagement est réel, on aura grâce à ce partenariat stratégique global des avancées dans tous les domaines —économiques, culturels, universitaires, financiers, spatial, etc.»

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