Témoignage: poursuivi en justice par Macron pour une blague!

© Photo Maya BaghirovaJean-Paul Mongin
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Six mois d’enquête, un dossier d’instruction de 800 pages. D’ici deux mois, deux hommes seront jugés pour «usurpation d’identité» après l’envoi d’un «mail potache» sur Emmanuel Macron durant les présidentielles. Une disproportion de moyens qui trahirait le réel dessein des enquêteurs: traquer de supposées ingérences russes pendant la campagne.

«Une blague potache entre militants politiques», tels sont les mots employés par Me Henri de Beauregard, avocat de Jean-Paul Mongin, pour dépeindre à l'AFP le délit dont est accusé son client. Ce jeune éditeur parisien de 38 ans, ancien responsable associatif et père de quatre enfants, est ainsi visé par une procédure judiciaire qui pourrait lui valoir un an d'emprisonnement, assorti de 15.000 € d'amende. Il lui est reproché d'être à l'origine d'un email satirique sur le candidat Macron durant la campagne présidentielle.

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L'email, intitulé «dix bonnes raisons de ne pas voter pour moi», et prétendument signé par Emmanuel Macron, a été envoyé à quelques dizaines de contacts à deux jours du premier tour. Un courriel qui, comme le souligne la rédaction de Valeurs Actuelles, première à se faire l'écho de l'affaire, «n'aurait pu convaincre un enfant de 5 ans qu'il émanait véritablement du candidat.» Le prévenu enverra même le texte à des membres de l'équipe de campagne de Macron, par taquinerie, à en croire son avocat.

Le clin d'œil passe mal aux yeux du candidat d'«En Marche!», qui au lendemain de son premier succès et d'un dîner à la Rotonde, a saisi la justice par le biais de son avocat, Me Jean Ennochi. Ce qui est reproché à l'auteur de cet email n'est pas son contenu, peu flatteur à l'égard du bilan de l'ancien ministre de l'Économie de François Hollande, mais l'adresse email d'envoi et la signature du message: Emmanuel Macron.

«Je note que la plainte d'Emmanuel Macron vise des faits d'usurpation d'identité, et non de diffamation», s'amuse Jean-Paul Mongin.

C'est donc pour «usurpation d'identité» que Jean-Paul Mongin comparaîtra avec un supposé «complice», comme lui ancien salarié de l'association SOS Éducation, le 14 mars devant la 17e chambre correctionnelle du TGI de Paris.

Plus que le chef de prévention, c'est la démesure des moyens policiers et judiciaires déployés dans cette affaire qui interpelle. Il faut dire que d'après le principal intéressé, dont la famille ainsi que l'entourage (élargi) ont été éclaboussés par l'enquête, le dossier constitué par la police serait particulièrement fourni, 800 pages, et ferait état d'un «nombre de démarches auprès d'opérateurs de téléphonie et de fournisseurs d'accès à internet absolument invraisemblable!»

«La PJ a convoqué pour audition mon épouse, mes relations professionnelles, des journalistes avec qui j'étais en lien. L'enquête a visé tout mon entourage, des membres de ma famille jusqu'à de simples contacts. Par exemple, j'ai une cousine qui est orthodontiste et dont le curriculum vitae se trouve dans le dossier. Les relevés bancaires d'un de mes ex- collaborateurs également…»

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Des auditions —dans les locaux flambants neufs de la PJ au 36, rue du Bastion- qui ont débuté près de six mois après le dépôt de plainte de l'équipe d'Emmanuel Macron, laissant présager du temps passé par les fonctionnaires de la PJ à constituer leur dossier. Le prévenu évoque ainsi les vérifications effectuées en province aux adresses renseignées lors des créations de boîtes de courriels par lesquelles ont transité l'email litigieux, les recoupements téléphoniques sur lesquels s'appuient les accusations à son encontre, ou une demande de perquisition.

«Ils sont allés jusqu'à rechercher dans des dizaines d'heures de vidéosurveillance s'ils ne me voyaient pas rentrer dans un bar au moment où j'aurais pu créer l'adresse email pour faire cette blague.»

Un zèle des autorités judiciaires qui l'a d'autant plus surpris que l'affaire est lancée après le premier tour de la campagne électorale.

«Les lendemains de victoire, on a quand même connu des princes un peu plus magnanimes…»

Ce manque de magnanimité pourrait-il en partie s'expliquer par un manque de tolérance à l'égard de la critique? À en croire Le Parisien, celui qui n'est encore que ministre de l'Économie s'adjoint les services de trois avocats «dédiés à traquer les propos diffamatoires» le concernant. Et Emmanuel Macron en veut pour son argent puisqu'il demande à ses avocats «d'obliger les hébergeurs à supprimer les insultes ou de les contraindre à dévoiler l'identité des auteurs d'injures et autres insinuations le concernant sur la toile.» Toujours selon le quotidien, «Macron ne voulait rien laisser passer.»

«Ce jusqu'au-boutisme dans la volonté d'éradiquer une opposition marginale, et qui en l'espèce n'a plus du tout d'activité, est inquiétant. Imaginons ce que cela va donner avec les outils législatifs annoncés dernièrement pour restreindre les libertés de la presse!»

Cette affaire trouve en effet écho dans l'actualité, alors que Françoise Nyssen, ministre de la Culture, vient de dévoiler les premiers éléments de la loi anti fake news, un sujet qui était déjà cher au cœur du Président du temps de la campagne présidentielle. À l'époque, Emmanuel Macron s'affiche vent debout face aux campagnes de désinformation dont il se dit la cible, notamment de la part de vos serviteurs, médias publics russes. C'est dans ce contexte que s'inscrit vraisemblablement l'enquête diligentée contre Jean-Paul Mongin. Pour ce dernier, il paraît évident que la plainte déposée pour «usurpation d'identité» et la tourmente dans laquelle il est plongé n'est qu'un «prétexte» aux yeux de l'État pour poursuivre la vraie enquête, celle sur la fameuse «ingérence russe» qu'Emmanuel Macron voit partout…

«Je l'ai compris tout de suite lorsqu'ils m'ont interrogé sur des liens avec des personnalités russophones que je ne connaissais absolument pas…»,

notamment des figures du monde de la culture et de l'université. Des allusions qui, selon Jean-Paul Mongin, revenaient régulièrement lors des auditions d'autres personnes issues de son entourage. «Il s'est passé beaucoup de choses durant cette campagne, surtout des choses venant de la Russie» auraient ainsi affirmé les policiers.

«En l'occurrence, je pense que ce qui a pu les intéresser, c'était peut-être le fait que je me rende en Russie de temps à autre pour aller présenter mes petits livres de philosophie» précise l'éditeur.

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Coïncidence malheureuse? Quelques jours avant sa convocation dans les locaux de la Police judiciaire, Jean-Paul Mongin, qui se rend en visite à Saint-Pétersbourg, ne trouve pas ses bagages à son arrivée: «En Russie, on m'a indiqué que ma valise n'avait pas quitté Roissy. J'étais le seul de mon vol dans ce cas, et elle n'a jamais été retrouvée», s'étonne-t-il.

Quoi qu'il en soit, il affirme que ses liens professionnels avec la Russie sont strictement limités à l'activité de sa maison d'édition de livres pour enfants, qu'il développe parallèlement à sa recherche d'un nouvel emploi. De leur côté, les personnes dont Jean-Paul Mongin affirme qu'elles ont été citées dans cette enquête n'ont pas encore répondu à nos demandes de commentaire à ce sujet.

En tout état de cause, quel que soit le verdict qui sera rendu à l'issue du procès qui s'ouvre le 14 mars prochain, pour Jean-Paul Mongin, l'affaire affecte déjà lourdement sa vie familiale et professionnelle:

«Au-delà de la tension extrême à laquelle nous avons été soumis pendant toute cette période d'auditions et de confrontations absurdes, il y aura des impacts sur ma maison d'édition et sur ma reconversion professionnelle, c'est évident.»

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