Malgré les appels du pied de Paris, Alger boude le G5 Sahel. Pourquoi?

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L’Algérie a fait du non-engagement de ses troupes en dehors de son territoire un principe cardinal de sa politique étrangère. Toutefois, d’autres raisons expliquent pourquoi ce pays est aux abonnés absents des réunions sur le G5 Sahel, malgré les sollicitations françaises. Analyse.

À Bruxelles, c'était un nouveau round de «crowdfunding», ce vendredi 23 février, au profit du G5 Sahel. En effet, la France cherche à se désengager du bourbier terroriste en impliquant les États concernés en a récolté des soutiens, jusqu'aux confins de l'autre Sahara, dans le Golfe persique. Jusqu'à ce jour, toutefois, elle devra compter sans le soutien de la principale puissance dans la région: malgré les sollicitations de Paris, Alger refuse de prêter main-forte à une guerre qui se déroule pourtant à ses frontières.

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Pour les médias algériens, qui se réfèrent à des sources officielles, ce refus découle du «principe», érigé au rang de «doctrine», de non-engagement de ses troupes à l'extérieur de ses frontières.

«Pays leader en matière de lutte contre le terrorisme en Afrique et dans la région arabe, l'Algérie n'est présente ni dans la Coalition de Ryad ni dans le G5 Sahel de Paris. Attachée à sa doctrine de ne pas engager des troupes en extérieur, Alger refuse d'adhérer à des alliances qui exigent des opérations en dehors de son territoire.», analyse le premier média électronique algérien, TSA.

Pourtant, ce principe a souffert quelques exceptions. Les plus notables, en ce qu'elles ont été les plus assumées, ont été l'engagement des troupes algériennes contre les Israéliens. En 1967, la fin des hostilités a acculé les troupes algériennes envoyées par le président Houari Boumediene à un retour au bercail. En 1973, toutefois, l'armée algérienne a largement participé aux combats, de façon souvent décisive.

Mais ces exceptions ne constituent, au demeurant, qu'un arbitrage constitutionnel, entre «la non-ingérence dans les affaires intérieures» d'autres États (art.31) et la solidarité de «tous les peuples qui luttent pour la libération» (art. 30). Pour un ancien officier de l'armée algérienne approché par Sputnik, la France connaît bien la réticence des Algériens à s'engager, de façon générale, en dehors de leurs frontières. Les différentes sollicitations de Paris seraient donc uniquement «formelles».

«En réalité, les Français ne veulent pas des Algériens dans le G5 Sahel, parce qu'ils veulent être à la manœuvre. Avec les Algériens dans le G5 Sahel, ça aurait été impossible», estime cet ex-officier algérien, désirant garder l'anonymat.

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«Impossible», en raison d'une «incompatibilité de vision», selon cette source qui estime que les Français ont une approche purement sécuritaire du Sahel, alors que l'Algérie a tendance à privilégier les approches politiques. C'est ainsi que l'Algérie a pu amener, à l'été 2015, les différentes parties prenantes au conflit malien à s'asseoir autour d'une table pour signer les Accords éponymes. La même approche prévaut en Libye, où l'Algérie s'est jointe à l'initiative tunisienne, en décembre 2016, pour trouver une issue politique à la crise dans ce pays, qui patauge dans l'insécurité depuis l'intervention militaire franco-britannique en 2011.

«Les Français font l'erreur des Américains, ils pensent qu'occuper le terrain militairement avec une force permettra de sécuriser la zone, l'Algérie sait que si les conflits ne sont pas réglés politiquement, vous pouvez envoyer autant d'hommes et d'armes que vous voulez, ce sera comme remplir d'eau un baril troué», analyse l'ancien officier algérien.

Pourtant, l'Algérie avait initié, quelques années avant la naissance du G5 Sahel, un mécanisme similaire impliquant des pays de la région. Il s'agit du CEMOC (Comité d'État-major opérationnel conjoint), lancé en avril 2010 et basé à Tamanrasset. Cette structure réunissait, théoriquement, les forces armées de pays sahéliens, sous l'égide de l'Algérie. Selon Akram Kharief, consultant algérien dans la défense et la sécurité, si l'Algérie boude le G5 Sahel, c'est justement parce qu'elle

«considère qu'elle est la véritable initiatrice du projet, avec le CEMOC. L'Algérie est très étonnée de voir que la France débarque [en août 2014, ndlr] avec le même projet dans ses cartons sans rien demander à l'Algérie. Elle considère que c'est une initiative parallèle qui dilue les efforts de la lutte contre le terrorisme», a poursuivi Kharief dans un entretien avec Sputnik.

En d'autres termes, à «l'Algérie (qui) est tout à fait la bienvenue au G5 Sahel», Alger réplique qu'elle «ne prend pas le train en marche», expression qu'aurait opposée Houari Boumediene à un Habib Bourguiba lui proposant de rejoindre l'Union éphémère qu'il venait de sceller avec la Libye, en 1974. D'autant plus qu'un autre train circulait sur une voie parallèle, avec octroi d'aides financières et logistiques, même si des commentateurs y voient une structure sans réel impact.

​​Reste à savoir dans quelle mesure l'Algérie pourrait s'accommoder d'une situation d'insécurité au Sahel, avec une coalition armée étrangères à ses frontières. Côté français, on ménage les susceptibilités, autant que faire se peut. À la veille d'un raid qui devait cibler des terroristes en territoire malien, près des frontières algériennes, le général de corps d'Armée Ahmed Gaid Salah, vice-ministre de la Défense et chef d'état-major de l'Armée, a reçu l'Amiral Bernard Rogel, chef d'état-major particulier d'Emmanuel Macron.

«Même si le but de cette visite, annoncée à la dernière minute, n'a pas été précisé, Rogel serait venu informer le premier responsable opérationnel de l'armée de l'action qui allait être menée dans la nuit même en territoire malien à proximité du territoire algérien», croit savoir le site TSA.

Pour Akram Kharief, l'intérêt de l'Algérie commande qu'elle soit plus active sur le terrain, même si elle

«considère qu'elle n'a pas à mener une guerre pour le compte d'une puissance occidentale, d'autant plus que celle-ci assume une grande responsabilité dans la situation actuelle, à travers l'intervention en Libye.»

Dans une déclaration à Sptunik, la chercheuse dans l'Institut Carnegie, Dalia Ghanem Yazbeck, estime également que «l'Algérie a un rôle central à jouer dans la sécurité au Sahel, et tant que l'Union européenne, surtout la France, ignore ce fait, la paix ne sera pas au rendez-vous.»

«Il serait bien que l'Algérie donne vie au CEMOC, c'est-à-dire que ça devienne plus qu'un tigre en papier. Le CEMOC doit passer à l'action, c'est-à-dire commencer à activement prendre en charge sa mission. Le CEMOC doit par exemple créer cette base militaire commune qui devait accueillir une force sahélienne dans le Sahara Algérien au plus vite et faire en sorte de remplir sa mission première à savoir "mener des opérations de localisation et des opérations militaires pour la destruction des groupes terroristes"», a indiqué Ghanem Yazbeck à Sputnik.

«Après le lancement du G5 Sahel, l'Algérie est en train de réactiver le tigre de papier qu'est le CEMOC. Peut-être qu'une doctrine militaire défensive est également nécessaire. Le pays a les capacités réaliser cela», selon la chercheuse spécialisée dans les questions de terrorisme en Algérie.

Pour Akram Kharief comme pour l'ex-officier algérien, le risque est que des considérations politiques internes prolongent le statu quo. D'abord, parce que la menace terroriste est considérablement atténuée dans ce pays qui

«est tout de même en position de force. On a une armée professionnelle, un renseignement efficace, un budget de la Défense très important, on a tiré les leçons d'Aïn Amenas», d'après l'ex-officier algérien approché par Sputnik.

Cette prise d'otage massive qui s'est déroulée en janvier 2013 sur un site pétrolier aux confins du Sud algérien avait fait une quarantaine de victimes. Elle avait été perpétrée par Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), une organisation terroriste active dans le Sahel. L'assaut final a été réalisé par les forces spéciales algériennes.

Mais refuser de s'associer aux Français peut s'avérer, en outre, en cohérence avec un discours officiel qui pointe «la main de l'étranger dans l'instabilité régionale», d'après Kharief, en référence à l'intervention occidentale en Libye, mère de toutes les vicissitudes régionales.

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