«Après avoir vu autant de morts, j'ai flanché»: témoignages d’enfants soldats de Daech*

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Exactions, torture, décapitations et entraînements pour rejoindre les rangs des djihadistes, tel est le vécu des anciens enfants soldats de Daech* ayant combattu dans le Kurdistan irakien. Détenus aujourd’hui dans des centres de réhabilitation et de déradicalisation, ils expliquent les horreurs de la guerre dans un reportage réalisé par le Figaro.

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Alors que la guerre en Irak contre l'organisation terroriste Daech [interdit en Russie] est terminée en Irak, des milliers d'enfants soldats recrutés par les djihadistes sont placés dans des centres de réhabilitation et de déradicalisation. Des envoyés spéciaux du Figaro se sont avancés jusqu'à Erbil dans le Kurdistan irakien pour interroger ces jeunes soldats.

Dans une ancienne prison reconvertie en centre de détention et de réhabilitation pour mineurs, conçue pour accueillir 120 personnes, 460 prisonniers s'entassent dont 309 sont d'anciens membres de cette organisation terroriste.

«Nous sommes entassés à plus de 30 par cellule, il y a la gale et la nourriture est infecte», expliquent-ils au micro du Figaro.

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Ils sont jeunes, ils se sont engagés, ils ont combattu aux côtés des djihadistes. Ont-ils tué? La réponse est toujours négative. Ahmed, Karim et Mahmoud, arrêtés, en armes, à quelques mois de leur majorité par les Kurdes, clament leur innocence. Ils évoquent des malentendus ou des erreurs d'identité. Par ailleurs, pour la kalachnikov en bandoulière, ils n'ont aucune explication. Condamnés, ils attendent leur sortie de prison dans quelques mois.

«Je les ai rejoints pour leurs idées. À la mosquée, on me répétait que la charia et Abou Bakr al-Baghdadi étaient les voies à suivre. Mon père est commerçant et possède de nombreuses propriétés. J'allais à l'école et je n'avais aucun problème. Beaucoup de jeunes étaient, comme moi, fascinés par les hommes de Daech*. Ils m'ont donné un uniforme, une kalachnikov. J'ai appris à manier les explosifs, les armes, à me battre. J'ai vu beaucoup d'exécutions, de décapitations et de tortures. Des homosexuels étaient jetés du haut des immeubles», confie ainsi Adel, qui s'est engagé dès l'âge de 15 ans.

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S'il condamne aujourd'hui les exactions du groupe terroriste, il évoque également des sentiments tout à fait différents.

«On était les rois. Les filles étaient à nos pieds!», lance-t-il.

La phrase lancée trop vite, il se vite reprend pour éviter le sujet des marchés aux esclaves.

«Il y avait bien des épouses à vendre à Mossoul. Mais elles étaient surtout destinées aux cadres de Daech*. Avec ma solde de 50 dollars par mois de Daech*, je n'avais pas les moyens d'acheter une femme», a-t-il expliqué.

Mustafa, 17 ans, qui avait rejoint volontairement les rangs de Daech* n'ose pas lever son regard apeuré dans la salle d'interrogatoire.

«Les hommes de Daech* m'ont proposé de commettre un attentat suicide. J'ai refusé. Ils n'ont pas insisté. Il y avait beaucoup de candidats. Je voulais mourir au combat les armes à la main», relate-t-il.

Le jeune homme avoue avoir suivi une formation en trois étapes: la charia, l'entraînement physique, puis le tir.

«Ils m'ont donné une kalachnikov et 50 dollars par mois. J'ai combattu pendant six mois en première ligne à Mossoul. Sur le front, j'ai rencontré beaucoup d'étrangers. Les Français sont les plus durs. Ils sont plus cruels. Ils n'hésitent pas. Ils ne doutent pas. Moi, après avoir vu autant de morts et de massacres, j'ai flanché et j'ai eu peur», a-t-il avoué.

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Mais son engagement était mû par la récompense promise aux terroristes.

«J'étais sûr de mourir en martyr et d'aller au paradis pour avoir les 72 vierges», a-t-il conclu.

Hala et Samia, d'origines yézidies, ont été enlevées à Sinjar en 2014 puis vendues à plusieurs reprises à des djihadistes pour servir d'esclaves sexuelles. Elles ont été battues et violées pendant trois ans.

«Ils nous ont forcées à suivre des entraînements, se souviennent les deux sœurs. Nous avions une kalachnikov, une grenade et une ceinture d'explosifs pour tuer l'ennemi. Ils m'ont appris à me servir d'une ceinture explosive. J'étais prête à mourir et me sacrifier, si seulement j'avais pu emmener dans ma mort un maximum de djihadistes. Je n'ai pas eu à le faire. Nous avons réussi à nous enfuir et retrouver ce qu'il reste de notre famille», s'est livrée à son tour Hala.

Converties de force, les deux sœurs n'ont jamais renié leurs origines, elles confient leur peur et le rejet de cette religion.

«Il y a beaucoup de musulmans dans le camp. L'appel à la prière me terrorise. Je ne vois pas comment nous pourrons vivre paisiblement aux côtés de ces intégristes après ces horreurs», ont confié les jeunes filles.

De son côté, Diman Mohamed Bayiz, directrice du centre de détention juvénile, confie son désarroi.

«Ces enfants soldats sont un nouveau phénomène pour nous. Ils sont arrivés massivement dès le mois d'août 2017 après la chute de Mossoul. Ils se sont sauvés et ont été arrêtés par les forces kurdes. Nous avons toujours connu l'extrémisme en Irak mais nous n'étions pas préparés à de tels profils en si grand nombre», a-t-elle expliqué soulignant que le centre était débordé et que les spécialistes faisaient de leur mieux pour «apporter de l'aide à ces enfants manipulés, en commençant par les traiter comme des êtres humains».

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Pour Shwan Saber Mustafa, fonctionnaire au sein de cette prison, les autorités ne sont «pas à la hauteur de la menace», et ne fournissent pas assez de moyens pour réhabiliter ces jeunes.

«Si ces enfants sont des victimes, ils sont aussi très dangereux. Ces programmes, encore insuffisants, ne sont possibles que grâce à l'aide des ONG. La guerre contre Daech* semble finie mais ce n'est en réalité qu'un début. La région compte près de 4000 mosquées, et la radicalisation des esprits s'accentue. Le pire est à venir car Daech* est dans les têtes. Notre seule arme pour le contrer c'est l'éducation», a-t-il conclu.

*Daech est une organisation interdite en Russie.

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