Malgré les sourires, Trump et Macron en désaccord sur l’Iran: la France et l’UE en péril

© AP Photo / Evan VucciEmmanuel Macron et Donald Trump
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Macron et Trump ont tous deux affirmé qu’il fallait revoir l’accord sur le nucléaire iranien. Mais derrière cette apparente convergence de vues, les désaccords sont profonds entre les deux hommes. Parviendront-ils à les surmonter ou Macron devra-t-il s’effacer devant les desiderata de Trump, qui menace de réduire l’accord sur le nucléaire à néant?

Donald Trump et Emmanuel Macron se sont longuement entretenus sur l’Iran et sur l’accord nucléaire adopté en 2015. Le Président de la République a-t-il été jupitérien, réussissant à infléchir la position intransigeante de l’hôte de la Maison-Blanche? Le flou reste pour l’instant de mise: au-delà des éléments de langages diplomatiques et des démonstrations d’amitié, comment évolue le rapport de forces entre la France et les États-Unis sur ce dossier explosif?

«Donald Trump n'a pas lâché du lest, le Président Macron non plus d'ailleurs. Au-delà de l'impression d'un accord, au moins partiel, il existe un très sérieux différend parce que la question de fond demeure: est-ce que l'on continue avec l'accord nucléaire actuel avec l'Iran ou est-ce qu'on le détruit avant d'essayer de construire quelque chose d'autre?»

François Nicoullaud, ambassadeur de la France à Téhéran de 2001 à 2005, analyse la réunion entre Donald Trump et Emmanuel Macron sur le dossier iranien qui s'est tenu ce 24 avril. Si globalement, la presse internationale reprend l’annonce d’Emmanuel Macron sur un «un nouvel accord» sur le nucléaire iranien, François Nicoullaud juge que l’entente entre les Présidents français et américain à ce sujet n’est que de façade, pour le moment:

«La discussion n'est pas fermée, les deux hommes vont se rencontrer à nouveau, le Président Trump va rencontrer la chancelière Merkel dans quelques jours, et puis je note, ce qui peut peut-être donner un peu d'espoir, qu'à la fin de la conférence presse hier, Trump a dit: "il faut quand même être souple". Ce qui laisse entendre qu'il est peut-être prêt à évoluer sur sa position.»

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Si Trump a laissé sous-entendre que sa position sur le dossier iranien n'était pas complètement figée, il semble avoir aussi imposé à ses alliés européens que la version initiale du fameux deal était bien à mettre au passé. En effet, si le Président français n'a cessé de défendre cet accord et d'appeler à son «nécessaire respect», il a toutefois déjà commencé à le détricoter verbalement. Macron a en effet annoncé depuis Riyad en novembre dernier qu'il fallait compléter cet accord et y inclure le programme balistique et le rôle de l'Iran dans la région, laissant planer de sérieuses incertitudes quant à son application. Mais s'il est trop tôt pour définir un vainqueur entre les deux Présidents, le grand perdant, pourrait bien entendu, être tout d'abord l'Iran:

«La grosse difficulté […] c'est que l'Iran n'est d'accord sur rien. […] L'Iran considère que l'accord actuel est parfaitement suffisant, qu'il faut commencer par l'appliquer avant de songer à le modifier ou à le compléter et n'a pas du tout l'intention de négocier sur son programme balistique ou sur son rôle dans la région.»

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Considérant que Macron et Trump ont présenté aux micros tendus des «constructions intellectuelles», François Nicoullaud rappelle en effet que l'Iran conserve la position de 2015, qui étaient celle adoptée par toutes les parties- américaines, russes, chinoises, françaises, britanniques et allemandes- et l'a signifié à nouveau ce 25 avril, en réponse aux discussions entre Trump et Macron.

Cependant, l'ex-ambassadeur rappelle que ce n'est qu'un accord signé ne comportant pas «le caractère d'un traité international au sens strict du mot avec toutes les obligations juridiques qui y sont attachées», mais davantage un «plan d'action».

Donc finalement, les États-Unis et Donald Trump jouent simplement la carte d'une volonté souveraine et la France semble suivre. Mais à quel prix?

«Je pense qu'on prend de gros risques en rouvrant la discussion, parce que si la France et les États-Unis sont à peu près d'accord pour rouvrir la discussion sur de nouveaux chantiers, l'Iran n'est pas du tout d'accord, donc on est toujours au point zéro de l'évolution du dossier.»

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Une remise en cause qui se ferait au risque d'un retour en arrière considérable, d'après François Nicoullaud. En effet, comme le rappelle le porte-parole du Kremlin, cet accord entre l'Iran et les 5 +1 est le «fruit des efforts diplomatiques de nombreux États» et si la position officielle de Moscou rejoint celle de Téhéran, notons qu'elles sont accompagnées par des soutiens réels, mais peu explicites, de la part de l'UE et de l'Allemagne. Si la Chine n'a pas encore officiellement réagit à «ce jeu», à cette proposition imposée de nouvel accord, on peut aisément imaginer qu'elle sera du même acabit de celle de la Russie.

«La Russie et la Chine n'entreront dans le jeu que si l'Iran, lui-même est d'accord. Donc, on repart au point zéro. Et il est peu probable que ces deux pays se laissent entraîner dans la tentative d'ouverture d'une négociation qui impliquerait de faire pression sur l'Iran, de prendre sans doute de nouvelles sanctions à l'égard de l'Iran, ils n'entreront pas dans ce jeu-là.»

Malgré les premiers sons de cloches européens en défaveur du consensus supposé entre Trump et Macron, la puissance américaine sur ce dossier laisse tout de même à penser que les États-Unis et les pays occidentaux s'uniront à nouveau, comme en Libye ou en Syrie, si un nouveau front apparaît contre l'Iran:

«On peut toujours passer à un conflit direct, effectivement, c'est tout à faire possible! Mais je ne pense pas que cela soit une menace immédiate. Trump a l'habitude des propos à l'emporte-pièce, des menaces un peu rhétoriques. L'establishment militaire américain n'est pas du tout dans l'idée d'ouvrir un conflit avec l'Iran. C'est quelque chose de très lourd, qui ouvre de très lourdes incertitudes, donc il est probable qu'il freinera des quatre fers.»

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Si ce conflit direct n'est pas encore d'actualité malgré les déclarations inopportunes de Donald Trump, les autorités iraniennes ont annoncé ces derniers jours leur volonté de se passer du dollar dans leurs échanges commerciaux, lui préférant l'euro. Mais pour François Nicoullaud, cette opération sera longue:

«Là encore c'est rhétorique, parce que c'est plus facile à dire qu'à faire. […] Les circuits financiers internationaux jusqu'à présent sont l'objet d'un quasi-monopole du dollar. […] "Mais il est possible de bâtir d'autres mécanismes. Effectivement, il faut se mettre au travail, cela prendra encore du temps, cela ne se fera pas du jour au lendemain."

En effet, si la puissance de dissuasion de l'Iran est le premier aspect de l'accord sur le nucléaire, ses conséquences directes touchent l'économie, la finance et le commerce. Un commerce international qui permettrait à l'Iran de sortir de ses difficultés économiques, mais aussi un commerce bilatéral qui bénéficierait aux pays membres de l'UE et en premier lieu à la France.

"Les intérêts économiques de l'Europe risquent d'être atteints, parce que si Trump sort de l'accord, en principe, toutes les sanctions américaines sont rétablies. Et donc aussi les sanctions secondaires qui visent les pays tiers: des sanctions qui cherchent à empêcher d'autres pays que les États-Unis de commercer avec l'Iran."

Expliquant de manière précise que les pays européens dépendent du bon vouloir des États-Unis au sujet des échanges commerciaux, l'ex-ambassadeur ajoute à son propos l'exemple du pétrole:

"Depuis la fin des sanctions, l'Europe a recommencé à acheter du pétrole iranien. C'est une source importante pour l'Europe. Et donc, des sanctions américaines qui couperaient le robinet entre l'Iran et l'Europe, cela va créer des tensions très, très fortes."

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Finalement, et même si François Nicoullaud n'y répondra pas explicitement, la grande question qui existait avant la venue aux États-Unis d'Emmanuel Macron et qui subsiste plus que jamais aujourd'hui est de savoir si ce dossier iranien peut créer de réelles tensions entre les États-Unis et ses alliés occidentaux:

"Si les Américains prennent des sanctions unilatérales, les Européens peuvent protester, peuvent prendre des mesures de protection, peut-être, mais je ne crois pas qu'ils en arriveront à prendre des mesures de rétorsion."

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