Comment Libé intoxique en faisant de la désintox

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«Russia Today, Sputnik… un mois d’intox passé au crible», le titre d’un papier que Libération consacre aux médias publics russes ne laisse guère de place au doute sur nos intentions malveillantes. Mais l’exercice est d’autant plus dangereux que son auteure se laisse visiblement aveugler par ses propres préjugés. Libé désintox.

Le fact checking, c'est bien… quand il s'appuie sur des faits. Ce n'est visiblement pas le parti-pris de nos confrères de Libé, qui ont consacré un long article à la soi-disant campagne d'«intox» qu'auraient menés Sputnik et RT à propos des événements de Douma, en Syrie.

Le ton est donné dès le début de ce papier très à charge: «Démentis, accusations de faux, productions de contre-preuves… la vague de fake news russe a réussi à semer le doute sur la réalité de l'attaque chimique du régime syrien à Douma le 7 avril.»: depuis quand présenter des «contre-preuves» serait une «fake news»?

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L'ensemble du papier est du même tonneau: Hala Kodmani, notre consœur, en est réduite à présenter des faits de manière tendancieuse, nous reprochant par exemple de donner la parole au Centre russe pour la réconciliation des parties en conflit en Syrie, pourtant l'un des acteurs de terrain, reconnu aussi bien par le gouvernement syrien que par l'opposition pour sa mise en œuvre des accords d'Astana (zones de désescalade, etc.) Si naturellement, cet acteur défend dans ses déclarations les intérêts et points de vue russes sur la question syrienne, il n'est ni plus ni moins de parti-pris que n'importe quel autre acteur de ce conflit.

De même, elle indique que nous donnons la parole à différents officiels russes, apportant leurs démentis aux accusations de gazage à la Douma. C'est parfaitement exact et c'est notre métier de journaliste de le faire. Elle oublie au passage de mentionner que Sputnik a dans le même temps relayé des déclarations d'officiels français, américains ou britanniques sur le même sujet, souvent, il est vrai, en les mettant en perspective ou avec un regard critique.

Comme le déclarait Emmanuel Todd plutôt connu pour ses penchants atlantistes, au micro de France culture:

«J'ai dû aller sur le site de RT France, le truc russe, pour comprendre à peu près ce qu'il se passait en Syrie. C'était beaucoup plus détaillé, il y avait toutes les informations qu'il y avait dans les autres [médias], plus d'autres.»

Dans le collimateur d'Hala Kodmani, on retrouve également le reporter britannique Robert Fisk, suspect à ses yeux de «défendre» le gouvernement de Damas. Correspondant pour The Independent dans la région depuis 30 ans tout de même, son reportage de terrain à Douma venait en effet à l'encontre du discours mainstream sur les gazages. Pourtant, nous apprend sa fiche Wikipédia, il «a reçu plus de récompenses pour son travail de journaliste que n'importe quel autre grand reporter britannique.» La même fiche nous apprend aussi, c'est vrai, qu'«en 2013, lors de la guerre civile syrienne, Robert Fisk conteste la responsabilité du régime de Bachar el-Assad dans l'attaque chimique de la Ghouta, à partir de là ses prises de position suscitent des critiques de nombreux journalistes qui estiment que Robert Fisk prend le parti du régime syrien.» Fiche bien mise à jour, puisqu'en référence à cette accusation, on trouve notamment… le papier de notre consœur de Libé, mais aussi des articles critiques de Slate ou L'Express, qui mentionnent Robert Fisk en passant, pour expliquer qu'il n'est pas fiable, sans autre forme de procès.

Qu'il ait pris parti pour Bachar el-Assad est une possibilité, en effet. Que les éléments que ce reporter respecté a recueillis sur le terrain aillent à l'encontre d'un discours dominant et qu'il subisse à ce titre des attaques gratuites comme celles que nous avons relevé l'est au moins autant.

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Sauf erreur de notre part, c'est tout aussi gratuitement que Mme Kodmani nous accuse d'avoir relayé des accusations de la SWEDHR (Swedish Doctors for Human Rights), une obscure ONG suédoise. Il se trouve qu'une recherche sur le site de Spuntik France, avec ces mots-clefs ou le nom de son président, Marcello Ferrada de Noli, donne trois résultats, datant tous d'avril… 2017. Chez nos confrères de RT France, la même requête donne un seul résultat, également en avril 2017. Et de fait, la citation que relève notre consœur, «des opérations de sauvetage de l'ONG Casques blancs, qui auraient été filmées dans la foulée d'attaques chimiques en Syrie, constituent un "fake" et auraient été effectuées sur un enfant déjà mort» est bien issue d'un papier publié sur Sputnik France le 10 avril 2017, à propos d'opérations de sauvetage opérée par les Casques Blancs en 2015. Faire une erreur d'un an sur la publication d'un papier et de trois ans sur les faits incriminés relève pour le moins de la légèreté en matière de «fact-checking».

Il est en revanche exact que nous émettons régulièrement des doutes sur l'impartialité des Casques Blancs, financés par les USA et la Grande-Bretagne et connus pour n'opérer qu'en zone tenue par les djihadistes Al-Nosra. Mêmes réserves, que nous maintenons ici, sur l'OSDH (Observatoire Syrien des Droits de l'Homme): que l'ensemble des médias citent les bilans et dépêches de cette organisation n'enlève rien au fait que derrière le sigle se cache un seul homme, installé à Londres depuis 2000. Rami Abdel Rahman, de son vrai nom Ossoma Suleiman, est un opposant à Bachar El Assad et personne n'a jamais rencontré l'un des mystérieux «correspondants» sur lesquels il affirme s'appuyer pour fournir ses informations.

Nous ne prendrons pas la peine de fact-checker nous-mêmes l'article de notre consœur, l'exercice serait fastidieux pour le lecteur. Un seul exemple, tout de même: dès le second paragraphe, elle évoque les «rebelles syriens de Jaich al-Islam». Or ce groupe est en fait d'obédience salafiste, dont certains membres sont également proches des Frères musulmans. Les qualifier de «rebelles» et non de «djihadistes» ou «d'extrémistes» relève d'un parti-pris très clair.

Ce biais, comme celui qui imprègne tout l'article, est-il dû au fait que sont auteure, Hala Kodmani, est la sœur de Bassma Kodmani, cofondatrice du Conseil national syrien (organe de l'opposition syrienne basé à Paris), comme nous l'apprend une interview qu'elle a accordé à France24

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