En expulsant les migrants pêle-mêle, l’Algérie est-elle fidèle à elle-même?

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L’Algérie, qui au lendemain de son indépendance, «ouvrait ses portes à tous les damnés de la terre», est-elle en train de dilapider son capital de sympathie dans le continent noir après les accusations, de plus en plus récurrentes, sur des maltraitances qu’elle ferait subir aux migrants subsahariens?

«Les autorités algériennes n'expulsent pas les migrants subsahariens. Elles les renvoient uniquement vers le prolongement stratégique de l'Algérie.»

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Derrière la boutade cruelle entendue à Alger, une polémique récurrente depuis quelques mois: l'Algérie ferait peu de cas des immigrants subsahariens sur son sol.

ONG, OCHA, HCDH, une avalanche de contestations…

Le 22 mai, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme appelait l'Algérie, rapport d'experts onusiens à l'appui, à cesser les rafles massives de migrants originaires d'Afrique subsaharienne. Le 17 avril dernier, le bureau onusien des affaires humanitaires (OCHA) indiquait que 28.000 Nigériens avaient été expulsés d'Algérie depuis 2014. Des expulsions «massives», des arrestations «arbitraires» avaient été dénoncées par beaucoup d'ONG, algériennes et internationales.

​L'avalanche de contestations s'est particulièrement attachée aux conditions dans lesquelles se sont effectuées ces expulsions. Les conditions de détention dans les centres de détentions algériens seraient «inhumaines et dégradantes», d'après l'ONU, s'exprimant au conditionnel. Les migrants seraient ensuite largués en plein désert et priés de rallier à pied le Niger voisin, d'après des sources onusiennes et associatives concordantes.

Pour les Nigériens, les expulsions sont «totalement légitimes», mais…

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Curieusement, la préoccupation de Niamey concerne d'autres griefs. Les expulsions de Nigériens sont «totalement légitimes», d'après le ministre nigérien de l'Intérieur, Mohamed Bazoum. On reproche seulement à Alger d'expulser pêle-mêle, vers le Niger, tout migrant à la peau noire, même s'il n'est pas ressortissant de ce pays. Niamey plaide aussi pour qu'Alger épargne les travailleurs. Le sort des mendiants ayant été scellé par l'accord de rapatriement entre Alger et Niamey, et datant de 2014. Pour le reste…

«Algérie, pays d'hospitalité»

De leur côté, les autorités algériennes ont rejeté avec «force les accusations à tort» de certaines ONG de faillir à ses obligations internationales en matière de solidarité, d'accueil et d'hospitalité envers les migrants subsahariens, a relayé l'agence de presse officielle, APS.

«Des mesures de reconduite à la frontière d'un certain nombre de migrants illégaux ont ainsi été décidées et mises en œuvre en veillant au strict respect de la dignité et des droits humains des personnes concernées et en étroite concertation avec les États dont ils sont ressortissants», peut-on lire dans un communiqué des Affaires étrangères algériennes, datant du 24 mai.

À l'attention de l'ONU, le ministère des Affaires étrangères opposera ce qui suit.

«Les mesures de reconduite aux frontières se font conformément à la loi algérienne, aux obligations internationales de l'Algérie et dans le strict respect de la dignité et des droits humains des personnes concernées. L'Algérie voudrait une nouvelle fois affirmer […] qu'elle se doit […] de prendre toutes les mesures qu'elle estime nécessaires pour assurer la sécurité et le bien-être de ses citoyens ainsi que des étrangers séjournant légalement sur son territoire.»

L'argument sécuritaire

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Derrière le chauvinisme laconique des communiqués, les autorités algériennes s'avèrent être un peu plus expansives avec les acteurs locaux. «Le gouvernement nous oppose l'argument sécuritaire», apprend-on de la bouche de Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne des droits de l'homme, dans un entretien avec RT France.

Pour l'expert algérien en questions de sécurité, Akram Kharief, il y a bien une part de vérité dans les considérations liées à la sécurité. Et pour cause, la plupart des expulsions concernent les réseaux de mendicité, eux-mêmes susceptibles de liens avec le narcoterrorisme.

«Sans vouloir faire d'essentialisme, il s'agit de ressortissants d'une région où il y a une forte implantation de narcoterrorisme. Le Sahel, région exportatrice du terrorisme, est au cœur de la route de la cocaïne, qui démarre en Guinée équatoriale pour finir à Marseille. Il y a donc une peur d'avoir des gens non identifiés sur le sol algérien et c'est ce qui explique un peu l'attitude des autorités algériennes», explique le fondateur du site Menadefense.

Prestige historique écorné?

Si infime soit-elle, «la part de vérité» dans les accusations portées contre l'Algérie est troublante. Et pour cause, l'Algérie a longtemps été le héraut de toutes les causes perdues du continent. Après son indépendance, dès les années Ben Bella et tout au long de l'ère Boumediene, l'Algérie a été d'une aide considérable, souvent déterminante, dans l'émancipation des peuples luttant pour la décolonisation. Pendant, des années, elle «ouvrait (ainsi) ses portes à tous les damnés de la terre».

Nouveaux combats, nouveaux soutiens. L'Algérie continue aujourd'hui d'apporter une aide aux pays africains, confrontés à de nouveaux défis. À l'occasion du 50e anniversaire de l'organisation panafricaine, l'Algérie a effacé la dette de 14 pays africains, pour un total de plus de 900 millions USD (767 millions d'euros), sans aucune contrepartie. À ces voisins du Sahel, frappés de plein fouet par le terrorisme, elle débloque régulièrement des dizaines de millions de dollars, et met à leur disposition son expérience en matière d'antiterrorisme, «douloureusement très riche».

«Malgré que l'Algérie fait plus efforts que quiconque dans la région, l'absence de communication des autorités algériennes là-dessus et la brutalité des expulsions font que son action passe inaperçue […] Dès lors, l'image de l'Algérie et ses relations avec les pays en question en pâtissent comme on peut s'y attendre», a déclaré à Sputnik Yacine Berbar, enseignant universitaire de Droit.

Dans un article intitulé «L'Algérie se soucie-t-elle de son image?», publié sur le premier site d'information francophone en ligne, le journaliste Makhlouf Mehenni s'inquiétait des répercussions de cette affaire de migrants sur le prestige historique de l'Algérie.

«L'Algérie se serait bien passée d'une telle infamie. Le mot est peut-être trop fort, mais un pays aux longues traditions d'hospitalité et de panafricanisme n'a pas le droit de se faire clouer au pilori sur la place publique pour les pratiques de son administration à l'égard d'hommes et de femmes à la peau noire.»

Verrouillage du régime de plus en plus assumé en cette période de fin de règne? Stigmates de la décennie noire? Énième manifestation de la «Hogra» (humiliation, mépris) dont souffrent les Algériens? Pour Yacine Berbar, il s'agit davantage d'une culture «autarcique» d'un régime, couplée à une considération sécuritaire de plus en plus prononcée.

«Il y a des lignes rouges, comme la sécurité nationale, sur lesquelles le régime algérien est intransigeant. Pour cela, il se fout bien de l'image qu'il donne, et ne fait aucun effort pour l'améliorer ou la soigner. Tout le contraire du Maroc par exemple.», a conclu Berbar.

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