La loi Fake news, une «menace de l'existence de la police de la pensée» ?

© AP Photo / Francois MoriL'Assemblée nationale
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Annoncé en janvier par le Président, le projet de loi fake news a été présenté à l'Assemblée nationale le 7 juin. Les discussions, menées par Jean-Luc Mélenchon dans son rôle de tribun, promettent d'être agitées. Menace à la liberté d'expression, entrave au travail de journaliste, texte impossible à appliquer, Sputnik revient sur le fond du débat.

Le 7 juin dernier, l'Assemblée nationale a commencé à débattre de la loi fake news annoncée par le Président de la République début janvier. Comme il y a six mois, de nombreux points font polémique et provoquent une levée de bouclier de l'opposition et, comme il y a six mois, Sputnik et RT font partie des débats.

Qu'il s'agisse de la saisie d'un juge en référé pour statuer sur la véracité d'une information, de la suppression de contenu sur les réseaux sociaux, de l'institution d'une «police de la pensée» ou de l'impact sur la profession de journaliste, les aspects présentés par la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, dans une interview au HuffPost le 15 janvier dernier ont provoqué de vives réactions dans l'hémicycle du Palais Bourbon. Et alors qu'elle défendait un texte qu'elle qualifiait d'«équilibré» et «efficace», la ministre a dû, fait rare par les temps qui courent, faire face à une opposition unie contre le projet de loi.

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Loi fake news: «La menace qu’elle représente est totalement disproportionnée»
Répondant directement à Françoise Nyssen, la députée LR Constance Le Grip dénonçait un texte permettant à Emmanuel Macron de passer «de la phase défensive à la phase offensive [après avoir] été victime de la campagne d'information menée par les médias étrangers» tandis que Jean-Luc Mélenchon expliquait que «cette loi ne sort pas de nulle part» sans écarter l'hypothèse que ce soit «à cause de l'aigreur du chef de l'État».

Le chef de file de la France insoumise ajoutait dans la foulée que le projet de loi débattu correspondait moins à un règlement de compte qu'à une requête émise depuis Washington pour freiner le soft power russe. Sur les bancs de l'Assemblée, le tribun déclarait:

«Ce qui est arrivé, c'est que nos bons amis nord-américains, ayant compris que les Russes avaient engagé la bataille du soft power à l'échelle de la planète […], nous ont demandé de prendre des mesures.»

Pourtant, au-delà des interrogations sur les raisons d'un tel projet de loi, plusieurs arguments ont été repris tant par Les Républicains (LR) que par La France Insoumise (LFI). Les deux principaux partis d'opposition au parlement ont en effet dénoncé la menace que ferait peser le texte présenté sur la liberté de la presse et la liberté d'expression.

Fidèle à lui-même, Jean-Luc Mélenchon amenait rapidement le débat sur le plan philosophique. Le député LFI pointait du doigt l'incohérence de vouloir séparer le vrai du faux en politique, où tout est une question d'interprétation.

«A la fin, il s'agit quand même de distinguer la vérité de l'erreur par la loi et c'est là-dessus que nous divergeons. Nous ne sommes pas dans le domaine des sciences […] mais dans le domaine de la politique. Perdons à jamais l'illusion que la décision politique puisse être objective», déclarait-il, avant de citer Robespierre pour donner du poids à son argument.

Le député des Républicains Julien Aubert rejoignait le leader de la France Insoumise sur ce point et estimait que

«C'est la subjectivité qui fait la beauté de la campagne électorale. Comment peut-on définir en quelques minutes la vérité?».

Constance Le Grip, autre députée LR ayant pris la parole face à la ministre de la Culture, se montrait, elle, beaucoup plus directe quant à la nature de la menace. Interrogeant la représentante de l'exécutif sur la «menace de l'existence d'une "police de la pensée"», elle estimait que le «risque, même minime, ne devrait pas être pris» dans l'intérêt des citoyens:

«Ne jouez pas aux apprentis sorciers. Ne fabriquez pas des lois sur un coup de com' pour uniquement cocher telle ou telle case», enjoignait la députée LR.

Dans le texte, il est également proposé que le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA) classe les médias en deux catégories en fonction de l'indice de confiance qui leur serait attribué.

​Et cette mesure a provoqué une véritable levée de boucliers de la gauche. Jean-Luc Mélenchon tançait:

«Nous ne pouvons pas être d'accord [pour donner cette responsabilité au CSA]. Le CSA n'a jamais reçu je-ne-sais-quelle onction qui l'autoriserait à décréter ce qui est vrai et ce qui est faux. Tiens donc! C'est le CSA qui va décider de notre géopolitique!».

Estimant que la décision de bloquer un média sous influence de l'étranger est éminemment politique et qu'elle implique des conséquences politiques, géopolitiques et diplomatiques, le leader de la France insoumise refuse qu'elle revienne à une administration et considère que seule l'Assemblée nationale peut, en tant que représentante de la nation, prendre une telle décision.

«Je ne suis pas d'accord pour que le président du CSA décide que la Russie est notre partenaire ou notre ennemi. […] C'est à nous, en toute raison politique, de le déterminer.»

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Des lois anti-fake news pas si contraignantes qu’on veut bien le penser?
L'implication des GAFA dans l'équation n'a pas plus satisfait le député LFI qui opposait à la régulation des fake news par les diffuseurs le manque de sens moral de ces derniers sur un ton pas franchement bienveillant, malgré les efforts de Google, Facebook, Twitter et consort pour mieux filtrer les contenus:

«On va demander aux diffuseurs d'être responsables de ce qu'ils diffusent. Fort bien, mais comment? C'est déjà supposer qu'ils ont de la morale. Vous plaisantez? Les GAFA, un sens moral? Voilà qui est nouveau! Facebook, Google, qui ne payent pas d'impôts ont un sens moral, et c'est à eux que l'on va confier le soin d'établir ce qui est vrai…».

Si monsieur Mélenchon a trouvé, sur les débats du projet de loi fake news, un allié de circonstance chez les Républicains, il ne s'est pas pour autant priver de lancer quelques piques à destination de ses pairs à droite de l'hémicycle à l'instar de celle adressée à la députée Le Grip:

«Madame Le Grip a dit tout à l'heure: "l'enfer est pavé de bonnes intentions." Et bien, il y a trois fausses informations dans la même phrase. Que l'enfer existe, qu'il est pavé, et de bonnes intentions en plus!», raillait le député de la France insoumise.

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