Élections en Turquie et «fête de la démocratie»: Erdogan, de Reïs à Sultan

© AP Photo / Ali UnalSupporters of Turkey's President and leader of ruling Justice and Development Party Recep Tayyip Erdogan celebrate outside his party's headquarters in Ankara, Turkey, late Sunday, June 24, 2018.
Supporters of Turkey's President and leader of ruling Justice and Development Party Recep Tayyip Erdogan celebrate outside his party's headquarters in Ankara, Turkey, late Sunday, June 24, 2018. - Sputnik Afrique
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Erdogan, réélu Président de Turquie! Si le suspens était tout relatif, sauf peut-être pour la presse mainstream, cette nouvelle victoire présidentielle et législative assoit encore plus le pouvoir du «Reïs», du chef, qui se voit maintenant Sultan. Un titre qui cadre mal avec la «leçon de démocratie» qu’il affirme avoir donnée au monde.

Recep Tayyip Erdogan reste le Président de la Turquie. Il a été réélu dimanche 24 juin pour un nouveau mandat de 5 ans dès le premier tour, avec près de 52% des voix. Et son camp législatif, mené par son parti l'AKP, a obtenu la majorité au Parlement turc. La victoire est donc totale. Si bien que, sans attendre les chiffres officiels rendus par le Conseil électoral supérieur, et donc la validation des résultats, le Président turc n'a pas hésité à annoncer sa victoire dès dimanche soir.

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Souvent vilipendé par la presse occidentale qui n'a pas hésité, à l'instar de l'AFP, à considérer que l'on faisait face, au vu de la vigoureuse opposition à sa candidature, à des «élections à risque pour Erdogan», les ONG en tous genres et même par les politiques des pays européens, le Président turc ne s'est pas privé de provoquer tous ses détracteurs lors de son discours de victoire:

«Il y a eu une participation record à ces élections et notre peuple, ainsi, a pu lancer un message très important au monde entier. Le message est tout à fait clair: la Turquie a eu un taux de participation de l'ordre de 90% et ainsi donné une leçon de démocratie au monde entier. C'est une victoire de la démocratie ce 24 juin en Turquie.»

«La Turquie a donné une leçon de démocratie au monde entier.» Au-delà de la phrase-choc, quelle pertinence accorder à ce propos? Recep Tayyip Erdogan a mis en avant le taux de participation de ces élections, environ 90%, dénigrant aisément les faibles mobilisations des derniers scrutins, notamment en Europe. Si la démocratie est certainement fragilisée par une faible participation, les 90% des dernières élections turques peuvent aussi questionner. Et l'opposition ne s'est d'ailleurs pas fait prier pour dénoncer ici et là les bourrages d'urnes et autres fraudes électorales. Mais cette «victoire de la démocratie» s'adresse aussi à ces opposants, qui, malgré leur critique d'un absolutisme du Président en place, ont pour le moment tous accepté la victoire de leur ennemi. Erdogan poursuivait alors ce dimanche soir:

«Le 24 juin, notre peuple n'a pas simplement voté pour un Président et pour 600 députés. Notre peuple a également voté pour un nouveau système de gestion du pays en accord avec le changement constitutionnel, avec le rajout de nouvelles dispositions ou avec une nouvelle structuration.»

Fort de ce nouveau plébiscite, le Reïs se déclare Sultan, en rappelant qu'au-delà de cette victoire à la Présidence, mais aussi au Parlement, les citoyens turcs approuvent à nouveau la modification de la Constitution entérinée par le référendum de 2017, passant d'un régime parlementaire à un système présidentiel.

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En effet, en avril 2017, le peuple turc avait approuvé les réformes proposées par son Président et lui octroyant encore davantage de pouvoir, puisque de ce dernier s'attribuait les missions du Premier ministre, dont le poste était supprimé. Si ses soutiens ont considéré que, dans un contexte d'instabilité politique, cette révision constitutionnelle renforcerait les institutions démocratiquement élues, ses opposants ne cessent de dénoncer une véritable dérive autoritaire.

Nonobstant une certaine unité dans l'opposition, le Sultan Erdogan a donc réussi son pari. Conscient des enjeux à venir et des attentes de ces concitoyens, le dirigeant du régime d'Ankara a évoqué longuement l'économie et le commerce alors que son pays est en délicatesse dans ces secteurs-là. En effet, si la livre turque a réagi favorablement aux résultats de l'élection, et malgré une croissance forte (environ 7%), l'inflation dépasse les 10% et le taux de chômage les 17%. Mais au-delà de ce domaine, qui était un enjeu crucial dans ce scrutin, Erdogan en a remis une couche sur la démocratie durant son discours:

«Renforcer notre démocratie, répondre aux nouveaux besoins en matière de droit et de liberté, en tout cela, nous sommes tout à fait décidés.»

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Si le message est clair, précisons que les faits le sont tout autant. Tout d'abord, de nombreux journalistes sont encore incarcérés dans les geôles turques, plus de 120 selon Reporters sans frontières, qui qualifie la Turquie d'Erdogan de «l'une des plus grandes geôles du monde». De plus, des milliers d'opposants à la politique du Président sont aussi derrière les barreaux, sans évoquer la situation des «terroristes kurdes». Enfin, ajoutons que le député des Côtes-d'Armor, Christine Prunaud, a été arrêté en Turquie avec sa délégation au début du vote, alors qu'ils s'étaient rendus sur place pour observer la tenue de ce scrutin.

Finalement, la tentative ratée ou le pseudo «coup d'État» de 2016, aura largement servi Erdogan: il s'en est servi pour purger massivement l'administration et mettre la presse en coupe réglée, assurant sa mainmise sur le pays. Ce dernier n'a d'ailleurs pas hésité à pérorer à la fin de son discours, rappelant ainsi qui était le véritable chef de la Turquie:

«Les tutelles, ceux qui ont voulu organiser des coups d'État, les bandes de rue, les organisations terroristes, toutes ces choses ne contrôlent plus la Turquie depuis longtemps et nous allons continuer notre voie jusqu'à que la Turquie devienne l'un des dix pays les plus importants dans le monde.»

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