Face aux sanctions américaines contre l’Iran, l’UE a «peu de moyens de pression»

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Activation de la loi dite «de blocage» par la Commission européenne, saisie de l'OMC par les États-membres… Face au premier volet de sanctions américaines contre l'Iran, les européens semblent démunis pour protéger leurs intérêts économiques face à l'extraterritorialité du droit américain, malgré des précédents.

C'est chose faite: depuis mardi 07 août, l'Iran est de nouveau sous embargo économique américain. Face à l'inéluctable, les chefs de la diplomatie française, allemande, britannique et européenne avaient déclaré la veille, dans un communiqué commun, leur «profond regret» de voir de telles sanctions rétablies.

Des Européens qui ont par ailleurs annoncé l'activation de la fameuse loi dite «de blocage» afin d'aider les entreprises européennes à ne pas se conformer aux embargos unilatéraux décrétés par les États-Unis.

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Mardi matin, depuis Wellington, en Nouvelle-Zélande, où elle était en visite, Frederica Mogherini a appelé les petites et moyennes entreprises (PME) à renforcer leurs relations économiques avec l'Iran. La haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité estime qu'il s'agit d'une «priorité en matière de sécurité» pour l'UE, et affirme que les Européens sont libres de commercer avec qui ils veulent.
Pas si sûr, cependant, que leur marge de manœuvre soit si large, comme le souligne Emmanuel Dupuy, Président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). Il attire l'attention sur les similitudes entre les cas iranien et chinois: en effet, dans un cas comme dans l'autre, Donald Trump leur a promis un nouveau volet de sanctions à l'automne.

«Les moyens dont disposent les Américains sont considérables. Ils sont considérables, car le principe de l'extraterritorialité s'applique dès qu'il s'agit de commercer en dollars et la plupart des transactions commerciales, en l'occurrence celles qui se sont remises en place depuis la levée des sanctions en janvier 2016, se font en dollars.»

Pour le président de l'IPSE, il ne fait aucun doute que les premières victimes de ce nouvel embargo de Washington contre l'Iran seront les Européens, tout particulièrement les grands groupes exposés aussi bien par leurs activités aux États-Unis que via l'hétérogénéité de leur actionnariat.

«La plupart des pays qui commercent avec l'Iran sont des pays européens. L'Italie est le premier partenaire économique de l'Iran, l'Allemagne est le second, les Pays-Bas le troisième et la France le quatrième avec l'augmentation —par trois- depuis trois ans, des investissements français en Iran,» déplore Emmanuel Dupuy.

Comme l'avait souligné notre intervenant lors d'une précédente interview, contrairement aux Européens, les Américains n'ont pas massivement investi en Iran après la levée des sanctions internationales. En effet, si de nombreux observateurs soulignent les contrats iraniens de Boeing, les échanges entre les États-Unis et l'Iran demeurent 100 fois inférieurs à ceux entre l'Iran et l'Union européenne, qui ont atteint 21 milliards d'euros en 2017.

Face à cette capacité des Américains à souffler le chaud et le froid sur les relations économiques des Européens, l'UE paraît pour l'heure encore bien impuissante. Principale mesure brandie par Jean-Claude Juncker après la dénonciation de l'accord de Vienne par Donald Trump, l'activation de la loi dite «de blocage». Celle-ci prévoit de contraindre les entreprises européennes à ne pas se conformer aux embargos décrétés unilatéralement par de pays tiers, sous peine de s'exposer à des sanctions de la part des États membres.

En contrepartie, la Commission ouvre à ces mêmes entreprises un droit à l'indemnisation pour les préjudices juridiques qu'elles pourraient se voir infliger par les autorités américaines.

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Pas dit qu'une telle mesure face reculer Washington. Surtout que, comme le soulignait nos confrères de RT, la Banque européenne d'investissement (BEI), censée soutenir et indemniser les entreprises européennes présentes en Iran, est elle-même exposée au marché américain où elle lève des fonds et donc susceptible d'être prise pour cible par la justice des États-Unis.

On notera par ailleurs que le texte de la loi de blocage stipule qu'une entreprise pourrait être autorisée à se conformer entièrement à toute interdiction étrangère «dans la mesure où le non-respect de celles-ci léserait gravement ses intérêts ou ceux de la Communauté.» Pour rappel, la BNP avait écopé d'une amende de près de 8,9 milliards de dollar pour non-respect d'embargos américains sur le Soudan, Cuba et l'Iran. Pas dit que les Européens acceptent de suivre.

«C'est justement le principe absolument cynique de la loi sur l'extraterritorialité, que nous n'avons pas pris à bras le corps alors que nous aurions dû le faire depuis des années!» s'emporte Emmanuel Dupuy.

Autre moyen de pression sur Washington envisagé par les Européens, faire remonter les litiges auprès de l'OMC. Emmanuel Dupuy rappelle cependant que cette responsabilité incombe à chaque État membre et que les procédures sont généralement longues. Autre bémol, bien qu'il l'ait démenti, Donald Trump aurait l'intention de claquer la porte de cette organisation internationale qu'il qualifie «d'injuste».

«Il y a une forme d'autisme de la position américaine sur laquelle nous avons peu de moyens de pression,» constate notre intervenant.

Une situation d'autant plus surprenante que l'Union européenne a déjà dû faire face aux menaces de sanctions américaines, également concernant l'Iran, mais aussi la Libye et Cuba. En 1996, lorsque la fameuse loi de blocage fut justement créée mais non appliquée, «à l'époque cela se réglait d'avantage par voie diplomatique et dans une forme de rationalité entre partenaires» souligne Emmanuel Dupuy.

Une loi créée alors que, furieuse, Madeleine Albright menaçait directement Total. Le groupe français venait de se positionner sur le gisement gazier South Pars, dans le Golfe Persique, au moment où l'administration américaine forçait ses compagnies à se retirer. Bill Clinton promulguait alors la fameuse loi d'Amato-Kennedy sous les applaudissements de la presse américaine qui pointait du doigt des Européens aux méthodes d'investissement «particulièrement agressives» en Iran.

Face à la détermination américaine, l'UE avait fait entendre sa voix, obtenant finalement gain de cause. Après 22 ans de présence et d'investissements sur ce qui s'avère être le plus grand gisement gazier off-shore du monde, le groupe Total a finalement annoncé qu'il pourrait céder ses parts (50.1%) au chinois CNPC (China National Petroleum Corporation), sans provoquer d'émoi particulier au sein de l'exécutif français.

​Suite à cette annonce de Total, si la presse économique met l'accent sur la perte «limitée» de 100 millions de dollars par l'entreprise, «c'est oublier le fait qu'elle devait investir près de 5 milliards d'euros» dans South Pars, tient à rappeler Emmanuel Dupuy, regrettant des conséquences «dramatiques, au-delà des conséquences immédiates».

«On voit bien qu'il y a les gagnants et les perdants dans cette guerre commerciale et que la faiblesse de la position européenne nous affaiblit, non seulement vis-à-vis des États-Unis sur lesquels nous avons peu de moyens de rétention, mais nous laisse finalement dans une logique de sujétion par rapport aux pays qui vont récupérer les marchés que nous perdons: l'Inde, la Chine et la Russie.»

Des pays des BRICS qui, comme dans le cas de la Russie, ont donné la préférence à leurs monnaies nationales et non au dollar dans leurs échanges avec l'Iran.

«L'Europe essaie de définir un nouveau système d'accréditation bancaire, partant du principe que toutes les transactions mondiales passent par le réseau américain- le réseau SWIFT — donc l'Europe a enfin décidé, mais ça ne sera appliqué qu'à partir de 2019, d'avoir son propre réseau de transactions bancaires.»

Une initiative louable et particulièrement utile pour les PME, cependant les grands groupes européens présents sur le marché américain resteront exposés aux sanctions.

Parmi ces grandes entreprises françaises et européennes qui ont décidé de se retirer du marché iranien, ou de réduire la voilure, les groupes PSA et Renault «50% du marché automobile et des voitures immatriculées en Iran sont issues de ces deux entreprises françaises» rappelle Emmanuel Dupuy. Le Président de l'IPSE évoque également le cas d'un autre constructeur automobile européen particulièrement ciblé par les États-Unis: l'allemand Daimler qui a annoncé le 7 août son retrait d'Iran, l'énergie et l'automobile n'étant pas les seuls secteurs où les intérêts européens sont lésés.

«La France et l'Allemagne avaient prévu de vendre 100 Airbus, seuls trois ont été livrés. Je rappelle que ces Airbus sont facturés en dollars.»

Même cas de figure, souligne Emmanuel Dupuy, pour la compagnie Airbus Léonardo, qui n'a pu livrer que 6 des 20 ATR 72-600 promis à la compagnie nationale Iran Air. La société conjointe franco-italienne avait accéléré la cadence afin de respecter au mieux ses engagements tout en rentrant dans les clous fixés par Washington, une partie des pièces étant fabriquées aux États-Unis. Une situation qui concerne également les banques ou encore des projets d'infrastructures,

«Il était question d'ouvrir une ligne à grande vitesse entre Qom et Arak, dans le nord de l'Iran. Contrat qui avait été lancé avec la compagnie étatique italienne Ferrovie dello Stato, là aussi il y a un blocage ou en tout cas un gel de ses activités par rapport aux menaces et conséquences pour ces entreprises dont la plupart travaillent aussi sur le marché américain.»

En plus de ce tronçon de 135 kilomètres, il était prévu que les italiens s'attèlent à la construction d'une seconde ligne entre Téhéran et Hamedan, située à plus de 300  kilomètres à l'Ouest de la capitale.

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Dernier obstacle, le manque d'unité de l'Union européenne par rapport à 1996. Les États membres, plus nombreux, ont des stratégies qui diffèrent pour défendre leurs intérêts.

La France axe logiquement son action autour des grands groupes, qui forment la colonne vertébrale de son économie, alors que l'UE a pris fait et cause pour les PME, comme en témoigne la prise de parole de Mogherini à Wellington.

Cette déclaration, appelant les PME européennes à renforcer leurs liens commerciaux avec l'Iran, dans la foulée Donald Trump twittait que «quiconque» continuerait à commercer avec la République islamique ne ferait «pas d'affaires avec les États-Unis».

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