Quand une partie de la gauche européenne tourne le dos à l’immigration massive

© REUTERS / Kenny Karpov/ SOS MediteraneeMigrants in an overcrowded plastic raft reach out for life jackets during a search and rescue operation by rescue ship Aquarius, operated by SOS Mediterranean and Doctors without Borders, in central Mediterranean Sea May 18, 2017
Migrants in an overcrowded plastic raft reach out for life jackets during a search and rescue operation by rescue ship Aquarius, operated by SOS Mediterranean and Doctors without Borders, in central Mediterranean Sea May 18, 2017 - Sputnik Afrique
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Le 4 septembre, une star de la gauche radicale allemande va lancer le mouvement politique Aufstehen! (Debout!). Ce dernier prônera un durcissement de la politique migratoire. Une initiative loin d’être isolée: dans plusieurs pays européens, une certaine gauche opère un virage vers plus de sévérité sur l’immigration.

Sahra Wagenknecht juge qu'une «frontière ouverte à tous, c'est naïf».

La coprésidente du groupe parlementaire de la gauche radicale allemande (Die Linke) et coqueluche des médias a secoué le paysage politique outre-Rhin et s'est attiré les foudres des autres partis de gauche en Allemagne.

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Sahra Wagenknecht a récemment annoncé la création d'un mouvement qui aura pour but de rassembler sa famille politique et de contrer la montée en puissance de l'Alternative für Deutschland (AfD), parti anti-immigration qualifié de populiste par ses adversaires et surtout première force d'opposition au Bundestag. Sahra Wagenknecht a décidé d'aller carrément chasser sur ses terres en souhaitant durcir la politique migratoire qui a permis à plus d'un million de migrants d'arriver en Allemagne depuis 2015. Et elle n'y est pas allée de main morte en multipliant les attaques.
Avec Aufstehen! (Debout!), qui sera officiellement lancé le 4 septembre, elle compte en finir avec la «bonne conscience de gauche sur la culture de l'accueil».

Elle a même parlé de «responsables [politiques ndlr] vivant loin des familles modestes qui se battent pour défendre leur part du gâteau».

Des saillies qui n'ont pas plu à Bernd Riexinger, chef de Die Linke: «Un mouvement qui nous affaiblit n'est pas acceptable.» Les sociaux-démocrates du SPD, en chute libre dans les sondages, ont également critiqué l'initiative de la politicienne. «Sahra Wagenknecht se met à rêver d'une gauche populiste en Allemagne», a dénoncé Thomas Oppermann, président du groupe parlementaire SPD. Selon lui, celle qui est née d'un père iranien va monter réfugiés et pauvres les uns contre les autres.

Aussi en Italie et au Danemark

De fait, brillante économiste habituée des plateaux télé, Sahra Wagenknecht justifie son point de vue par la crainte d'une mise en concurrence des travailleurs pauvres. Les milliards d'euros dépensés par le gouvernement pour accueillir les demandeurs d'asile en 2015 «auraient pu aider beaucoup plus de nécessiteux en Allemagne», souligne-t-elle.

«Plus de migrants économiques signifie plus de concurrence pour décrocher des jobs dans le secteur des bas salaires. Le nombre de logements sociaux n'est pas non plus illimité», a-t-elle ajouté.

Des propos qui rappellent ceux de Georges Marchais. Le secrétaire général du Parti communiste français (PCF) de 1972 à 1994 a, à plusieurs reprises, montré son opposition à l'immigration. Il craignait que le patronat ne s'en serve pour tirer les salaires vers le bas.

«Il faut stopper l'immigration officielle et clandestine. Il est inadmissible de laisser entrer de nouveaux travailleurs immigrés en France, alors que notre pays compte près de deux millions de chômeurs, français et immigrés», avait-il lancé à la foule lors d'un célèbre discours prononcé en mars 1980 porte de Pantin.

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Le cas de Sahra Wagenknecht n'est pas inédit. En 2009, Beppe Grillo et Gianroberto Casaleggio lançaient en Italie le Mouvement 5 étoiles (MoVimento 5 Stelle, M5S). Moins de 10 ans après sa création, il s'est hissé au pouvoir en formant une coalition gouvernementale avec la Ligue de Matteo Salvini (droite). Si l'impeccablement coiffé Luigi di Maio a remplacé le fantasque comique Beppe Grillo, la formation politique «anti-système» se revendique toujours à part et refuse les étiquettes gauche et droite classiques. Pourtant, beaucoup des positions du M5S penchent à gauche. Si ses dirigeants se font moins entendre sur la démocratie directe et participative qu'à ses débuts, le M5S se veut un mouvement anticapitaliste, défenseur de la communauté LGBT, écologiste et prône une politique sociale et solidaire. Autant de thèmes chers à la plupart des formations de gauche sur le Vieux Continent.

Reste qu'il dirige le pays avec la Ligue de l'emblématique Matteo Salvini, actuel ministre de l'Intérieur et qui a fait sienne la croisade anti-immigration. Et pour cause, le mouvement créé par Beppe Grillo n'est pas favorable à l'arrivée d'étrangers sur le territoire italien, loin de là. Le comique a milité pour que l'immigration clandestine reste un délit et le M5S «veut garantir à l'Italie le contrôle des flux migratoires».

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Dans les faits, cela veut dire opposition aux accords entre Bruxelles et Ankara sur l'immigration ainsi qu'au droit du sol pour les enfants d'immigrés. Les élus européens du mouvement siègent d'ailleurs avec le groupe Europe de la liberté et de la démocratie directe. Ce dernier compte également l'AfD, les pros Brexit de l'Ukip ou encore les Patriotes de Florian Philippot, ex-numéro 2 du Front national.

Depuis que la coalition M5S-Ligue est aux manettes à Rome, le nombre de migrants qui débarquent en Italie chute drastiquement. Les statistiques sur le nombre de migrants qui sont arrivés dans la péninsule ces trois dernières années, du ministère de l'Intérieur italien, le démontrent:

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Même la très politiquement correcte Europe du Nord est touchée par le phénomène. Les sociaux-démocrates danois sont eux officiellement catalogués à gauche. Pourtant, après leur défaite électorale en 2015, ils ont opéré une volte-face sur la question de l'immigration. En février dernier, ils ont présenté un projet de réforme censé tarir l'arrivée d'étrangers «non-occidentaux» à travers une batterie de mesures, rejeté par les autres partis de gauche.
«Nous voulons plafonner le nombre d'étrangers non-occidentaux accueillis au Danemark pendant une année», expliquait la responsable de Socialdemokratiet, Mette Frederiksen, avant d'ajouter qu'elle souhaitait réformer le système d'asile «en installant des centres d'accueil à l'extérieur de l'Europe». La dirigeante affirmait alors que son pays n'avait plus les moyens d'intégrer les étrangers sur son sol.

«La population au Danemark a changé rapidement en peu de temps. En 1980, 1% de la population danoise n'était pas d'origine occidentale. Aujourd'hui, on est à 8%», soulignait-elle.

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Les sociaux-démocrates ont voté depuis plusieurs années la plupart des lois hostiles à l'immigration. En mai dernier, ils se sont également prononcés pour l'interdiction de la burqa dans les lieux publics.

Lors de la crise migratoire qui a frappé l'Europe entre 2015 et 2017, le royaume scandinave a accueilli environ 30.000 personnes. Il a ensuite fermé ses frontières terrestres avec l'Allemagne et durci sa politique en la matière. En 2017, seuls 3.500 demandeurs d'asile sont arrivés dans le pays.

Danemark
Danemark - Sputnik Afrique
Danemark

Les autres formations d'opposition de gauche au Danemark se montrent critiquent envers les choix des sociaux-démocrates. Le parti d'extrême gauche de la Liste de l'unité a affirmé suite à la proposition de loi visant à freiner l'arrivée d'étrangers «non-occidentaux» que le Danemark ne solutionnerait pas le défi de l'intégration «en se déchargeant de (sa) responsabilité sur l'Afrique du nord». Des propos qui sont dans la droite ligne de ceux tenus par les cadres de Podemos en Espagne, qui sont clairement pro-immigration.

En France, les lignes commencent à bouger. Si le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) d'Olivier Besancenot et Philippe Poutou est pour l'ouverture des frontières, Jean-Luc Mélenchon, figure de proue de la France insoumise, a une position plus nuancée sur la question. En septembre 2016, l'ancien sénateur du Parti socialiste publiait un livre intitulé «Le choix de l'insoumission». Il y détaillait sa position par rapport à l'immigration:

«Une fois que les gens sont là, que voulez-vous faire? Le rejeter à la mer? Non, c'est absolument impossible. Donc il vaudrait mieux qu'ils restent chez eux. Je suis fatigué de ces discussions où les fantasmes s'affrontent les uns et des autres. Entre ceux qui hurlent sans réfléchir et s'en remettent à des expédients sécuritaires sans consistance et ceux pour qui il est normal que tout le monde puisse venir où il veut quand il veut.»

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Des déclarations qui lui avaient attiré les foudres de certains responsables politiques de gauche comme le patron du parti communiste, Pierre Laurent: «Il dit tout cela pour des raisons stratégiques et électoralistes, pas par conviction. Il sait que ce sont des thèmes qui préoccupent les Français.» «Sauf à être naïf sur le bonhomme, quiconque ne voit pas la différence et ne voit pas qu'il a maintenant un côté à dire: "les migrants je les prends quand ils sont docteurs, les autres il vaut mieux les nourrir là-bas plutôt qu'ils viennent chez nous…"», lançait pour sa part Benoît Hamon, le candidat socialiste à la dernière présidentielle.

Pourtant, lors de la dernière course à l'Élysée, le programme du leader de la France insoumise contenait des propositions comme la régularisation des sans-papiers et le rétablissement de la carte de séjour de dix ans comme titre de séjour de référence. Reste à voir si la montée du souverainisme et des craintes liées à l'immigration en Europe impacteront davantage son discours… et son programme. 

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