«Le Polisario n’a pas besoin du Hezbollah ni de l’Iran pour exister»

© AFP 2023 RYAD KRAMDIUniformed soldiers of the pro-independence Polisario Front stand before a Sahrawi flag flying at the Boujdour refugee camp near the town of Tindouf in Western Algeria on October 17, 2017.
Uniformed soldiers of the pro-independence Polisario Front stand before a Sahrawi flag flying at the Boujdour refugee camp near the town of Tindouf in Western Algeria on October 17, 2017. - Sputnik Afrique
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La diplomatie marocaine a, de nouveau, tiré les sonnettes d’alarme à propos de l’Iran, qu’elle accuse de soutenir le Polisario pour renforcer son influence dans la région. Des chercheurs expliquent à Sputnik comment Rabat endosse l’ennemi des Américains pour s’attirer leurs bonnes grâces, dans un contexte «délicat» au sujet du Sahara.

Les piques anti-iraniennes sont récurrentes, depuis quelques mois, sous les cieux chérifiens. Depuis le 1er mai, précisément, date de la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays à l'initiative du Maroc. La dernière sortie du chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, a créé quelques remous à Téhéran. Tant la teneur des propos tenus, que le cadre choisi pour ces déclarations, un média néoconservateur américain, posaient problème.

«Les allégations du ministre marocain des Affaires étrangères, données à un média néoconservateur américain des plus extrémistes, sont en harmonie avec l'anti-africanisme de l'actuelle administration américaine», a regretté Bahram Qassemi, chef de la diplomatie iranienne, dans des déclarations rapportées par l'agence de presse officielle de Téhéran, Irna.

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Dans ce procès contre l'Iran, les accusations de Bourita portent sur deux points: un présumé soutien militaire du Polisario, par le truchement du Hezbollah, mais aussi les velléités de Téhéran d'étendre son influence en Afrique du Nord et de l'Ouest, en instrumentalisant les conflits régionaux, comme celui du Sahara. Ce soft power se déclinerait politiquement, économiquement et idéologiquement, à travers les Libanais du Hezbollah, installés en Afrique, et dont la percée met à mal l'influence « positive » du contre-modèle marocain, qui prône, lui, un islam sunnite « modéré ».

« Nous pensons que ce qui se passe avec le Polisario n'est qu'une partie d'une approche agressive de l'Iran contre l'Afrique du Nord et de l'Ouest. Nous avons déjà relevé des activités (similaires, ndlr) au Sénégal, en Guinée, en Côte d'Ivoire, et même en Guinée Bissau », ajoute Nasser Bourita dans l'interview au média Breitbart, datant du 16 septembre.

Pour Leslie Varenne, spécialiste de l'Afrique, les propos du ministre marocain au sujet d'une supposée influence de l'Iran et du Hezbollah en Afrique épousent des « raccourcis».

« Effectivement, on compte une importante communauté de "Syro-libanais" en Afrique de l'Ouest et une partie de l'Afrique centrale. Mais c'est un phénomène qui date de…la colonisation. Ce sont des commerçants, chiites pour la plupart, et donc originaires du Sud-Liban. C'est vers cette région que leur argent est souvent rapatrié, et ces fonds sont injectés dans l'économie locale. Alors, le Hezbollah peut en profiter, à ce titre. Mais de là à affirmer que c'est lui qui tire les ficelles, c'est un raccourci», souligne la présidente de l'Institut de veille et d'étude des relations internationales et stratégiques (IVERIS), à Paris.

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Les prétentions de l'Accusation se présentent, en outre, comme suit: le Polisario étant ainsi présenté comme la clé de voûte des ambitions iraniennes dans la région, l'administration Trump est priée d'aider le Maroc à faire prévaloir sa démarche, notamment en «concrétisant» son plan d'autonomie, agréé par l'administration Bush en 2006. D'autre part, «le Maroc espère que l'administration Trump encouragera l'injection d'IDE (Investissements directs étrangers) dans l'économie marocaine».

Les médias marocains ont repris l'essentiel des accusations, en prenant soin, pour la plupart d'entre eux, de lisser certains passages dans l'article. Point n'est besoin de reprendre, par exemple, à la suite de l'article américain que «le Royaume du Maroc soutient la politique de l'administration Trump à l'égard de l'Iran», notamment sur la question nucléaire!

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Pierre Berthelot, chercheur associé à l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), explique que ces déclarations s'inscrivent surtout dans «un contexte délicat pour le Maroc», au sujet de la question du Sahara: le mandat de la mission onusienne d'observation du cessez-le-feu au Sahara occidental (MINURSO), arrive à terme le 31 octobre prochain, et sa prorogation, souhaitée par le Maroc, n'est pas garantie. Et pour cause,

«John Bolton, conseiller du Président Trump, farouche interventionniste et anti-iranien notoire de longue date, s'est exprimé en défaveur du renouvellement de ce mandat. Il faut savoir que le rôle des États-Unis est prépondérant en la matière. Si le Maroc perd leur soutien, et accessoirement celui de la France sur la question du Sahara, la situation deviendra pour lui extrêmement compliquée. Les déclarations de Bourita interviennent, dès lors, pour dire "nous sommes vos meilleurs alliés dans la région, notamment contre l'Iran"», décrypte Pierre Berthelot pour Sputnik.

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Endosser l'ennemi des Américains pour s'attirer les bonnes grâces de Washington? La technique avait été éprouvée, avec plus ou moins de succès, par quelques pays arabes, après le 11 septembre. L'attentat terroriste était presque une « aubaine » pour le pouvoir autoritaire du Tunisien Zine El Abidine Ben Ali, qui trouvait ainsi ses tours de vis sécuritaires moins dédaignés par Washington. Toutefois, si le pouvoir tunisien de l'époque n'a fait qu'instrumentaliser une menace réelle et existante pour redorer son blason international, qu'en est-il sur la réalité de la «menace» iranienne?

«Le Polisario n'a pas besoin du Hezbollah ni de l'Iran pour exister. On sait qu'il a un soutien principal qui est l'Algérie. C'est un secret de Polichinelle, tout le monde le sait, et même l'Algérie l'affirme. L'Armée algérienne est forte dans la région, comparée à d'autres. Donc, le Polisario n'a pas besoin de solliciter d'autres soutiens», poursuit le chercheur de l'IPSE.

D'autant plus que dans ce procès, les accusés semblent avoir «d'autres priorités» que le Sahara. «Le Hezbollah et l'Iran sont dans une situation de tension importante avec Israël, avec ce qui se passe en Syrie», rappelle-t-il. Mais l'hypothèse, au sujet de laquelle le Maroc dit disposer de « preuves », n'est pas exclue pour autant.

«On peut, par exemple, défendre la thèse selon laquelle il existe un soutien au Polisario par l'Iran le Hezbollah pour faire pression sur le Maroc pour se désengager du Yémen, contre les rebelles houthis, proches des Iraniens. C'est une hypothèse qui n'est pas forcément fausse. Mais je ne crois pas que le Maroc joue un rôle majeur au Yémen. Il est loin de fournir l'essentiel des troupes, d'autant plus qu'il est dans une tendance au désengagement de ce bourbier yéménite», conclut Pierre Berthelot, par ailleurs directeur de la Revue « Orients Stratégiques».

Un désengagement sans grand fracas, non plus, pour éviter d'envoyer des signaux négatifs sur la solidité de cette coalition, dirigée par les Saoudiens. Fustiger l'ingérence et le prosélytisme iranien n'aurait pas été, d'ailleurs, pour déplaire aux « pétromonarchies du Golfe, gros investisseurs dans ce pays» et en conflit permanent avec Téhéran, rappelle Berthelot. Ils seront, en outre, les premiers à l'avoir félicité, le 1er mai, de son divorce avec Téhéran. Pourtant, le wahhabisme des Saoudiens est bien plus réputé pour son prosélytisme que le chiisme, estime Leslie Varenne. Aussi bien au Maroc, en Europe…qu'en Afrique.

«Bourita parle d'une dangereuse montée du chiisme dans les milieux marocains de Bruxelles, en oubliant curieusement que les différents attentats de Bruxelles, ont été perpétrés par des extrémistes se revendiquant du salafisme djihadisme, mouture du sunnisme. Il illustre, ensuite, la montée du chiisme en Côte d'Ivoire, pays où on a construit, sous Alassane Ouattara, plus d'écoles coraniques avec des financements saoudiens que d'écoles publiques, en affirmant que la plus grande mosquée de ce pays est chiite. En fait, la mosquée de Marcory est surtout fréquentée par des Libanais qui l'ont construite dans ce quartier qui est le leur. Elle est peut-être la plus belle (question de goût), mais certainement pas la plus grande. La plus grande mosquée, elle, se trouve dans le quartier du Plateau et a été financée par….l'Arabie Saoudite », conclut cette spécialiste de l'Afrique.

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