Le chef du gouvernement tunisien a-t-il vraiment snobé le ministre de l’Intérieur italien?

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La propagation de la rumeur, qui a été entre-temps démentie, est significative à plus d’un titre. Elle illustre une «course à la popularité» dans la perspective de la présidentielle de 2019, mais aussi la nostalgie de l’opinion publique d’un temps où les autorités tunisiennes pouvaient se permettre de taper du poing sur la table.

Pour peu qu'on lui prête quelque charmante intention, le ministre tunisien de l'Intérieur aurait, ce jour-là, volontairement taclé son homologue italien, en tenant la conférence de presse conjointe devant un tableau gigantesque montrant Hannibal traversant les Alpes pour détruire Rome.

​Un deuxième tort aurait été, dès lors, de trop. Celui que les médias tunisiens ont prêté à Youssef Chahed qui aurait snobé le ministre de l'Extrême Droite italienne. En cause, des propos désobligeants qu'avait eus, le leader de la Ligue, quelques mois plus tôt, au sujet des migrants tunisiens. En juin dernier, Matteo Salvini affirmait, alors qu'il était en visite en Sicile, que la Tunisie n'exportait vers l'Italie que sa racaille, pas ses gentlemen.

Sitôt ébruitée, la bouderie présumée a mis en ébullition médias et réseaux sociaux. Beaucoup d'internautes tunisiens ont salué le courage et l'assurance du Chef du gouvernement qui a osé ce geste symbolique pour laver l'affront.

Et jusqu'en Italie, où le geste imputé à Youssef Chahed n'a manqué de produire ses effets…

​«Alors comme ça "un gouvernement qui fasse respecter l'Italie à l'étranger", n'est-ce pas? En Tunisie, le Premier ministre a pris le Monsieur à la capuche (Matteo Salvini, ndlr) pour un représentant du pays des Lutins et ne lui a pas ouvert sa porte.»

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Le démenti officiel du ministre de l'Intérieur, suivi par celui d'un responsable auprès de la Présidence du Gouvernement, sifflèrent la fin de la récré phantasmagorique. Des contraintes de temps ont fait que l'agenda de la visite de la partie italienne se «limite» à deux rencontres, avec le Président de la République et l'homologue tunisien. Une source gouvernementale approchée par Sputnik, rappelle que les propos du ministre italien avaient, à l'époque, été épinglés dans un communiqué du ministère tunisien des Affaires étrangères. Matteo Salvini s'était ensuite rétracté. Dès lors, L'incident était clos. Le 27 septembre, la visite de Salvini, qui s'inscrit dans un contexte italien de mesures adoptées pour limiter l'immigration clandestine, a permis aux deux gouvernements de s'entendre sur les modalités de la gestion commune de la question. Depuis le début de l'année, ils étaient près de 4500 Tunisiens à gagner les rives italiennes.

«La nature de ces visites, préparées en amont dans les moindres détails, ne laisse pas place aux imprévus ni aux coups de têtes, même ceux pavés des meilleures intentions. À vrai dire, il s'agit davantage de rumeurs lâchées par l'entourage du Chef du gouvernement, peut-être à son insu, pour le monter au pinacle. Dans les faits, ces rumeurs pourraient porter préjudice à nos relations avec les Italiens, et même à Youssef Chahed lui-même», a indiqué à Sputnik une source gouvernementale ayant requis l'anonymat.

Pour l'universitaire et historien tunisien Abdejlil Bouguerra, «une course à la popularité» dans la perspective de la Présidentielle de 2019, à laquelle Chahed pourrait se porter candidat, explique en partie la propagation, dans les réseaux sociaux et les médias tunisiens, de cette rumeur…qui n'est pas la première du genre. En juin dernier, les bruits ubuesques faisant état de l'implication du ministre de l'intérieur de l'époque, Lotfi Brahem, dans une conjuration, ont précédé de peu son limogeage par le Chef du gouvernement.

Sur un autre plan, et dans un contexte où le pays est en quête de repères depuis le chamboulement politico-social de 2011, la propagation de la dernière rumeur n'est pas dépourvue de sens.

«Si cette rumeur a pris de l'ampleur c'est bien parce que l'opinion publique tunisienne, quelque part, souhaite que le gouvernement prenne des positions fortes, après les déclarations du ministre italien. Mais la question ne se limite pas à l'Italie, les Tunisiens sont demandeurs d'une politique de plus forte, qui n'hésite pas à taper du poing sur la table quand il le faut!», a analysé pour Sputnik l'universitaire et historien tunisien, Abdeljelil Bouguerra.

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Aujourd'hui, une grande partie de la rue tunisienne estime que la fragilité de la situation économique, mais aussi une crise de leadership, prête le flanc à une politique de «dépendance», où la souveraineté nationale serait, en partie, «hypothéquée», et ce, malgré toutes les bonnes intentions ou les progrès réalisés.

De fait, si les élections générales de 2014 consacrent bien, d'après des observateurs tunisiens, un certain retour aux fondements de la diplomatie tunisienne, l'imaginaire tunisien demeure très imprégné et nostalgique, d'autres temps et d'autres mœurs.

Au crépuscule de son règne, le Président Habib Bourguiba menaça les États-Unis, via leur ambassadeur qu'il a malmené au Palais où il l'avait convoqué, d'une rupture des relations diplomatiques, en cas de veto américain sur un projet de résolution onusienne condamnant «l'agression armée perpétrée par Israël», contre une localité tunisienne abritant le QG de l'OLP.

Cette menace brandie, dans l'automne 1985, fait toujours date. L'anecdote historique s'invite fréquemment, jusqu'à aujourd'hui, dans les plateaux de télévision, sur les réseaux sociaux et jusqu'aux parlottes des terrasses de café. À juste titre, d'ailleurs. Fait inédit dans les annales onusiennes, les États-Unis s'abstinrent, ce jour-là, de faire usage de ce droit pour empêcher une condamnation israélienne au Conseil de sécurité.

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