On ne pourrait être que d'accord avec lui s'il ne procédait avec une myopie confondante à la lecture de cette déconstruction et si la France elle-même n'y avait participé. Que dire, en effet, de la fourniture d'armes et de munitions à la coalition dirigée par l'Arabie Saoudite qui mène une guerre parfaitement illégale et terriblement meurtrière au Yémen? Pour tout dire, il y a une immense hypocrisie dans les propos tenus par Emmanuel Macron.
L'exemple du Kosovo
On le voit, la déconstruction du droit international a des antécédents anciens. Et, cette pratique de non-respect du droit international fut inaugurée par une administration démocrate, celle du Président Clinton. Elle fut naturellement poursuivie par l'administration républicaine de George W. Bush qui lui succéda.
La rupture irakienne
Cette évolution de la politique américaine a donc commencé avant l'arrivée au pouvoir de George W. Bush et des neocons. Mais, là où le Kosovo était la tentative d'une administration américaine fondamentalement acquise à un projet global d'hégémonie de retrouver son équilibre après le choc de la crise financière de 1997-1999, l'intervention en Irak de 2003 témoigne d'une mutation radicale du projet américain. En ce sens, il y a rupture qualitative entre l'administration Clinton finissante et l'administration Bush. La victoire des néoconservateurs et la montée de ce que l'on a appelé l'isolationnisme interventionniste providentialiste américain constituent une rupture avec le cadre de représentations et d'interprétations qui s'était mis en place après 1991. La radicalisation militariste du projet hégémonique américain après 1998 a aussi contribué de manière sans doute irréversible à ce que l'on peut appeler la « désoccidentalisation du monde ». Mais ce processus se fait dans la régression et non par le dépassement de ce que l'on peut appeler, à tort ou à raison, les « valeurs occidentales ».
Elle a engendré, en Russie comme en Chine des réactions qui étaient légitimes, dont la constitution de l'OCS. Le refus des dirigeants occidentaux et du Président français de reconnaître cette organisation montre qu'ils n'ont pas pris la mesure des changements survenus.
Qui défend réellement le droit international?
Cela ne veut pas dire que les différents pays ne puissent définir des intérêts qui seraient communs, ni même qu'il n'y ait des valeurs communes. Le discours de Poutine n'est pas « relativiste ». Il constate, simplement, que ces valeurs ne peuvent fonder l'unipolarité, car l'exercice du pouvoir, politique ou économique, ne peut être défini en valeur mais doit l'être aussi en intérêts. Ceci revient à refuser la thèse d'une dépolitisation des relations internationales, qui devraient se réduire, dans l'esprit de ceux qui soutiennent cette dépolitisation, aux droits de l'homme et aux « lois » de l'économie.
Il ajoutait dans son le discours un point extrêmement important: « Nous sommes témoins d'un mépris de plus en plus grand des principes fondamentaux du droit international. Bien plus, certaines normes et, en fait, presque tout le système du droit d'un seul État, avant tout, bien entendu, des États-Unis, a débordé de ses frontières nationales dans tous les domaines, dans l'économie, la politique et dans la sphère humanitaire, et est imposé à d'autres États (4) ».
Telles sont les causes du délitement du Droit international aujourd'hui. Toute volonté de reconstruction de ce dernier, volonté par ailleurs nécessaire, doit prendre en compte ces réalités et cet héritage. Toute volonté qui ne serait pas un projet chimérique doit surtout se poser sérieusement la question d'avec qui, avec quels alliés, cette reconstruction est possible.
1. http://www.rfi.fr/ameriques/20180925-onu-macron-dresse-contre-loi-plus-fort-trump
2. Voir la déclaration du président russe lors de la conférence sur la sécurité qui s'est tenue à Munich le 10 février 2007 et dont le texte a été traduit dans La Lettre Sentinel, n° 43, mars 2007.
3. Evgueni Primakov, Le Monde après le 11 septembre et la Guerre en Irak, Paris, Presses de la Renaissance, 2003.
4. La Lettre Sentinel, n° 43-44, janvier-février 2007, p. 25 sq.
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