Chinois achetant des terres, «prédateurs»? Un parti de gauche accusé de racisme au Québec

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Une députée a dénoncé l'achat de terres agricoles par des Chinois au Québec, les comparant à des «prédateurs». Son parti, Québec solidaire, est maintenant accusé de racisme antichinois. Pourtant, ce parti dit lutter contre la discrimination. Porte-parole de «Chinois progressiste du Québec», Sau Mei Chiu dénonce cette situation au micro de Sputnik.

La politique est un monde de paradoxes. Dimanche 3 mars, une manifestation a eu lieu à Montréal pour dénoncer le «racisme antichinois» du parti de gauche Québec solidaire. Les plus moqueurs s'en sont amusés sur les réseaux sociaux: après avoir dénoncé les politiques qualifiées de discriminatoires du gouvernement Legault, Québec solidaire se voit à son tour accusé de racisme. Depuis quelques années, ses porte-parole accusent le mouvement nationaliste de développer des liens avec la droite dure européenne.

Le 13 février dernier, la nouvelle députée Émilise Lessard-Therrien affirmait que les Chinois venaient massivement au Québec pour acheter des terres agricoles. Selon elle, ces investisseurs auraient pour but de s'approprier une partie des terres cultivables revenant plutôt aux Québécois.

«Ils se promènent dans les rangs, ils préparent le terrain pour venir éventuellement, ils font beaucoup de représentation. On les appelle entre nous les "prédateurs". Ce sont des prédateurs de terres agricoles et on les voit, on le sent», a affirmé la députée solidaire en entrevue avec le journal La Vie agricole.

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Les propos de Mme Lessard-Therrien ont rapidement été dénoncés par l'organisation politique «Chinois progressiste du Québec». La porte-parole de cette organisation, Mme Sau Mei Chiu, est elle-même une ancienne militante de Québec solidaire. Elle s'est déjà présentée comme candidate aux élections sous la bannière de ce parti de gauche.

«Nous demandons à la direction de Québec solidaire de dénoncer cette prise de position arriérée et raciste qui vise les Chinois et demandons des excuses pour tous les Sino-Québécois», a demandé Sau Mei Chiu.

Le 3 mars dernier, une manifestation a eu lieu à Montréal contre le «racisme antichinois». Ayant rassemblé une centaine de personnes, la manifestation était aussi organisée par l'organisation Chinois progressiste du Québec.

Un racisme socialement acceptable?

Interviewée par Sputnik, Mme Chiu a réaffirmé que les propos de Mme Lessard-Therrien étaient inacceptables. Même si la députée solidaire a tenté de nuancer ses propos par la suite, le mal est fait.

«J'ai travaillé toute ma vie dans la lutte contre le racisme et le profilage racial. J'ai représenté plusieurs victimes de profilage racial à titre d'avocate. Je me suis aussi impliquée intensivement dans la lutte contre l'islamophobie au Québec. […] Je suis donc contre la hiérarchisation des racismes et des préjugés. Le racisme est inacceptable pour toutes les communautés, y compris pour la communauté chinoise», a affirmé Sau Mei Chiu en entrevue avec Sputnik France.

Sau Mei Chiu dénonce le fait que la lutte contre «l'islamophobie» soit plus populaire que la lutte contre la «sinophobie» dans les rangs de la gauche. Le racisme antichinois serait moins visible, mais tout aussi présent au Québec et plus largement au Canada.

«En raison des barrières linguistiques, je pense que nous [les Chinois du Canada, ndlr] souffrons en silence», a mentionné la militante antiraciste.

Sans le vouloir, la députée Émilise Lessard-Therrien aurait récupéré de vieux stéréotypes. Mme Mei Chiu retrace les origines de ce racisme antichinois dans l'histoire canadienne:

«Si vous regardez les sources et les documents historiques, on peut voir que les déclarations de cette députée font écho au péril jaune. On peut voir les images, les traits et les commentaires associés à race chinoise et au péril jaune. On dit que les Chinois viennent comme des prédateurs. Même si elle n'a pas utilisé ces mots, elle utilise les mêmes techniques pour semer la méfiance», a expliqué Mme Chiu.

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Concernant les terres agricoles en tant que telles, Mme Chiu rappelle qu'il existe des lois pour encadrer leur achat. Au Québec, la Loi sur l'acquisition de terres agricoles pour les non-résidents stipule qu'«une personne qui ne réside pas au Québec ne peut, sans l'autorisation de la commission, faire directement ou indirectement l'acquisition d'une terre agricole.»

«Comme avocate, la première chose que j'ai faite a été de regarder la Loi sur l'acquisition de terres agricoles par les non-résidents. La première chose que j'ai vue dans cette loi est que c'était interdit», a affirmé M. Chiu.

En réalité, il n'est pas impossible que des étrangers parviennent à acheter des terres agricoles dans la Belle Province. Militant écologiste bien connu au Québec, Roméo Bouchard estime que le modèle industriel est en grande partie responsable du sentiment de dépossession des petits agriculteurs. Selon lui, l'Union des producteurs agricoles du Québec (UPA) impose un modèle favorisant les grands conglomérats. M. Bouchard a cofondé l'Union paysanne en 2001, un important syndicat agricole au Québec.

«Beaucoup d'agriculteurs doivent vendre leur ferme parce qu'ils n'ont pas de relève ou parce qu'ils ne veulent pas se lancer dans les gros investissements auxquels on les pousse, ou parce qu'ils n'arrivent plus à vivre de leur ferme, et la raison sous-jacente est le modèle dominant qui privilégie les méga-fermes hyperspécialisées capables de rivaliser au niveau mondial. C'est ça le problème de base. Les fermes que l'on veut développer exigent des fonds d'investissement et une gestion que de petits agriculteurs familiaux ne peuvent plus garantir», a affirmé M. Bouchard en entrevue.

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Roméo Bouchard pense que la députée Émilise Lessard-Therrien surestime l'importance des investisseurs chinois au Québec en agriculture. Son parti, Québec solidaire, devrait plutôt revoir le mode de fonctionnement de l'UPA.

«Les Chinois que sont que l'un des joueurs dont on exagère facilement l'importance. L'Union des producteurs agricoles aime bien s'en servir pour faire peur. Mais l'UPA, en privilégiant le modèle des méga-fermes, est la première responsable de cette vente de feu. Tout ce que cette association est capable de proposer, c'est de demander au gouvernement de bloquer ces achats étrangers en créant une agence gouvernementale de contrôle des ventes, sous contrôle étroit d'elle-même», observe Roméo Bouchard.

Cette nouvelle controverse aura au moins eu le mérite de relancer un débat important au Québec: celui sur la souveraineté alimentaire dans le contexte de la mondialisation.

 

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