Ingérence en Algérie: les services secrets russes auraient averti la France

© Sputnik . Aleksey Koudienko / Accéder à la base multimédia20 декабря 2018. Президент РФ Владимир Путин на четырнадцатой большой ежегодной пресс-конференции в Центре международной торговли на Красной Пресне.
20 декабря 2018. Президент РФ Владимир Путин на четырнадцатой большой ежегодной пресс-конференции в Центре международной торговли на Красной Пресне. - Sputnik Afrique
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Tout est parti d’un tweet de Georges Malbrunot, grand reporter du Figaro. Il relaie une source diplomatique qui avance que les services de renseignement russes ont averti leurs homologues français que Moscou ne souhaitait pas d’ingérence des Français dans les changements politiques en cours en Algérie. Sputnik France a tenté d’en savoir plus.

«Un confidentiel du Figaro nous apprend que les services de renseignements russes ont transmis le message suivant à leurs homologues français. "On ne veut pas d'une ingérence française dans le choix du nouveau régime algérien".»

​Ce tweet daté du 9 avril a pour auteur Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro. Le journaliste cite cette information qui aurait pour source un diplomate français. Ce dernier assure que les services secrets russes ont averti la France qu'ils ne souhaitaient aucune intervention de Paris visant à influencer le changement politique en cours en Algérie.

«Les services français ont répondu oui oui, mais ils n'ont tiendront pas compte, l'Algérie, c'est trop important pour nous», aurait ajouté le diplomate.

​Alain Rodier, ancien officier supérieur des services de renseignement extérieurs et directeur de recherche au sein du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) a livré son analyse à Sputnik France. Selon lui, il n'y a rien d'étonnant à ce que les services russes parlent avec leurs homologues français: «Je rappelle que nous avons des relations diplomatiques avec la Russie. À ma connaissance, les ambassades respectives sont toujours actives dans les deux pays. Le rôle des services de renseignement est aussi de maintenir des contacts avec leurs homologues étrangers sur des sujets d'intérêt commun, comme la lutte contre le terrorisme ou le crime organisé. Tout ceci se fait a priori, en dehors de considérations géopolitiques et entre professionnels.» Ce qui surprend plus l'ancien officier de renseignement, c'est la méthode:

«Que les services russes aient dit aux services français de ne pas s'ingérer dans le changement de pouvoir en Algérie et que cette information sorte m'étonne. La première raison est que ce type d'échanges entre services doit rester secret. Un diplomate français aurait eu vent d'échanges entre les services russes et français. Or, à ma connaissance, les diplomates français n'ont pas accès à ce type d'échange. J'appelle donc à la prudence quant à cette source.»

Sputnik France a contacté le porte-parole du ministère algérien des Affaires étrangères. Ce dernier n'avait toujours pas donné suite à nos demandes de réaction au moment de la publication de cet article. Nous avons également sollicité les autorités russes afin de connaître leur point de vue et attendons leur retour.

La France sur le fil du rasoir

«Nous sommes sur une étroite ligne de crête: ni ingérence ni indifférence», disait le Quai d'Orsay au journal Le Monde en février dernier. Cette déclaration qui pourrait servir de maxime illustre parfaitement la position délicate de la France dans le dossier algérien. Ne pas intervenir pourrait être entendu comme un soutien à l'appareil d'État et au statu quo. A l'inverse, la position contraire pourrait être perçue comme une tentative d'ingérence. Alors, la diplomatie française joue la prudence, usant de propos «minimalistes et rares» selon France Inter. Quid de ses services de renseignements?

«Si l'information relayée par Georges Malbrunot était confirmée, cette fuite ne viendrait certainement pas du côté des Français, ce qui laisse les Russes. Pour quelle raison feraient-ils ça? Chercher à affaiblir la position de la France vis-à-vis de l'Algérie afin de renforcer la leur est une possibilité. Il faut se demander à qui profite le crime. Les relations entre la Russie et l'Algérie ne datent pas d'hier. Je rappelle que l'URSS a financé le Front de libération nationale (FLN). La Russie actuelle a hérité de ces relations et quelque part, la France dérange la position russe en Algérie», déclare Alain Rodier.

Lors d'un entretien donné à nos confrères d'Atlantico, l'ancien officier de renseignement s'interrogeait sur la possible origine russe de la fuite:

«Cela pose alors une autre question: provient-elle du Kremlin ou est-ce une initiative subalterne ou même privée? Des fouteurs de merde, cela ne manque pas aujourd'hui, surtout quand cela peut nourrir des polémiques dont sont avides les médias, question d'audience et de ventes en kiosques…»

Le chef d'état-major algérien met en garde

«L'action des services de renseignement français est en accord avec l'action politique du gouvernement. Il est très clair dans ses déclarations. Ils ne souhaitent intervenir en aucune façon sur la politique intérieure ou extérieure de l'Algérie», assure Alain Rodier. Même en marchant sur des œufs, Paris a provoqué de vives réactions ces dernières semaines de l'autre côté de la Méditerranée.

Le 11 mars, Abdelaziz Bouteflika annonçait par le biais d'une lettre renoncer à briguer un cinquième mandat. «Je salue la déclaration du président Bouteflika par laquelle il annonce ne pas solliciter un cinquième mandat et prendre des mesures pour rénover le système politique algérien», réagissait le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian dans un communiqué. Sofiane Djilali, président du parti Jil Jadid (Nouvelle génération), avait alors publié une vidéo le 12 mars sur Twitter appelant à «dénoncer le soutien de la France officielle au régime Bouteflika». «Elle ne veut pas de démocratie en Algérie, elle a besoin de serviteurs», tempêtait-il.

​Le même jour, Emmanuel Macron dégainait lui aussi son clavier et twittait ceci:

«La jeunesse algérienne a su exprimer son espoir de changement avec dignité. La décision du Président Bouteflika ouvre une nouvelle page pour la démocratie algérienne. Nous serons aux côtés des Algériens dans cette période nouvelle, avec amitié et avec respect.»

​Une réaction qui avait inspiré un dessein au caricaturiste Ali Dilem mettant en scène «Abdelaziz Macron». Le message est clair.

​Si certains internautes avaient appelé à la mesure, ce déchaînement sur les réseaux sociaux est très révélateur du caractère explosif de la situation pour Paris.

«La France fait extrêmement attention à ne surtout pas intervenir en Algérie. Paris connaît très bien le pouvoir actuel et la population. La France sait qu'ils sont aptes à gérer la situation. Elle cherche à éviter toute accusation d'ingérence», explique Alain Rodier.

En plus du fait que les deux pays soient liés historiquement et que de nombreux Français d'origine algérienne se trouvent dans l'Hexagone, l'Algérie est un pays très riche en énergies fossiles et l'un des principaux fournisseurs d'énergie de la France (10% du gaz importé). Avant même que le mouvement social anti-Bouteflika ne provoque ses premières secousses, un journaliste de L'Obs recueillait cette confidence d'un «haut responsable français»:

«Le cauchemar du Président de la République, c'est l'Algérie. C'était aussi celui de ses prédécesseurs. Les plus hautes autorités de l'État sont terrifiées par la perspective d'une grave déstabilisation de notre ancienne colonie après la mort de Bouteflika.»

Bouteflika n'est pas mort, mais il a renoncé au pouvoir. Une démission annoncée le 2 avril, qui n'a en rien réglé la situation. «La vigilance est de rigueur. On apprécie le moment, mais on n'oublie pas l'essentiel. Le système et ses tentacules mafieux doivent dégager. Donc les marches continueront», lançait le soir même une manifestante citée par l'AFP. Signe que la crise algérienne est loin d'être terminée.

Le 9 avril, les parlementaires de l'Assemblée populaire nationale et du Conseil de la Nation se sont réunis pour se trouver un Président par intérim. Et sans surprise, Abdelkader Bensalah, président du Conseil de la Nation, a été nommé. Une décision mal accueillie par une partie du peuple. De nombreux manifestants demandent que les «3 B», jugés trop proches du pouvoir, soient écartés du processus qui mènera à l'élection d'un nouveau Président. Le trio est composé d'Abdelkader Bensalah, du président du Conseil constitutionnel Tayeb Belaiz et du Premier ministre Noureddine Bedoui.

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L'appel du quotidien El Moudjahid, proche du pouvoir, à écarter Abdelkader Bensalah n'aura donc pas suffi. «Cette personnalité […] n'est pas tolérée par le mouvement citoyen, qui exige son départ immédiat, mais aussi par l'opposition et une partie des représentants des formations politiques de la majorité des deux Chambres du Parlement», écrivait le journal avant la nomination d'Abdelkader Bensalah.

Il se trouve que le général Ahmed Gaïd Salah, chef d'état-major de l'armée et plus puissant que jamais, souhaite que la succession se déroule selon la Constitution. Et que prévoit-elle? Que le président du Conseil de la Nation, en l'occurrence Abdelkader Bensalah, prenne le pouvoir en attendant de passer le flambeau à un nouveau chef d'État élu lors d'un scrutin présidentiel, le tout dans un délai de 90 jours. Le souhait du militaire est désormais exaucé. Mais à quel prix?

​Le 9 avril, des milliers d'étudiants rassemblés devant la grande poste d'Alger ont crié «Dégage Bensalah!» et «Système dégage!». La police a fait usage de grenades lacrymogènes et d'un canon à eau pour disperser la foule. Rachid Grim, enseignant en Sciences politiques à l'Institut supérieur de gestion et de planification (ISGP) d'Alger s'est inquiété de la situation auprès de l'AFP:

«C'est là où il y a un vrai problème. L'armée tient à ce que cela [la transition Ndlr] se fasse à l'intérieur de la Constitution et la rue veut que cela se fasse à l'extérieur de la Constitution. Si l'armée n'assouplit pas sa position, on va vers la rupture.»

L'élection présidentielle algérienne est fixée au 4 juillet. Abdelkader Bensalah a signé le décret le 10 avril. De son côté, Ahmed Gaïd Salah a d'ores et déjà averti les manifestants et a parlé de «slogans irréalistes visant à […] détruire les institutions de l'État» dans les cortèges. Alors qu'il était en déplacement à Oran, le chef d'état-major est allé plus loin. Comme d'autres responsables algériens avant lui, il a parlé de «tentatives de la part de certaines parties étrangères» de «déstabiliser le pays».

 

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