L'Ukraine, décharge nucléaire des États-Unis?

© AP Photo / SERGEI CHUZAVKOVActivists of Ukraine's Green party are seen in downtown Kiev, Ukraine as they protest against the construction of nuclear storage facility on Friday, March 3, 2006.
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Les autorités de la République populaire de Donetsk (DNR) autoproclamée soupçonnent les États-Unis de recycler des déchets nucléaires en Ukraine. D'après le chef adjoint de la Police populaire de la DNR, Edouard Bassourine, la santé des citoyens est menacée. Il tient Piotr Porochenko, ex-Président de l'Ukraine, pour responsable.

Des «citoyens de troisième sorte»

«Les USA considèrent les Ukrainiens comme des citoyens de troisième sorte et veulent utiliser l'Ukraine uniquement en tant qu'annexe pour les matières premières, ainsi que colonie pour enterrer les déchets radioactifs et chimiques», déclare Edouard Bassourine.

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Il fonde ses reproches envers les Américains sur le versement de plus de 100 millions de dollars par le ministère américain de l’Énergie, à l'époque du président Porochenko, pour la construction d'entrepôts destinés à stocker des déchets nucléaires. Mais cet argent n'a pas été dépensé à cet effet et les «déchetteries» radioactives sont restées sur le papier.

«Une partie de cet argent a été volé, et un nombre insuffisant d'entrepôts a été construit avec ce qui restait. Le contrat prévoyait la livraison de systèmes stationnaires de contrôle radioactif par les États-Unis. Mais une partie a été également volée, et les autres ont été installés seulement sur les sites particulièrement sensibles», explique le représentant de la DNR.

Le manque d'entrepôts centralisés pour le combustible usé des centrales nucléaires, selon Edouard Bassourine, conduit à un recyclage «chaotique». Ce qui pourrait affecter tous les territoires à proximité, notamment la région de Soumy.

Le discours du responsable a fait beaucoup de bruit. Mais on ignore toutefois de quels déchets nucléaires il est question. Les centrales nucléaires américaines recyclent le combustible usé aux États-Unis et jusqu'à récemment, l'Ukraine envoyait ses déchets en Russie.

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Des politiques de recyclage différentes

Le combustible nucléaire usé (CNU) est l'uranium enrichi qui reste très radioactif après son utilisation. Son recyclage incorrect pourrait anéantir toute forme de vie à cause des radiations.

Certains pays ayant recours à l'énergie nucléaire ne sont pas capables de se débarrasser eux-mêmes du CNU. Cela nécessite des technologies spéciales et le droit d'enrichir l'uranium. Une aide extérieure est donc nécessaire.

Rosatom ne construit pas seulement des réacteurs nucléaires pour d'autres pays, mais s'engage également à recycler les déchets radioactifs. Les Américains travaillent différemment. La compagnie Westinghouse, qui construit également des réacteurs nucléaires, ne rapatrie jamais le CNU de l'étranger.

Les constructeurs de centrales nucléaires qui n'acceptent pas les déchets nucléaires aident généralement à construire des entrepôts. Par exemple, en France. Sachant que les Français soulignent constamment que leurs «déchetteries» nucléaires sont les plus sûres. A titre d'argument, ils citent le fameux champagne Thierry Fournier, fabriqué avec du raisin qui pousse à dix kilomètres d'un entrepôt nucléaire: la grande qualité de cette boisson est confirmée chaque année par les écologues, les médecins et les plus grands vignerons.

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Cependant, chaque entrepôt possède une période d'exploitation limitée. La Russie planche sur le problème. Rosatom dispose déjà de technologies permettant de recycler les déchets radioactifs pour en obtenir de nouveau du combustible. Au final, la quantité des déchets nucléaires se réduit.

Les États-Unis, le Canada et la Finlande jugent le principe russe de traitement secondaire du CNU trop coûteux et refusent de suivre cette voie. Mais tout le monde est conscient que tôt ou tard il faudra faire quelque chose avec les entrepôts nucléaires. D'après les experts de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), le volume de CNU dépassera 450.000 tonnes d'ici 2022.

Centrales soviétiques, combustible américain: la mauvaise équation

L'Ukraine fait partie du top-10 des pays comptant le plus de centrales nucléaire et de réacteurs, mais ne dispose pas de technologies d'enrichissement d'uranium pour fabriquer le combustible nucléaire de manière autonome. Les quatre centrales nucléaires en fonctionnement sont d'origine soviétique. Néanmoins, elles assurent la moitié de la production d'électricité du pays.

Le combustible nucléaire des centrales ukrainiennes a toujours été fourni uniquement par la Russie. En 2008, le président Viktor Iouchtchenko espérait échapper à l'influence de Moscou et avait signé un contrat avec la compagnie Westinghouse. Ce qui a immédiatement engendré des problèmes.

Le fait est que le combustible américain ne convient pas pour les réacteurs soviétiques. Ces derniers ont commencé à tomber en panne, entraînant des pertes de 175 millions de dollars. Il a fallu utiliser le combustible russe et américain à parts égales. Malgré tout, les autorités ukrainiennes espèrent entièrement passer aux fournitures américaines d'ici 2020.

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Mais que faire des déchets nucléaires? Le combustible américain n'a fait qu'ajouter des problèmes. En tant que principal fournisseur, Rosatom stockait le CNU - et Kiev payait 200 millions de dollars par an à Moscou pour ce faire. Les autorités ukrainiennes ont promis de construire leurs propres entrepôts nucléaires, de récupérer le CNU et de cesser les paiements. Mais un seul entrepôt a été construit en un quart de siècle - à la centrale nucléaire de Zaporojie.

Kiev retardait ses paiements pour le stockage des déchets nucléaires, mais Moscou continuait de fournir ses services. La situation s'est aggravée en 2011 quand la Russie a adopté la loi interdisant l'importation de CNU d'autres pays. Moscou a exigé de Kiev de reprendre ses déchets nucléaires et de rembourser sa dette. L'Ukraine a ignoré cette exigence et ne paie plus du tout pour le CNU depuis 2017. Les autorités ont expliqué que dorénavant elles ne coopéraient plus qu'avec les Américains dans le secteur nucléaire, et que les anciennes dettes ne comptent pas.

Les Américains restent disposés à fournir du combustible nucléaire, mais refusent de le reprendre. Néanmoins, ils ont accepté de faire des concessions pour Kiev en accordant un prêt de 250 millions de dollars pour la construction d'entrepôts nucléaires. De plus, la compagnie américaine Holtec International participe à la construction qui a commencé en novembre 2017 dans la zone d'exclusion de Tchernobyl. On ignore quand ce site sera terminé. En général, cela demande entre 10 et 15 ans.

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Les États-Unis et l'Ukraine n'ont pas signé d'accords sur le recyclage des déchets nucléaires dans la région de Soumy, comme le dit Edouard Bassourine. Les experts interrogés par RIA Novosti s'accordent à dire qu'il serait impossible de cacher au public un contrat dans un secteur aussi sensible. Les Américains contrôlent rigoureusement la prolifération des technologies nucléaires dangereuses et ne l'auraient jamais admis.

Les spécialistes excluent également la possibilité que les Américains recyclent secrètement leur propre CNU en Ukraine. D'après Andreï Baklitski, consultant du Centre d'études politiques (PIR), le représentant de la DNR faisait certainement allusion au combustible nucléaire officiellement fourni par les États-Unis aux centrales nucléaires ukrainiennes.

«Les déchets nucléaires des centrales nucléaires américaines sont stockés dans les entrepôts spéciaux des centrales. Même si les USA se débarrasseraient volontiers de ces déchets, il est impossible d'envoyer simplement le CNU dans un autre pays. Premièrement, pour des raisons de sécurité. Deuxièmement, il n'est pas prouvé que cela coûterait moins cher. Troisièmement, le transport de matériaux nucléaires sensibles de l'autre côté de l'océan est un processus complexe et risqué. Pourquoi les Américains le feraient-ils si cela coûte moins cher de le stocker chez eux?», explique Andreï Baklitski.

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Denis Iourtchak, spécialiste du MGIMO dans le domaine de l'énergie nucléaire, juge également peu plausible un transport de CNU de l'autre côté de l'océan.

«L'Ukraine interdit l'importation de CNU d'autres pays. De plus, les Ukrainiens ne pourraient certainement pas assurer de meilleures conditions de stockage. Compte tenu de l'attention accordée dans les années 1990 par les États-Unis à l'élimination des matériaux radioactifs dans les anciennes républiques de l'URSS, ils ne vont probablement pas envoyer eux-mêmes du CNU en Ukraine», indique Denis Iourtchak.

En même temps, l'expert doute que le passage des centrales nucléaires ukrainiennes au combustible américain sera un succès.

«Charger du combustible américain dans les réacteurs soviétiques revient à mettre du sans plomb 92 dans une Ferrari. Ou à mettre dans le réservoir d'une Lada du carburant de fusée. Ce n'est pas seulement difficile, mais également dangereux.»

D'après le spécialiste, l'Ukraine parviendra à avancer dans le règlement du problème du CNU seulement quand le bon sens prendra le dessus dans les relations interétatiques.

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