Trump menace de libérer les djihadistes français. Céder ou pas, le choix cornélien de Paris

© AP Photo / Carolyn KasterDonald Trump et Emmanuel Macron
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Donald Trump fait une déclaration-choc, menaçant de relâcher en Europe des prisonniers djihadistes «si les pays concernés ne les acceptaient pas volontairement». Menace réelle ou simple moyen de pression? Comment Paris va-t-il réagir? Commentaire exclusif à Sputnik de Romain Caillet, expert en terrorisme et en djihadisme.

«Nous détenons de milliers de djihadistes de Daech* et nous souhaitons que l’Europe les reprenne. Si elle ne les prend pas, nous devrons probablement les relâcher en Europe», a déclaré le Président américain lors d’un point presse à la Maison-Blanche, jeudi 1er août.

Il a par ailleurs rajouté que les États-Unis et leurs partenaires détenaient «sur le terrain» en Irak et en Syrie «2.500 militants de l’État islamique»* originaires des pays européens. «Nous voulons que l’Europe les récupère lorsqu’ils rentrent en Europe: en France, en Allemagne, et dans d’autres endroits», a déclaré Donald Trump.

Plus tôt dans la journée, James Jeffrey, le représentant spécial des États-Unis pour engagement pour la Syrie (ISIL) a cité un chiffre inquiétant lors d’un briefing pour les journalistes: l’administration américaine estime qu’environ 15.000 combattants de l’EI continuent d’opérer en Irak et en Syrie.

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Romain Caillet, islamologue et consultant, spécialiste de la mouvance djihadiste mondiale, ne souhaite pas confirmer ou contredire le chiffre avancé par Donald Trump, «d’autant plus qu’on ne sait pas s’il parle seulement d’hommes, ou il tient compte des femmes et des enfants (bien qu’on est loin de qualifier des enfants de terroristes)», mais il affirme à Sputnik que

«Trump fait souvent des déclarations à l’emporte-pièce et ne fait pas ce qu’il dit (comme avec l’Iran), mais parfois, il le fait quand on ne s’y attend pas.»

Pour l’expert, il est évident que les Américains, s’ils ne restent pas en Syrie, font savoir aux Européens «qu’il vaut mieux rapatrier leurs ressortissants plutôt que les laisser s’évader ou tomber entre les mains de pays hostiles à certains membres de l’UE.» Romain Caillet cite le cas du renvoi de «certains de ressortissants [français présents en Syrie, ndlr] en Irak, quand ils pouvaient y être jugés par les autorités irakiennes.» Il considère que, même avec le risque d’évasion, «ce pays –ami de la France– n’essayera d’utiliser ces djihadistes “français” contre les intérêts français, comme cela peut être le cas de la Syrie qui a des comptes à régler avec les autorités françaises.» Néanmoins,

«Les autorités françaises naviguent à courte vue dans ce “dossier des djihadistes”, estime Romain Caillet. Ils pensent que Trump ne fera pas ce qu’il dit, et ils n’ont pas de plan B.»

Il cite un exemple récent lié à une autre déclaration de Donald Trump: alors que ce dernier a fait savoir qu’il s’apprêtait à retirer les troupes américaines de Syrie, «les Français ont dit: “on ne change rien!”», bien que «tout le monde savait que les Français n’avaient pas de moyens de rester plus que trois jours en Syrie»

«[En Syrie, ndlr] les Français se sont dit qu’ils maintenaient leur présence, parce que soit Trump changeait d’avis, soit il ne finissait pas son mandat, considère Romain Caillet. Ils font le pari que Trump ne fera pas ce qu’il dit.»

Mais dans la situation actuelle, l’expert y voit un mauvais calcul de la part de la France et donne un exemple qui donne à réfléchir:

«Erdogan n’a pas hésité à abattre un avion russe, rappelle Romain Caillet. Je ne pense pas qu’il tremblera face à des soldats français. Si les Américains se retirent de Syrie, je ne donne pas cher la peau des soldats français.»

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Pour l’expert, les autorités françaises n’ont pas beaucoup de marge de manœuvre et «si les USA les libèrent, on va les rapatrier». Ce qui reste un problème complexe pour les politiques, puisque «tous les spécialistes des djihadistes savent qu’il vaut mieux les avoir sous la main plutôt que laisser en terrain instable», une option qui passe mal auprès de l’opinion publique. Pour l’expert, la France n’est pas dans le cas des autres pays d’Europe, «où on fait passer les intérêts de l’État avant la sensibilité des opinions publiques»:

«Dans l’optique d’un responsable des services de renseignement, il est préférable de récupérer les djihadistes français, ce qui n’est pas le cas dans l’optique d’un politique français, puisqu’en cas d’attentat commis, on leur demandera des comptes: pourquoi l’avoir rapatrié contre l’avis de à l’opinion publique.»

C’est donc plutôt avantageux pour un homme politique français de ne pas accepter de djihadistes dans l’Hexagone, puisqu’un «potentiel terroriste qui téléguide un attentat depuis l’étranger après s’être évadé ne relève pas de sa responsabilité» et il va se défendre en avançant «qu’il n’a pas voulu aller contre l’opinion publique.»

«Le choix est vite fait pour un politique français. Il ne s’agit pas de se demander ce qui est le plus dangereux ou ce qui correspond le mieux aux intérêts de la France. La question qui se pose est de savoir quel est le plus gros risque politique», expose Romain Caillet.

Il conclut que «rapatrier les djihadistes “français” en France est un suicide politique», puisqu’«en gros, un tiers des djihadistes rapatriés pourront à l’avenir être impliqués dans des actes terroristes

«Si Trump les libère tous, les Français se défausseront et diront que “c’est la faute des Américains”, comme ils disent déjà que le djihadisme est la faute des Américains. Quand on joue sur l’anti-américanisme en France, c’est toujours payant», conclut Romain Caillet.

*Organisation terroriste interdite en Russie

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