Malgré les manifs, «les Iraniens ne veulent pas que leur pays tombe dans le chaos comme en Syrie ou en Irak»

© Sputnik . Alexeï Koudenko / Accéder à la base multimédiaLe T-72B3 iranien participant au biathlon des chars de combat aux Jeux militaires ArMI 2019
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Après une semaine de soulèvements en Iran suite à l’augmentation brutale des prix de l’essence, Sputnik France revient avec Thierry Coville, spécialiste de l’Iran, sur les enjeux et les conséquences qui entourent cette révolte, qui a peu de précédents au pays des mollahs.

D’après Amnesty International, le bilan des confrontations entre forces de l’ordre et manifestants serait de plus de 100 morts côté frondeurs. Selon les autorités iraniennes, il y aurait quelques morts des deux côtés. Difficile de confirmer, car cela fait désormais quatre jours qu’Internet a été totalement coupé en Iran. Quatre jours qu’il est presque impossible d’avoir un bilan concret et factuel des manifestations qui secouent le pays dans la foulée de l’augmentation brutale des prix de l’essence à la suite d’une réforme censée aider les plus pauvres.

«Tous les chiffres sur les victimes qui ne sont pas confirmés par le gouvernement sont spéculatifs et non fiables, et dans de nombreux cas procèdent d’une campagne de désinformation contre l’Iran dirigée de l’extérieur du pays», a indiqué sur Twitter Aliréza Iryousséfi, porte-parole de la délégation iranienne au siège des Nations unies à New York.

Difficile donc de faire la lumière sur ce qu’il se passe réellement dans le pays. D’autant que les autorités iraniennes ont rapidement agité le spectre de l’ingérence des services secrets israélo-américains pour justifier ce soulèvement. De son côté, le gouvernement a justifié ces réformes en se donnant une posture de Robin des Bois:

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«Environ 60 % des familles iraniennes n’ont pas de voiture. À la campagne et dans les petites villes, les gens qui possèdent une voiture consomment moins de 60 litres d’essence par mois. Ce plan est une avancée pour ces deux grandes composantes de la société iranienne. Elles en ressentiront les effets positifs [du projet de quotas sur le carburant, ndlr] avec le temps. La philosophie du plan de subvention consiste à prendre aux riches [ce qu’ils ont en excès, ndlr] pour le donner aux pauvres.»

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Pour mieux comprendre qu’elle est réellement la situation et quels en sont les enjeux, Sputnik France a tendu le micro à Thierry Coville, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de la politique iranienne.

Sputnik France: Le prix de l’essence a brutalement augmenté en Iran. Pourquoi le gouvernement a-t-il pris une telle décision? Est-ce une logique électorale? Est-ce pour renflouer les caisses? Ça ne pouvait qu’avoir des conséquences fâcheuses…

Thierry Coville: «C’est la question que tout le monde se pose. Le premier point, c’est que le processus qui a mené à cette décision n’est pas très transparent. Elle a été prise par un organe créé il y a un an, qui regroupe les branches exécutives, judiciaires et législatives, sans même que les députés du parlement n’aient été mis au courant.

C’est donc une décision qui vient d’en haut. D’après moi, la logique, c’est de tenter une redistribution vis-à-vis des plus pauvres, sans autre motif. Le gouvernement iranien n’a plus d’argent, donc via cette taxe, il pouvait prendre plus ou moins équitablement à tout le monde et son idée est de redistribuer grâce à ça, aux 80% les plus pauvres.»

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Sputnik France: On a très peu d’informations, mais je vous pose quand même la question: où en est la contestation aujourd’hui? A-t-elle vocation à se prolonger dans le temps?

Thierry Coville: «Comme vous le dites, on a très peu d’informations… La première chose à comprendre est que ce n’était pas préparé, il n’y a pas de parti politique qui organise ces manifestations ou les soutient, c’est vraiment une colère sociale spontanée. Il y a toute une génération de jeunes qui a la tête sous l’eau et ne voit pas d’avenir possible pour elle dans ces conditions. Cette colère est fortement réprimée, car en face, les autorités sont sur une logique sécuritaire et pensent que c’est un complot qui vient de l’étranger. Je dirai donc que la colère ne disparaîtra pas, mais face à la répression, que voulez-vous faire?»

Sputnik France: A-t-elle des chances d’aboutir à de réels résultats? Que ce soit d’un point de vue politique ou même économique…

Thierry Coville: «Au début, certains députés du parlement ont voulu revenir sur cette loi, mais l’ayatollah Khamenei a ensuite publiquement apporté son soutien à cette décision et compte tenu de ce qui s’est passé, je les vois mal revenir dessus. Ça serait un aveu de faiblesse qu’ils ne se permettront pas. Par contre, je pense que le gouvernement va mettre en place l’aspect redistribution de la loi le plus vite possible, pour montrer que ça marche. Ça dépendra de l’état des finances, mais ça sera fait le plus tôt possible.»

Sputnik France: Les autorités iraniennes accusent les États-Unis et Israël d’ingérence, y a-t-il un fond de vérité ou est-ce simplement du fantasme?

A handout picture released on September 18, 2016 by the official website of the Centre for Preserving and Publishing the Works of Iran's supreme leader Ayatollah Ali Khamenei shows the Quds Force commander Major General, Qassem Suleimani (C), attending a meeting of Revolutionary Guard's commanders in Tehran - Sputnik Afrique
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Thierry Coville: «C’est une réponse automatique à chaque fois qu’il y a des troubles en Iran. Le secrétaire d’État américain a dit qu’il soutenait les manifestants, ça ne va pas plus loin que ça. Il n’y a pas d’agents de la CIA dans les rangs des manifestants, c’est complètement faux.»

Sputnik France: Peut-on lier ce qui se passe en Iran actuellement avec les soulèvements populaires en Irak? Y a-t-il un effet de débordement d’un pays à l’autre?

Thierry Coville: «Je ne pense pas. Je dis ça, car ce qu’on entendait en Iran depuis un moment, c’est qu’ils ne voulaient pas que leur pays devienne comme un de leurs voisins (Irak ou Syrie). Il y a quand même cette notion du: "on n’est pas content, il y a plein de choses qui ne vont pas, mais c’est toujours mieux ça que le chaos ou l’anarchie". J’ajouterai que la crise économique est tout de même beaucoup plus grave qu’ailleurs au niveau des chiffres, et c’est 100% lié aux sanctions américaines.»

Sputnik France: Au final, est-ce que ce n’est pas cette stratégie américaine qui est en train de porter ses fruits? Par les sanctions, pousser la rue à se soulever contre ses élites…

Thierry Coville: «Non, car en haut, c’est toujours pareil. Cette politique de la "pression maximale" a comme objectif principal de pousser l’Iran à renégocier l’accord sur le nucléaire et arrêter l’ingérence régionale. C’est tout le contraire qui se passe. Donc au final, la politique américaine a moyen de faire mal à la population, mais ça on le savait, par contre son efficacité à faire changer d’attitude l’Iran ne fonctionne absolument pas. Je vois d’ailleurs un Iran plus agressif qu’il ne l’était avant la mise en place de cette stratégie.»

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