Pollution spatiale: l’espace, décharge à ciel ouvert?

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Dans l’espace, des enjeux capitaux se jouent autour des débris spatiaux. Entre un nombre d’objets spatiaux en constante augmentation et les ambitions démesurées d’entreprises comme SpaceX, qui prévoient de coloniser l’orbite terrestre, le péril est imminent. Retour sur ce phénomène avec Christophe Bonnal, chercheur au CNES.

Sur Terre, la protection de l’environnement est au cœur des débats. Citoyens et hommes politiques s’engagent en faveur d’une réduction de la pollution. Pourtant, dans l’espace l’activité humaine fait aussi des dégâts.

En témoignent le nombre colossal de débris spatiaux (objet orbital artificiel non fonctionnel comme de vieux satellites, ou vieux étages de lanceurs de fusée) en orbite terrestre. On dénombre près de 34.000 objets de plus de 10 cm, dont 21.000 catalogués par les agences spatiales. Mais il faut aussi compter avec 900.000 objets de 1 cm ou plus et 130 millions de 1mm ou plus.

​Contacté par Sputnik, Christophe Bonnal, chercheur au CNES, président des commissions «débris spatiaux» de l’Académie internationale d’astronautique (IAA) et de la Fédération internationale d’astronautique (IAF), il est l’auteur de Pollution spatiale: l’état d’urgence (Éd. Belin, 2016). Il rappelle la dangerosité de ces éléments «en raison de la vitesse orbitale, de l’ordre de 30.000 km/h».

«L’impact d’un objet de 1 mm dans un satellite, cela a la même énergie qu’une boule de bowling lancée à 100 km/h. Un centimètre, c’est comme une voiture lancée à 130 km/h. De tout petits objets peuvent faire des dégâts phénoménaux», détaille Christophe Bonnal.

En effet, comme l’explique le chercheur au CNES, le risque de collision est très important: «statistiquement, on en comptabilise une dizaine par an», précise-t-il. De plus, ces «rencontres» peuvent générer entre «4.000 ou 5.000 nouveaux gros débris».

Collision en orbite et risque de «syndrome de Kessler»

En 2009 par exemple, un satellite de télécommunication américain Iridium 33 et un satellite hors service russe Cosmos 2251 sont entrés en collision, créant ainsi des milliers de nouveaux fragments.

​«Une myriade de nouveaux débris qui ne demandent qu’une chose: rentrer en collision avec d’autres. Une activité qui provoquer une réaction en chaîne de type exponentiel, appelé le “syndrome de Kessler”, théorisé par Donald J Kessler (NASA)», explique Christophe Bonnal.

«Ce qui est terrible, c’est que même si demain on arrête complètement de lancer des fusées, que l’on arrête toute activité spatiale, le nombre d’objets dans l’espace va continuer d’augmenter […]. Dans les zones particulièrement “peuplés”, entre 700 et 1.000 km d’altitude, il y a 95 à 96% de débris qui se sont générés par collision mutuelle», s’inquiète le chercheur.

Des collisions qui peuvent entrainer la chute de débris sur la planète, bien que la majeure partie de ceux-ci fondent grâce à l’échauffement associé à la rentrée dans l’atmosphère. En effet, le flux thermique peut atteindre jusqu’à 1.600 degrés. Pour les matériaux résistants comme le carbone (qui tient jusqu’à 3.000 degrés) ou le titane, c’est une autre affaire. Des éléments qui représentent «10 à 20% de la masse qui rentre sur Terre», estime Christophe Bonnal.

Chaque semaine, un satellite ou étage tombe sur Terre

Un phénomène dangereux pour les êtres humains? Selon le chercheur, le risque est limité. Et pour cause, «la surface du globe, c’est 71% d’océans et de mers, 10% de déserts, la zone réellement densément peuplée ne représente que 3%. Grâce à cela, il n’y a jamais eu de victimes, ni même de blessés à ce jour», se réjouit Christophe Bonnal.

Malgré l’absence de victime, les différentes agences spatiales internationales ont pris conscience de leur impact.

«La pollution spatiale a démarré en même temps que le satellite Spoutnik, le 4 octobre 1957. Depuis, on note une augmentation de la masse d’objets dans l’espace avec une très forte proportion d’objets inutiles.»
© Sputnik / Accéder à la base multimédiaSpoutnik, 1957
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Spoutnik, 1957

Pour remédier à cette situation, «Dès 1990, on a fondé un groupe qui s’appelle IADC» (Inter-Agency Space Debris Coordination Committee), rappelle Christophe Bonnal. Une entité qui permet d’échanger notamment sur les techniques d’observation, de modélisation, mais surtout proposer de nouvelles réglementations, prises par consensus, à l’unanimité.

Actuellement, la conquête spatiale est régie par cinq grands principes appelés «mitigation»: ils consistent à choisir «la réglementation à appliquer de manière à ne pas avoir de problème demain», souligne le chercheur au CNES. Parmi ces règles, il est par exemple interdit de «générer de débris volontairement»; il faut «tout mettre en œuvre pour éviter d’avoir des explosions accidentelles»; «ne pas faire de victime au sol»; ou encore, «éviter les collisions quand c’est faisable».

Faire évoluer la composition des éléments envoyés dans l’espace

Comme le rappelle Christophe Bonnal, «Il y a à peu près un gros ou un satellite ou étage entier qui rentrent chaque semaine sur Terre». Pour réduire la dangerosité des débris, les fabricants appliquent de plus en plus le «Design for Demise» (D4D). En clair, cela consiste lors de conception des fusées, par exemple, à privilégier les matériaux qui fondent facilement au contact l’atmosphère.

«On évite de lancer des choses qui vont survivre. Mais quid de tout ce qui est déjà là-haut? On a énormément de vieux étages et de vieux satellites, notamment soviétiques, américains et chinois [qui représentent près 90% des débris spatiaux, ndlr] datant de la période de la Guerre froide. Ceux-là sont composés de titane, de carbone et autre», déplore Christophe Bonnal.

​Que faire de ces détritus encombrants? Christophe Bonnal répond «que l’on peut envisager d’aller chercher les plus gros, les plus dangereux, et de les désorbiter».

Une technique appelée ADR «active débris removal» (retrait actif de débris).

«C’est complexe, mais faisable. Vous avez un genre de chasseur par exemple, équipé d’un bras robotique ou d’un filet, d’un harpon ou d’un grappin. Il y a pas mal de techniques qui ont été développées, cela ressemble pas mal à la pêche au gros», plaisante le chercheur.

«La première vraie manipulation de retrait d’un vrai débris devrait avoir lieu fin 2022, menée par une startup qui émane de l’EPFL [école polytechnique fédérale de Lausanne, ndlr], une mission qui s’appelle ADRIOS, pour l’ESA», note le chercheur.

Sur le papier, l’ADR semble être une solution idyllique, néanmoins elle pose des «problèmes d’ordre financier, politique et juridique et enfin militaire», commente Christophe Bonnal.

Les méga-constellations: nouvelle hantise des astronomes

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Le point de vue du nez de la fusée de SpaceX lors de son détachement comme si vous y étiez – vidéo
Par ailleurs, plusieurs pratiques pourraient aggraver l’ampleur de cette pollution spatiale. D’une part, la démocratisation des CubeSat, des nanosatellites mesurant généralement 10 cm de côté. «Toute université ou école d’ingénieur qui se respecte fait son propre cubesat. Ces objets sont à la limite de la détectabilité au niveau de nos radars, ils sont petits, non manœuvrants (pas de propulsion à bord), et ils sont incapables d’éviter des collisions», déplore Christophe Bonnal.

D’autre part, les méga-constellations de satellites privés comme le projet Starlink, de l’entreprise SpaceX d’Elon Musk, qui ambitionne de créer un réseau maillé très serré afin de garantir à tous un accès à haut débit au réseau Internet. En 2025, Starlink devrait disposer de près de 12.000 satellites, mais espère atteindre le nombre de 42.000. Or, d’autres acteurs privés veulent également s’engouffrer sur le marché du «Net spatial», à l’instar d’Amazon avec le «projet Kuiper», piloté par sa filiale Kuiper Systems, ou OneWeb, financé en partie par SoftBank, Virgin et Qualcomm.

​Pour mieux comprendre l’impact de cette course à l’espace, il faut mettre en perspective les chiffres. En effet, depuis le lancement du premier satellite en 1957, seuls 8.836 ont été par la suite envoyés en orbite, selon le bureau des Nations unies chargé des affaires spatiales (l’UNOOSA). En outre, selon l’association UCS (Union of Concerned Scientists), rappelle qu’au 1er avril 2019, 2.063 satellites opérationnels étaient en orbite autour de la Terre.

«Si les satellites de ces méga-constellations sont parfaitement contrôlés, qu’ils sont tous très bien désorbités en fin de vie, qu’il n’y en a aucun qui explose, qu’ils évitent les collisions, dans ce cas, la vie est belle. Mais si par hasard, il y a des problèmes, multipliés par 42.000, cela deviendrait n’importe quoi.»

Et de conclure,

«C’est donc l’une des priorités sur lesquelles on travaille au niveau international dans le cadre du “Space traffic management” (STM), une sorte de Code de la route pour l’espace.»
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