«Beyroshima»: est-il possible de soutenir les Libanais sans que l’aide ne soit détournée?

© Sputnik . Mikhaïl Alaeddin / Accéder à la base multimédiaBeyrouth après les explosions, 5 août 2020
Beyrouth après les explosions, 5 août 2020 - Sputnik Afrique
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Après les explosions qui ont ravagé Beyrouth, l’aide internationale s’organise. Si ce fond d’urgence s’avère crucial pour la population, le système de corruption qui touche le pays fait craindre aux organisations humanitaires que l’argent ne soit détourné. Sputnik a interrogé un médecin sur place qui explique comment éviter ce danger.
«Les participants ont convenu que leur assistance devrait […] être bien coordonnée sous l’égide des Nations unies et fournie directement à la population libanaise, avec le maximum d’efficacité et de transparence.»

Réunis lors d’une visioconférence, dimanche 9 août dernier, une trentaine de pays sont engagés à fournir une assistance d’urgence au Liban après les déflagrations qui ont retenti à Beyrouth. Ils ont par ailleurs tenu à assurer que cette aide irait bien à la population. Au total, ce sont plus de 250 millions d’euros, dont 30 millions versés par la France, qui seront dédiés aux victimes de cette catastrophe ayant fait au moins 170 morts, plus de 6.000 blessés et près de 300.000 sans-abri.

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Un fond d’urgence, crucial pour le pays mais qui met en exergue les tensions qui le traversent. Les élites locales sont en effet régulièrement accusées d’être corrompues et notamment de s’accaparer l’aide internationale. «Ne donnez rien, ce sont des voleurs!», a-t-on ainsi pu entendre dans la bouche de Beyrouthins en colère, prenant à partie le Président français lors de sa visite du 6 août, comme le rapporte Le Monde.

Une corruption endémique

En réaction à la colère du peuple, qui s’est notamment traduite par plusieurs manifestations, le Premier ministre libanais Hassan Diab a annoncé la démission de son gouvernement lundi 10 août.

«Le système de corruption s'est étendu au sein de l’État. Je me suis rendu compte qu'il était plus grand que l’État qui, pieds et poings liés, n'a pas réussi à le combattre», a-t-il regretté.

Et de poursuivre, cité par L’Orient-Le Jour: «L'explosion de Beyrouth est l'une des manifestations de ce système et le résultat d'une corruption endémique.»

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La question qui se pose est donc: comment faire pour que cette aide aille au peuple? Pour ce faire, le Liban pourrait-il se retrouver sous tutelle internationale? Ismaïl Hassouneh, médecin franco-libanais, secrétaire national du Secours populaire et membre de la Development for People and Nature Association (DPNA), souligne que «le Liban est déjà indirectement sous tutelle internationale! Cela fait longtemps qu’aucune décision n’est plus prise de façon purement interne», argue-t-il au micro de Sputnik.

Pour éviter tout détournement, «nous avons des projets intégrés de A à Z», explique le médecin. En clair, «quand des personnes ont perdu leur toit, nous les prenons en charge du début jusqu’à la fin. En tant qu’associatifs, nous sommes là pour évaluer et vérifier, par exemple au bout de trois mois, où en est la situation», détaille Ismaïl Hassouneh.

Instabilité institutionnelle

Si «la reconstruction et la réhabilitation sont des choses onéreuses», le secrétaire national du Secours populaire rappelle qu’il y a aussi un «aspect psychologique important»:

«Nous intégrons les gens aux projets, en les formant et en leur versant un peu d’argent pour reconstruire leur propre logement, tout en les accompagnant. Les démarches sont participatives, cela permet de réinsérer les gens en même temps que de reconstruire.»

Le médecin, qui est venu au Liban au départ pour limiter l’«impact de la crise du Covid-19 sur les familles vulnérables», a vu sa mission bouleversée après les explosions. Désormais, l’urgence est sociale: il faut «mettre à l’abri les familles, fournir des kits d’hygiène, réhabiliter les maisons et, le plus dur, reconstruire».

Dans un pays qui a été meurtri par la guerre civile, en proie à une instabilité institutionnelle chronique et connaissant des problèmes économiques importants, de l’aveu du médecin franco-libanais, la tâche qui s’avère la plus compliquée est de redonner espoir à la population.

«On ne voit pas d’horizon. La grande majorité des Libanais ne voit aucune issue. La faillite de l’État, la dévaluation de la livre libanaise, 40% de la population sous le seuil de pauvreté et par-dessus tout ça, cette catastrophe…»

«Les gens parlent de «Beyroshima». On est un tout petit pays dans la tourmente, déstabilisé par les grandes puissances, et on ne peut pas faire face seuls. Parmi le million de réfugiés syriens présents au Liban, certains commencent à repartir en Syrie, tant la situation est difficile ici», poursuit Ismaïl Hassouneh.

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Le secrétaire national du Secours populaire évoque également la nécessaire prise en charge des enfants. «Nous avons un projet de longue date qui s’appelle «Copains du monde», pour réintégrer dans la société des enfants traumatisés. Une initiative qui se traduit par l’installation de trois villages qui accueillent des enfants palestiniens, syriens et libanais afin d’œuvrer à la résolution des conflits, à la cohésion sociale entre les différentes communautés de la région.»

«Certains enfants vont pour la première fois de leur vie dans un endroit où ils rencontrent des jeunes d’autres communautés, chrétiens, musulmans, syriens, palestiniens… La guerre civile libanaise est finie depuis trente ans mais cela montre que la société reste extrêmement cloisonnée.»

Ces multiples initiatives ne donnent-elles pas l’impression que la présence humanitaire se substitue à un État défaillant?

«La classe politique libanaise se rend bien compte elle-même que l’État est sclérosé et ne peut plus rien. La démission du gouvernement en est la preuve», déplore le médecin de la DPNA.

«On a déjà donné le temps au temps, et la société civile n’en peut plus. Les sinistrés ne font plus confiance aux pouvoirs publics. Mais nous ne cherchons pas à remplacer l’État, nous essayons simplement de mener notre mission d’humanitaires», conclut Ismaïl Hassouneh.
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