Transition au Mali: «la Francophonie doit peser de tout son poids», selon son nouvel envoyé spécial

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Au Mali, la Francophonie va travailler en synergie avec la CEDEAO pour «faciliter la transition» afin de «lever les sanctions», selon son nouvel envoyé spécial, Cheikh Tidiane Gadio. L’ex-ministre des Affaires étrangères sénégalais prépare déjà la visite de la secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo, à Bamako. Exclusif.
«Ma nomination vise à mieux ancrer l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) dans le processus de restauration des institutions démocratiques au Mali, mais aussi à trouver des solutions de sortie de crise durables et crédibles prenant en considération les attentes des citoyens maliens», a expliqué au micro de Sputnik France le nouvel envoyé spécial de la Francophonie au Mali, Cheikh Tidiane Gadio.

Désigné officiellement lundi 21 septembre pour accompagner les efforts de la Secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo, dans le processus de transition civile au Mali et la refondation de ses institutions, cet ancien ministre des Affaires étrangères, actuellement vice-président de l’Assemblée nationale du Sénégal, devra également s’assurer que «le retour à l’ordre constitutionnel se fait bien au Mali et que le pays repart sur de bonnes bases», a-t-il confié à Sputnik lors d’un entretien téléphonique depuis Dakar.

Une tâche qui s’annonce d’autant plus ardue que vient d’être annoncé le nom du nouveau Président de la transition au Mali. Il s’agit de Bah Ndaw, l’ancien aide de camp du général Moussa Traoré, qui fut chef d’État-major adjoint de l’Armée de l’air sous la présidence d’Alpha Oumar Konaré. Quant au colonel Assimi Goïta, l’homme fort du putsch du 18 août, qui avait permis d’obtenir la démission du Président Ibrahim Boubacar Keita (IBK), il a été désigné premier vice-Président, selon un communiqué du Comité national pour le Salut du Peuple (CNSP), toujours aux commandes du pays.

© Photo Cheikh Tidiane GadioL’ancien ministre sénégalais des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, est le nouvel envoyé spécial de l’OIF pour le Mali.
Transition au Mali: «la Francophonie doit peser de tout son poids», selon son nouvel envoyé spécial - Sputnik Afrique
L’ancien ministre sénégalais des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, est le nouvel envoyé spécial de l’OIF pour le Mali.

Cheikh Tidiane Gadio doit prochainement effectuer une «mission de haut niveau» à Bamako, en compagnie de Nadia El Yousfi, députée au Parlement bruxellois et au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, membre du bureau de la Commission des affaires parlementaires de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) et Moha Ouali Tagma, ambassadeur du roi du Maroc auprès de la République fédérale du Nigéria et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à Abuja. Il a révélé à Sputnik qu’elle devait notamment servir à «préparer la visite de Louise Mushikiwabo» au Mali.

«Cette mission va permettre de prendre contact avec les autorités maliennes, la classe politique et la société civile. Elle permettra aussi de jeter les bases de la venue à Bamako de la Secrétaire générale de l’OIF, Louise Mushikiwabo. Mais une telle visite ne pourra évidemment avoir lieu que si la transition civile est lancée, avec à sa tête un Président et un Premier ministre civils», a précisé à Sputnik Cheikh Tidiane Gadio.

Quant au choix par la junte d’un militaire à la retraite pour présider la transition, «le dernier mot reviendra à a CEDEAO pour apprécier si cette option lui convient», précise-t-il.

«Mission de haut niveau» pour l’envoyé spécial de l’OIF

«Les avis personnels que j’ai pu émettre à l’égard des sanctions imposées au Mali après le coup d’État militaire n’affectent en rien ma détermination, en tant qu’envoyé spécial de la Francophonie, à tout faire pour promouvoir une transition civile et un retour rapide à l’ordre constitutionnel normal», insiste le vice-président depuis octobre 2019 de l’Assemblée nationale sénégalaise.

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Cheikh Tidiane Gadio fait toutefois remarquer que pour certains, «un militaire qui va à la retraite retourne à la vie civile et peut donc être considéré comme un civil.» Le fondateur de l’Institut panafricain de stratégie Paix-Sécurité-Gouvernance (IPS) qui co-organise chaque année, depuis 2014, le Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique en partenariat avec le ministère français de la Défense, aurait-il un penchant pour les militaires?

À l’instar de la plupart des intellectuels sénégalais, cet ancien ministre des Affaires étrangères d’Abdoulaye Wade (d’avril 2000 à septembre 2009) a noué «des liens très forts avec le Mali» qui dépassent les seules questions de sécurité, reconnaît-il lui-même. Fin juillet, il faisait partie de la délégation qui avait accompagné le Président Macky Sall à Bamako, lors de la visite des chefs d’État de la CEDEAO pour tenter de dénouer la crise politique au Mali.

À la suite du coup d’État et de la démission du président IBK, le chef de l’État sénégalais avait exprimé son désaccord à l’égard des sanctions décidées par la CEDEAO contre le Mali, demandant que soient exclues de l’embargo «les denrées de première nécessité, les produits pharmaceutiques et pétroliers.»

La francophonie, main dans la main avec la CEDAO

Un avis que partage Cheik Tidiane Gadio, qui ne remet pas en cause le leadership de la CEDEAO sur le dossier malien, mais prône davantage de synergie entre les différentes parties:

«Une visite s’impose au nouveau président en exercice de la CEDEAO [le Ghanéen Nana Akufo-Addo, ndlr] que je connais bien par ailleurs. Il n’y a aucune raison que l’OIF ne puisse pas ne travailler en étroite coordination sur ce dossier avec la CEDEAO, l’Union africaine, les Nations Unies, ainsi que toute la communauté internationale. L’OIF, qui représente 54 États membres et 27 pays observateurs, peut peser d’un certain poids dans le processus en cours à Bamako», a fait valoir l’envoyé spécial de la Francophonie au Mali.

Sollicité dans de nombreuses missions de médiation et de facilitation dans des zones en conflit, notamment pour l’Union africaine, la CEDEAO et l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI), dont il a été le représentant en Centrafrique, cet habile négociateur sait de quoi il parle. Même si sa ligne de crête reste «le respect de la volonté des Maliens d’abord», de nombreuses dissensions sont déjà apparues entre le plus grand mouvement de contestation, le M5-RFP (Mouvement du 5 juin –Rassemblement des forces patriotiques) et le CNSP.

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Il trouve pour sa part raisonnable un compromis sur «la durée de la transition fixée à 18 mois» par les participants de la concertation nationale sur cette «transition», qui s’est tenue du 10 au 12 septembre à Bamako.

Lors du sommet extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO qui s’est tenue à Accra (Ghana) le 15 septembre dernier, la délégation malienne, conduite par le président du CNSP, a insisté sur la mise en place de trois organes: le Président et le vice-Président de la Transition, le gouvernement de la Transition, avec à sa tête un Premier ministre et le Conseil national de transition (organe législatif).

Pour l’envoyé spécial, de l’OIF, c’est «la volonté des Maliens d’abord»

Concernant «les prérogatives» du vice-Président de la transition ou «la composition» du collège de désignation du Président de la transition, des contestataires au sein du M5-RFP ont estimé qu’ils «n’ont jamais été soumis à débat». Pour Cheik Tidiane Gadio, «ces différends ne pourront être résolus que par les Maliens eux-mêmes» afin d’obtenir l’aval de la CEDEAO «qui se traduira ensuite par une levée des sanctions», insiste-t-il.

«Un interlocuteur comme l’imam Mahmoud Dicko reste incontournable au sein du M5-RFP à cause de son poids moral. C’est dans notre intérêt à tous de lui reconnaître ce statut. Mais c’est aux Maliens –et à eux seuls– de savoir dépasser leurs contradictions ainsi que leurs ambitions personnelles pour travailler tous ensemble à la refondation de leur État et de leurs institutions», préconise l’envoyé spécial de l’OIF pour le Mali.

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Ce qui pose la question suivante: la refondation du Mali, avec qui? Maintenant que le choix s’est porté sur un ancien militaire pour la présidence de Transition, de «respectés généraux à la retraite dont les noms circulaient comme ceux de Moussa Sinko Coulibaly ou de Mahamet Touré ont moins de chances», selon Siré Sy, fondateur du Think Tank Africa WorldWide Group qui a adressé une Lettre ouverte au CNSP et aux Chefs d’État de la CEDEAO avant le sommet d’Accra.

En revanche, d’anciens Premiers ministres, comme Modibo Sidibé, en fonctions sous le la présidence d’Amadou Toumani Touré ou Cheick Modibo Diarra, ancien Premier ministre de transition en 2012, ont toutes leurs chances pour le poste de Premier ministre de Transition. Sans parler de l’ancienne ministre de la Culture devenue altermondialiste, Aminata Traoré. Qu’en pense l’envoyé spécial de l’OIF pour le Mali?

«Là encore, c’est aux Maliens de décider sur la refondation du Mali: comment? Et notamment, comment doter ce grand pays d’institutions pérennes, d’une bonne gouvernance et comment lui permettre de renforcer son unité nationale? Une telle démarche devra divorcer d’avec les schémas du passé», conclut-il prudemment.
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