«Plus peur de mourir de faim que du Covid»: face au «semi-confinement», révolte à l’italienne –vidéos

© AP Photo / Claudio FurlanManifestation en Italie contre le durcissement des mesures
Manifestation en Italie contre le durcissement des mesures - Sputnik Afrique
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Une vague de colère populaire déferle sur l’Italie depuis que les autorités ont décidé d’imposer un «semi-confinement» face à la propagation du Covid-19. Les manifestations, parfois violentes, se multiplient dans tout le pays. De quoi mener à l’insurrection? Marie d’Armagnac, journaliste indépendante et spécialiste de l’Italie, répond à Sputnik.

«Liberté! Liberté! Liberté!» Depuis plusieurs jours, des milliers d’Italiens envahissent les rues pour crier leur colère.

De Turin à Naples en passant par Rome, Milan, Vérone, Trieste, Lecce, Viareggio, Pescara, Florence, Crémone et même la sicilienne Catane, les transalpins protestent contre les dernières mesures prises par le gouvernement afin d’enrayer la propagation du coronavirus et que de nombreux observateurs qualifient de «semi-confinement».

​«Florence, citoyens marchant contre le confinement et le gouvernement Conte. Pour ce week-end, des centaines et des centaines de manifestations sont prévues dans toute l’Italie: avis d’expulsion du gouvernement Conte en cours. Restons ensemble, nous écrirons l’histoire.»

L’Italie est-elle en route vers l’explosion sociale?

«Oui, c’est effectivement de plus en plus chaud. Il y a énormément de révoltes dans de très nombreuses villes, aussi bien au nord qu’au sud. Tous ces gens sont désespérés», explique au micro de Sputnik Marie d’Armagnac, journaliste indépendante et spécialiste de l’Italie. 

Afin de tenter de calmer la colère de la rue, le gouvernement de Giuseppe Conte a débloqué plus de cinq milliards d’euros destinés à aider les professions les plus touchées par les nouvelles mesures sanitaires.

«On ne sait pas vraiment quand cet argent va arriver. Les petites et moyennes entreprises, indépendantes, familiales, les commerçants, les artisans qui composent une grande partie du tissu économique italien ont énormément souffert du premier confinement. Ils sont terrifiés à l’idée de devoir en affronter un deuxième», avertit Marie d’Armagnac, auteur de Matteo Salvini, l’indiscipliné, (Éd. du Toucan-L’Artilleur).

Fin août, l’histoire tragique de Luca a ému l’Italie. Le restaurateur florentin âgé de 44 ans s’ôtait la vie par peur d’un nouveau confinement. Ce dernier craignait de se retrouver criblé de dettes. «Il ne supportait pas l’incertitude de l’avenir, il était devenu fragile et avait peur de perdre son local», a expliqué son frère au journal La Stampa.

«Qu’est-ce que je vais acheter à mon fils à manger?»

«Pour la mi-novembre, tous les virements seront effectués» sur les comptes des entrepreneurs concernés, a quant à lui assuré Roberto Gualtieri, ministre de l’Économie, au cours d’une conférence de presse.

​«Vérone, un cortège de citoyens protestent contre le confinement et le gouvernement Conte. Affrontements avec la police.»

Traumatisé par l’horreur vécue par le pays au printemps dernier, quand l’Italie était le premier foyer de contamination en Europe, l’exécutif italien a, à l’instar de la France, fortement réagi à la recrudescence du nombre de cas de Covid-19. Ces derniers avoisinaient les 20.000 par jour au moment où le gouvernement a décidé d’opérer un sérieux tour de vis. «Nous sommes au bord de l’effondrement, un confinement est nécessaire», avertissait le 27 octobre Guido Bertolini, porte-parole des services d’urgence de Lombardie.

​«Ce n’est pas acceptable. Ce n’est pas acceptable. Arrêtez cette folie tout de suite avant qu’il ne soit trop tard.»

Le gouvernement n’a pas opté pour un reconfinement total comme en France, mais un couvre-feu a été instauré dans plusieurs grandes régions et depuis le 26 octobre jusqu’au 24 novembre minimum, les cinémas, les théâtres, les salles de sport et les piscines sont fermés. Les bars et les 300.000 restaurants du pays doivent quant à eux cesser de servir après 18h. «Je suis exaspéré, en colère. Le gouvernement prend des mesures qui n’ont aucun sens et nous utilise comme des boucs émissaires pour justifier son incapacité. Sachez qu’il y a tant de gens qui n’en peuvent plus», a expliqué à RFI Elio Grillotti, qui a récemment manifesté à Rome.

En Italie, «je me demande si ce n’est pas pire qu’en France»

Comme lui, ils sont nombreux à prédire un futur sombre de l’autre côté des Alpes. Des images d’une mère de famille hurlant son désespoir ont fait le tour des réseaux sociaux: «Qu’est-ce que je vais acheter à mon fils à manger? Je n’ai pas d’argent. Vous avez pris mon travail, je suis à la maison depuis janvier. J’ai un garçon de trois ans, que puis-je lui acheter à manger? Les factures arrivent à la maison, mais pas les aides financières. Vous nous avez détruits.»

L’Italie, comme ses voisins, a subi un choc économique dévastateur du fait de la pandémie de Covid-19. Le confinement du printemps a détruit plus d’un demi-million d’emplois. La péninsule devrait faire face cette année à une récession historique, la pire depuis la Seconde Guerre mondiale. En juillet dernier, la Commission européenne tablait sur un recul du PIB de l’ordre de 11,2%.

Marie d’Armagnac juge la situation économique «dramatique» en Italie. «Je me demande si ce n’est pas pire qu’en France», soupire-t-elle. Cependant, elle ne pense pas «que le gouvernement opte pour un reconfinement comme nous le vivons actuellement en France.» «Leur situation sanitaire est moins dégradée que la nôtre, tout en gardant à l’esprit que l’on peut faire dire ce que l’on veut aux chiffres», ajoute celle qui a vécu de nombreuses années en Italie.

La mafia impliquée?

Pour de nombreuses professions très fragilisées, un reconfinement total aurait des conséquences encore plus terribles que celles provoquées par les mesures en vigueur. Les sociétés en question craignent déjà que le «semi -confinement» actuel finisse de les achever. «Ici on pouvait accueillir 90 personnes au même moment et là on est sur 30. C’est le coup de grâce, très clairement, à petit feu», lance à RFI un restaurateur romain.

«En tant que gouvernement, nous concentrons nos efforts pour aider les Italiens honnêtes. Les commerçants, les barmans, les entrepreneurs, les ouvriers, ne protestent pas de cette manière. Qui attaque la police de l’État est un criminel.»

Preuve du succès grandissant du mouvement, les participants aux manifestations vont des étudiants aux chauffeurs de taxi en passant par des restaurateurs, des patrons de bar ou encore des représentants du monde de la culture.
Depuis le début de la fronde, plusieurs rassemblements ont été émaillés de violences. Au-delà d’affrontements avec les forces de l’ordre, des tramways ont été pris pour cibles, des poubelles incendiées et des boutiques vandalisées, notamment à Milan et Turin. De violents affrontements ont également eu lieu à Naples entre jeunes et forces de l’ordre. Le 26 octobre dans la capitale lombarde, des manifestants ont même tenté de prendre d’assaut le siège du conseil régional.

​«L’histoire des Gilets jaunes se répète: protestation légitime au début, presque immédiatement infiltrée par des black blocs.»

D’après la presse italienne, des groupes de supporters «ultra», très actifs dans le football italien, participent aux manifestations.

«Vous avez un peu de tout. Ce qui se passe en Italie me fait penser à la contestation des Gilets jaunes en France. Vous avez d’honnêtes gens qui ne demandent qu’à pouvoir travailler et qui manifestent pour cela, souvent avec leurs enfants.
S’ajoutent à ces derniers des agitateurs professionnels notamment des “tifosi” ultra, des supporters violents qui sont à l’origine des débordements en marge des matchs de football, un peu à l’image des hooligans anglais. Eux s’attaquent plus à l’État qu’au gouvernement», analyse Marie d’Armagnac.

Federico Cafiero De Raho, procureur national antimafia, a accusé les mouvements mafieux d’encourager les désordres. Il a notamment évoqué «des indices clairs d’une participation criminelle de la Camorra», la mafia napolitaine, dans les heurts qui secouent la ville depuis plusieurs jours.

«Dans le sud du pays, on peut effectivement se demander si les manifestations n’ont pas été infiltrées par la mafia. Je crains que le gouvernement ne fasse l’amalgame entre manifestants honnêtes et agitateurs et professionnels de l’illégalité», s’inquiète Marie d’Armagnac.

Plusieurs personnalités ont publié des messages sur les réseaux sociaux appelant à cesser les violences. C’est notamment le cas de l’acteur Salvatore Esposito, célèbre pour tenir le premier rôle de la série Gomorra, centrée sur le crime organisé napolitain. Ce dernier a publié un cri du cœur sur Facebook: «Assez de violence! Malheureusement, après les événements de Naples, j’avais annoncé que la violence allait également se déchaîner dans d’autres villes. Pas parce que je suis un magicien, mais simplement parce que je reçois tellement de messages de personnes désespérées! Certains sceptiques et ignorants, comme toujours, ont pointé du doigt ma terre, mais ceci uniquement parce qu’ils sont trop aveuglés par la stupidité et ne se rendent pas compte du vrai désespoir du peuple, au-delà de l’infiltration de criminels qui exploitent dans chaque ville d’Italie seulement le désespoir des gens et ces occasions de faire des ravages. L’Italie a besoin d’une aide sérieuse et immédiate, les gens ont besoin d’être protégés et aidés, mais veuillez éviter que la violence obscurcisse l’appel à l’aide de tellement, tellement de gens!»

«Giuseppe Conte a bénéficié d’une certaine indulgence d’une population terrifiée par la propagation du virus au moment du premier confinement. Là, je pense que les gens ont plus peur de mourir de faim que du Covid», explique Marie d’Armagnac.

Quelle direction cette jacquerie va-t-elle prendre ces prochains jours? Comment le gouvernement de Giuseppe Conte compte-t-il réagir?

«Ce qui est sûr, c’est qu’il continue dans sa lancée, qui est de très peu consulter l’opposition parlementaire», conclut Marie d’Armagnac.
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