Athènes et Ankara ramenés à la table des négociations par la fragilité de leurs économies?

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Grèce et Turquie ont renvoyé leurs frégates au port et sont revenues à la table des négociations. Même s’il est essentiellement motivé par la fragilité économique des deux pays, ce retour à la diplomatie ravit Bahadir Kaleagasi, président de l’Institut du Bosphore et spécialiste des relations entre la Turquie et l’UE.

La Méditerranée orientale voit-elle le conflit s’éloigner? Après une année 2020 de toutes les tensions, les parties grecques et turques renouent le dialogue sur la rive européenne du Bosphore, à Istanbul.

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Pour la première fois depuis 2016, les diplomates d’Athènes et d’Ankara reprennent les «pourparlers exploratoires» sur leurs différends en mer Égée. Les échanges avaient été interrompus il y a cinq ans faute d’entrevoir un terrain d’entente. On assiste à un premier pas diplomatique positif, estime Bahadir Kaleagasi, président de l’Institut du Bosphore, un groupe de réflexion franco-turc. Les deux pays ont eu, et peuvent toujours avoir des relations de bon voisinage, pense-t-il.

«Tant du point de vue économique que politique, les divergences ne servent personne. La pensée rationnelle, fondée sur des faits réels, exige qu’il y ait une convergence.»

D’après Bahadir Kaleagasi, les équilibres géostratégiques régionaux n’ont jamais été un facteur clé dans l’augmentation des tensions entre les deux pays.

Discours nationalistes et provocateurs

Ce seraient au contraire selon notre interlocuteur des facteurs endogènes, liés à des discours politiques nationaux qui ont pollué les relations entre Athènes et Ankara.

«Des considérations de politique interne des deux pays poussent les dirigeants à Athènes et à Ankara à surenchérir dans les discours nationalistes et provocateurs. Ce sont des choses qui arrivent. Cela fait partie des aléas des relations entre les deux pays», analyse-t-il.  

L’année 2020 a tout de même été particulièrement tendue entre les deux nations, qui ont failli en venir aux armes. Les velléités turques d’exploration d’hydrocarbures dans les eaux territoriales grecques ont poussé la Grèce et ses alliés européens, notamment la France, dans une escalade militaire et verbale rarement atteinte entre membres de l’Otan.

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Quand un camp n’était pas en train de menacer l’autre, il envoyait des frégates ou des chasseurs s’approcher des territoires contesté. Dernier exemple criant de cette escalade: la Grèce a signé ce 25 janvier, le même jour que la réunion bilatérale gréco-turque, la commande de dix-huit avions de chasse Rafale à la France.

Apaisement sur fond de crise économique

Malgré ce récent achat, le climat est tout de même au réchauffement ces dernières semaines. Le Président turc Recep Tayyip Erdogan, en partie considéré comme provocateur et instigateur de ces tensions, a tendu la main à ses partenaires européens. Notamment à Emmanuel Macron, avec qui la joute verbale s’était particulièrement envenimée pendant l’été. Un discours provocateur que le Président de l’Institut du Bosphore juge contre-productif:

«Sur le plan du discours politique, Ankara a été effectivement assez incohérent l’année dernière. Il y a un climat politique de plus en plus polarisé en Turquie. La détérioration de plusieurs facteurs économiques et politiques au niveau national explique ce phénomène.»

Mais, selon notre interlocuteur, Ankara n’est pas le seul acteur à incriminer. L’Union européenne n’est pas exempte de responsabilités dans la radicalisation du discours politique ottoman.

«L’Union européenne a perdu son pouvoir transformatif sur la Turquie, alors que celui-ci connaissait un grand succès. Avec le gel du processus d’intégration de la Turquie, Ankara a perdu ce facteur exogène positif qu’était la pression européenne pour rejoindre ses standards», explique notre interlocuteur.

Erdogan veut-il retrouver cette influence européenne? Difficile à dire, mais, en quelques mois, son discours à radicalement changé. Désormais, le Président turc dit vouloir «remettre sur les rails» la relation entre la Turquie et l’Union européenne et «sauver» le lien avec la France. Et ce, quelques semaines après que l’Union européenne a imposé des sanctions contre des responsables turcs impliqués dans les activités d'exploration. Comment expliquer cette volte-face d’Ankara et le choix d’Athènes d’accepter de revenir à la table des négociations? Pour le président de l’Institut du Bosphore, la réponse est avant tout économique.  

«La situation économique des deux pays est fragile. Notamment du fait de la gestion de la pandémie et de ses conséquences économiques. Les deux pays ont besoin de bonnes nouvelles et non de tensions additionnelles qui vont limiter leur capacité d’action économique, d’investissement et, une fois la pandémie derrière nous, d’action industrielle. Cela vaut aussi pour les politiques énergétiques. Les deux pays ont besoin d’un climat d’apaisement et de bon voisinage», explique-t-il.

Toutefois, au-delà de l’économie, «l’avenir de la Turquie» se jouerait selon Kaleagasi «à l’ouest». «De tous points de vue», ajoute-t-il d’ailleurs, catégorique ; avant de préciser: «La Turquie a besoin de retrouver sa position dans le processus d’intégration européen, tout en étant un point d’ouverture européen vers un axe eurasiatique.»

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Ainsi enthousiaste à l’idée d’une meilleure relation entre les deux pays, le spécialiste des rapports turco-européens estime que le passé peut servir d’exemple et de motivation pour de futures relations fructueuses entre la Turquie et la Grèce: «Lors des années de bon voisinage, tout allait pour le mieux. Les investissements de part et d’autre ont augmenté. Le tourisme et toutes les autres formes de coopération également.» Et ce passé serait «encore assez frais dans les mémoires pour que les politiques se rappellent ce qui les rapproche plutôt que ce qui les sépare», juge-t-il.  

«Après la Première Guerre mondiale et le subséquent conflit gréco-turc, on a connu des décennies de bon voisinage. Le conflit de Chypre et le partage des zones économiques exclusives de la mer Égée ont envenimé les relations un temps, mais ce sont des divergences qui peuvent être réglées pacifiquement au niveau du droit international», rappelle Bahadir Kaleagasi.

Concernant la dispute en mer Égée par exemple, «il y a des divergences méthodologiques, mais les deux parties s’accordent pour recourir à l’arbitrage de la Cour internationale de justice de La Haye», fait-il ainsi remarquer, rassurant.

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