Insécurité: lorsque l’on est une femme, «on prend presque inconsciemment une attitude d’évitement» dans l’espace public

© Photo Pixabay / Olexy OhurtsovJeune fille dans la rue
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L’insécurité et la violence poussent plusieurs Européennes à adopter un comportement de vigilance dans certains endroits. C’est ce qu’il ressort du rapport publié par l'Agence européenne des droits fondamentaux. Pour Sputnik, la présidente des Effrontées et le sociologue Christian Mouhanna reviennent sur cette enquête pour le moins inquiétante.

Un constat effarant. Selon l’étude menée par l’Agence européenne des droits fondamentaux (FRA) publiée vendredi 19 février, 83% des Européennes âgées de 16 à 29 ans mettent en place des stratégies d’évitement par peur d’être agressées physiquement ou sexuellement, ou encore harcelées. Ainsi, une majorité de femmes font en sorte «soit d’éviter les endroits où il n’y a pas d’autres personnes autour, soit certaines rues ou endroits, soit de se retrouver isoler avec une personne qu’elle connaisse».

Pour obtenir ces résultats, la FRA basée à Vienne a interrogé 35.000 personnes dans l’Union européenne, au Royaume-Uni et en Macédoine du Nord, sur la perception de la criminalité, de la sécurité, mais également sur les droits des victimes.

«Autant de stratégies de méfiance par rapport à des gens connus que des inconnus»

Pour Claire Charlès, présidente de l’association féministe Les Effrontées, ces résultats ne sont guère étonnants.

«Lorsque l’on est une femme, que l’on a fait soi-même l’expérience de traverser l’espace public, on prend presque inconsciemment une attitude d’évitement. C’est-à-dire de marcher vite, de regarder droit devant soi, et parfois d’éviter certains vêtements même si on sait que l’on peut être harcelée peu importe la manière dont on est habillée.»

En effet, une femme sur cinq victimes de harcèlement (18%) a précisé qu’il était de nature sexuel. D’ailleurs, 72% des femmes qui ont connu ce type d’expérience ont indiqué que cela avait été perpétré par quelqu’un qu’elle ne connaissait pas.

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Pourtant, un des aspects surprenants présentés par le rapport est que «41 % des femmes évitent parfois d'être seules avec une personne qu'elles connaissent, par crainte d'être agressées ou harcelées». La présidente des Effrontées estime qu’étant donné que 80% des viols sont commis par des proches de la victime (une personne de la famille, un ami, un collègue, un voisin), «certaines femmes ont appris à se méfier». D’autant plus que les violences physiques qui touchent les femmes ont lieu plus souvent à leur domicile (37%) qu’en extérieur (20%) détaille le rapport. Là encore, la militante féministe n’est pas étonnée par ces proportions.

«C’est encore le mythe qui est assez présent dans les esprits des gens: un agresseur physique ou sexuel, c’est forcément un inconnu et cela se passe dans une ruelle sombre alors que ce n’est vraiment pas le cas statistiquement.»

Le sociologue Christian Mouhanna, chercheur au Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), confie pour sa part à Sputnik qu’«on remarque qu’il y a presque autant de stratégie d’évitement, de méfiance, par rapport à des gens connus que des inconnus».

Des violences physiques très présentes

Selon le rapport, 6% des sondés ont subi des violences physiques durant les douze derniers mois, ce qui correspondrait en extrapolant à 22 millions d’Européens souligne la FRA. En outre, 29% des sondés, soit 110 millions de personnes, ont été harcelés (intimidation, menaces) dans l’espace public, mais également en ligne.

​Christian Mouhanna, auteur de La police contre les citoyens ? (Ed. Champ social) rappelle que la définition des violences physiques posée par les auteurs de l’enquête est très large, car elle prend en compte notamment les bousculades ou encore les tirages de cheveux. «Des choses que l’on ne considérait pas comme des violences autrefois», nuance le sociologue.

Il estime donc que le rapport montre «qu’il n’y a pas de phénomène d’explosion de la violence». Par ailleurs, le chercheur au CNRS note que les résultats «sont dans la prolongation de ce que l’on peut voir dans d’autres types d’enquêtes de victimation», à savoir qu’en termes de risque d’expérimenter des violences, les jeunes sont surreprésentés.

Minorités ethniques et sexuelles particulièrement visées

Selon l’Agence européenne des droits fondamentaux, les jeunes de 16 à 29 ans en sont beaucoup plus souvent victimes comparés aux autres classes d’âges. Près d'une personne sur quatre (23%) a subi des violences physiques au cours des cinq années précédant l'enquête, contre une sur dix, voire moins, dans les autres catégories d'âges.

«Comme dans les enquêtes aux États-Unis, les jeunes hommes, plutôt issus de milieux pauvres, vont être le plus confrontés à ces violences. Des gens que l’on considère, à tort ou à raison, comme les auteurs de violences, sont aussi parmi ceux le plus victimes», analyse Christian Mouhanna

Par ailleurs, certains groupes de population sont particulièrement touchés. Au cours des cinq dernières années, c’est le cas pour 17% des personnes souffrant d’un handicap ou d’un problème de santé, 22% pour les personnes se considérant comme faisant partie d’une minorité ethnique, ou encore 19% des personnes s’identifiant comme lesbiennes, gays, bisexuels ou autres; tandis que 8 à 9% des sondés ne s’identifiant pas à ces catégories ont subi de tels actes.

«Cela renvoie au fait que l’on a encore des préjugés dans la société qui fonctionnent [...]. Le poids des préjugés, de la haine à l’égard de ces populations émerge à l’occasion de ce type d’enquête parce que ce ne sont pas des gens qui iront porter plainte à la police», indique Christian Mouhanna.

Un dernier point qui interpelle. Et pour cause, la plupart des faits de violence et de harcèlement ne sont pas signalés aux autorités.

​Concernant l'incident le plus récent survenu au cours des cinq années précédant l'enquête, 30% des cas de violences physiques et 11% de ceux impliquant du harcèlement ont été signalés. Un taux de signalement des violences physiques qui varient entre 9 à 40% selon les pays. Pour Christian Mouhanna, c’est ce que l’on appelle les chiffres noirs de la délinquance. «C’est pourtant une dimension importante parce qu’elle est très souvent négligée par la police», insiste le chercheur au CNRS.

«Il y a des tas de choses pour lesquels les gens ne vont pas déposer plainte à la police. Soit parce qu’ils estiment que le crime ou le délit n’est pas assez grave, soit parce qu’ils se méfient de la police, à tort ou à raison, comme les minorités ethniques ou sexuelles, ou les victimes de viol», conclut-il.
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