Différend entre l’Égypte et l’Éthiopie: «la Russie est dans une logique de facilitatrice des négociations, de médiation»

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Sergueï Lavrov - Sputnik Afrique, 1920, 14.04.2021
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En visite officielle au Caire, Sergueï Lavrov s’est entretenu avec son homologue égyptien. Dans le conflit entre l’Égypte et l’Éthiopie, la Russie est priée d’endosser le rôle de médiateur. Indépendamment du dossier du barrage de la Renaissance, Le Caire demeure un partenaire incontournable pour Moscou, rappelle Tigrane Yegavian, géopolitologue.

Et si la Russie jouait les bons offices dans le conflit entre l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie?

Sergueï Lavrov s’est rendu au Caire le 12 avril. Le chef de la diplomatie russe s’est entretenu avec son homologue égyptien Sameh Shoukry, ainsi qu’avec le Président Abdel Fattah Al-Sissi. Au cours des discussions, les deux pays ont abordé les dossiers régionaux, à savoir la crise libyenne, le conflit en Syrie, l’instabilité politique au Liban et les défis sécuritaires dans le Sinaï.

L’épineux dossier du barrage de la Renaissance, une méga-retenue d’eau sur le Nil, pratiquement achevée, a cependant occupé une place de choix dans les échanges russo-égyptiens. Sameh Shoukry a déclaré que «l’Égypte compte sur la capacité de la Russie pour faire pression contre les mesures unilatérales de l’Éthiopie dans le dossier du barrage de la Renaissance éthiopienne. Le Caire a fait preuve de souplesse dans les négociations sur le barrage.»

Les autorités égyptiennes se basent sur le traité de 1959, qui prévoyait que 75% des eaux du Nil reviendraient à l’Égypte et 25% au Soudan. Or, cet accord a été signé pendant la période coloniale alors que plusieurs pays nilotiques étaient encore sous domination britannique et il laissait l’Éthiopie en dehors de l’équation.

Barrage de la Renaissance: vers une guerre de l’eau?

C’est pourtant dans ce pays qu’a poussé la pomme de discorde: le futur plus grand barrage d’Afrique fait craindre de fortes diminutions des débits d’eau pour Le Caire et Khartoum. En effet, l’ouvrage d’art bloquera les eaux du Nil bleu, le principal affluent du fleuve. Addis-Abeba estime que ce projet est indispensable à son développement économique et à sa consommation d’électricité. En 2011, le gouvernement éthiopien a misé 15% de son PIB, soit environ 4,8 milliards de dollars, dans le projet, dont la construction a débuté en 2013 et devrait s’achever en 2022. Malgré les nombreuses négociations entre les trois pays, les tensions demeurent et aucun compromis n’a été trouvé à ce jour entre les parties. Pour limiter les pénuries d’eau en aval de l’ouvrage, les Égyptiens insistent sur un remplissage du gigantesque réservoir (79 km3, soit pratiquement le volume du lac Léman, en Suisse –89 km3–) sur 21 ans, alors que l’Éthiopie prône un rythme plus rapide, en seulement sept ans.

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Sergueï Lavrov s’est exprimé sur ce dossier brûlant lors de sa visite en Égypte. Il a notamment affirmé que les différends devaient être réglés par la voie de la négociation entre l’Éthiopie, l’Égypte et le Soudan: «Nous sommes sincèrement intéressés à ce que [cette question, ndlr] soit réglée. Cela n’est possible qu’entre les trois pays intéressés. Tous les autres [acteurs, ndlr] doivent créer des conditions nécessaires à cela.»

Tigrane Yegavian, géopoliticien, rédacteur pour la revue Conflits, souligne que l’Égypte prend le problème très au sérieux et tente de convaincre la Russie de peser sur le dossier du barrage de la Renaissance.

«C’est une vraie bombe géopolitique pour l’ensemble de la région. Passant le cap des 100 millions d’habitants il y a quelques années, l’Égypte risque de se retrouver dans une situation de stress hydrique. D’un point de vue égyptien, c’est une crise existentielle», précise-t-il au micro de Sputnik.

En effet, ajoute l’auteur de Minorités d’Orient, les oubliés de l’histoire (Éd. du Rocher), «Le Caire essaye de diversifier ses partenaires pour peser davantage sur les négociations.» En raison de l’échec des dernières négociations sur le barrage de la Renaissance le 6 avril dernier en République démocratique du Congo, l’Égypte s’est rapprochée de l’Ouganda avec un accord sur le partage de renseignements militaires.

La Russie et l’Éthiopie coopèrent sur le nucléaire

Dépendante à 98% du Nil pour sa propre consommation, l’Égypte n’entend guère laisser Addis-Abeba gérer les eaux du fleuve. À ce sujet, le Président égyptien a dernièrement averti lors d’une conférence de presse à Ismaïla que «personne ne peut se permettre de prendre une goutte d’eau de l’Égypte, sinon la région connaîtra une instabilité inimaginable.» Or, derrière ces menaces, l’Égypte semble esseulée sur ce dossier, d’où sa volonté de convaincre la Russie de faire pression sur les autorités éthiopiennes.

«La Russie n’a pas vocation à prendre parti dans ce conflit. Fidèle à sa diplomatie pragmatique et réaliste, elle entretient également de bonnes relations avec Addis-Abeba. La Russie est dans une logique de facilitatrice des négociations, de médiation, comme sur d’autres dossiers régionaux», souligne le géopolitologue Tigrane Yegavian.

En effet, Sergueï Lavrov s’est abstenu de choisir un camp, soulignant au contraire que «nous sommes convaincus qu’il existe une solution à la crise du barrage de la Renaissance susceptible de garantir les intérêts légitimes des trois pays.» Moscou coopère également avec l’Éthiopie dans le domaine militaire, des hydrocarbures, de la science et des technologies. Les deux pays ont même signé en 2019 un accord de coopération dans l’énergie nucléaire civile. Néanmoins, indépendamment du rôle joué par la Russie dans ce conflit tripartite, «Moscou entretient d’excellentes relations avec Le Caire», rappelle Tigrane Yegavian.

L’Égypte a acheté des avions de combat russes

Comme le précise le rédacteur de la revue Conflits, «les relations remontent à l’époque du nassérisme.» En effet, Moscou avait alors fait de l’Égypte une tête de pont vers le monde arabo-musulman. Avec l’arrivée de Sadate en 1970, Le Caire s’était petit à petit aligné sur Washington. Or, depuis l’arrivée d’Abdel Fattah al-Sissi en 2013, la Russie est redevenue un partenaire incontournable pour l’Égypte, y compris dans la gestion des crises régionales. De plus, Moscou et Le Caire ont une coopération pluridimensionnelle:

«L’Égypte est un gros marché et elle occupe une place importante dans la diplomatie russe. Le partenariat est varié, Le Caire achète des armes russes et modernise son armée. Il y a également le secteur touristique. L’Égypte est une destination prisée pour les Russes», détaille Tigrane Yegavian.

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Depuis l’attentat au-dessus de la péninsule du Sinaï le 31 octobre 2015, qui a coûté la vie à 224 passagers, le secteur touristique égyptien est en crise. Or, les autorités russes prévoient de rouvrir prochainement des lignes directes en Égypte. Au-delà du tourisme, c’est l’atome civil qui est l’un des domaines de coopération clé entre les deux pays. En 2015, l’entreprise russe Rosatom a signé un accord avec Le Caire, prévoyant la fourniture de quatre réacteurs. Pour parachever le tout, l’Égypte a acheté 20 avions de combat russes de type Su-35 Flanker E en 2018, pour un montant de deux milliards de dollars.

«Avant le coup d’État militaire de Sissi, les États-Unis versaient une aide d’un milliard de dollars à l’Égypte. Or, pour des questions relatives aux droits de l’homme et à la démocratie, Washington a gelé cette aide, ce qui a été finalement une aubaine pour Moscou», conclut le géopolitologue.
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