«Niet» au sommet UE-Poutine: l’Union a «étalé ses divisions et son indécision»

© AP Photo / John ThysConseil européen à Bruxelles, le 20 juillet 2020
Conseil européen à Bruxelles, le 20 juillet 2020 - Sputnik Afrique, 1920, 25.06.2021
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Jusque tard dans la nuit, Angela Merkel et Emmanuel Macron ont bataillé face à leurs homologues d’Europe de l’Est pour les convaincre de restaurer un dialogue direct avec la Russie. En vain. Pour Eugène Berg, ancien diplomate français, ce dissensus est intrinsèquement lié aux fondements mêmes de l’Union européenne.

L’Union européenne s’est faite plus royaliste que le roi.

Alors que le Président américain rencontrait Vladimir Poutine à Genève le 16 juin, l’UE a refusé d’engager le dialogue direct avec Moscou prôné par Emmanuel Macron et Angela Merkel. Les deux chefs d’État ont appelé leurs homologues européens à organiser un sommet entre l’UE et Vladimir Poutine, à l’exemple de celle de Genève. À la question incongrue de savoir s’il fallait parler à son plus grand voisin et troisième partenaire commercial, certains membres de l’UE ont dit «niet».

«C’est une politique plus dure que celle de Joe Biden […] C’est une attitude maximaliste. L’Union européenne est moins disposée que les États-Unis [au dialogue avec Moscou, ndlr]. Ça fait un peu désordre dans la famille euroatlantique et ça laisse les mains libres à Joe Biden», déplore Eugène Berg, ancien ambassadeur de France.

Un rejet que Moscou a appris «avec regret», restant d’une manière générale «favorable à l’établissement de relations de travail» avec ses voisins européens, selon le porte-parole du Kremlin. Au Conseil européen, l’initiative du couple franco-allemand n’a pas réussi à surmonter les réticences des habituels contempteurs de la Russie, à savoir les pays baltes, la Pologne, la Suède et les Pays-Bas.

Lignes rouges –Jean-Baptiste Mendes reçoit Eugène Berg, ancien ambassadeur de France, spécialiste de la Russie pour la revue géopolitique Conflits et auteur de «La Russie pour les Nuls» (Éd. First).

Une «animosité historique malheureuse» contre Moscou, constate Eugène Berg. L’espoir aura été de courte durée durant la journée du 24 juin. La diplomatie n’est donc pas de retour à Bruxelles. Au sommet de l’UE d’hier, le consensus n’a pas été donc trouvé, au grand dam de la chancelière allemande, qui aurait «aimé un résultat plus audacieux.»

Autonomie stratégique européenne: l’utopie s’envole

L’un des plus fervents opposants à la proposition, le Président lituanien Gitanas Nauseda, a justifié son refus en jugeant qu’il était «trop tôt» pour une telle démarche, car «nous ne voyons pas de changement radical dans le comportement de Vladimir Poutine.» Et celui-ci d’ajouter que «s’engager sans aucune ligne rouge, sans aucune condition préalable, serait un très mauvais signal.» Après huit années de sanctions réciproques et de litiges, c’est plutôt le refus de parler avec la Russie qui est un très mauvais signal pour l’autonomie européenne, regrette Eugène Berg.

«L’UE prétend être un acteur global. Elle doit prouver qu’elle a sa propre politique vis-à-vis de la Russie […] On est arrivé au bout d’un cycle –surtout après le sommet Biden-Poutine– où l’UE s’interroge pour savoir si elle peut forger une politique à elle et non pas à la remorque des États-Unis.»

La rencontre entre Joe Biden et Vladimir Poutine n’aura donc pas servi de modèle aux Européens. Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, l’avait suggéré, estimant que cet échange genevois aurait pu être perçu en Europe comme le «signal qu’il est désormais possible de se montrer un peu plus autonomes.»

​Il ne suffit pas que «le Président américain parle au Président russe», avait pour sa part souligné Angela Merkel devant le Bundestag en présentant sa proposition de sommet UE-Russie. Une initiative qu’avait saluée le Kremlin, relevant que Bruxelles et Moscou avaient «besoin de ce dialogue».

Anticipant le contre-feu des pays de l’Europe de l’Est, Angela Merkel n’avait d’ailleurs pas hésité à présenter ce «Reset» comme une réponse conjointe aux «provocations» et «attaques hybrides» de Moscou. Stratégie similaire pour Emmanuel Macron, qui a évoqué un format nécessaire à la stabilité de l’Europe, tout en s’affichant «ambitieux» et «exigeant» de manière à «ne rien céder sur nos valeurs». Peine perdue. Les conclusions sur la Russie adoptées ce 25 juin au matin énumèrent seulement un catalogue assez étroit de sujets sur lesquels l’UE pourrait dialoguer avec Moscou. Des problématiques telles que le climat et l’environnement, l’énergie, la santé, la lutte contre le terrorisme ou encore la criminalité organisée.

Diplomatie, Défense, «l’UE ne peut absolument pas être prise au sérieux»

L’Union européenne s’est-elle alors définitivement mise hors-jeu par cette décision? Alors qu’aucun sommet UE-Russie n’a eu lieu depuis le rattachement de la Crimée en 2014, le camouflet subi par le couple franco-allemand démontre une nouvelle fois que le cadre bruxellois n’est sans doute pas le format idoine pour la diplomatie. Si elles n’ont pas débouché sur des percées exceptionnelles, les rencontres bilatérales Macron-Poutine à Versailles en 2017 et au fort de Brégançon en 2019 avaient toutefois permis le rétablissement d’un minimum de confiance réciproque.

​Géant commercial, Bruxelles reste un nain géopolitique. Entre pays de l’Ouest et de l’Est, les divergences restent trop importantes à Bruxelles, dont l’incapacité à se doter d’une politique étrangère est de notoriété publique. «Sur les plans diplomatique et militaire, l’UE ne peut absolument pas être prise au sérieux», estimait à notre micro le 1er mars dernier Édouard Husson, spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe. La faiblesse intrinsèque de Bruxelles reste d’ailleurs sa dilution politique, observe Eugène Berg.

«L’Europe a tellement de têtes qu’elle n’est plus visible […] Les Russes ne savent pas à quelle porte frapper, à quel interlocuteur parler et si celui-ci tiendra le même langage au cours des mois à venir.» Le rejet de la proposition de Merkel et Macron, selon l’ex-diplomate, «montre la difficulté de la prise de décision à l’intérieur de l’Union européenne […] L’Europe se cherche encore et elle a étalé ses divisions, son indécision et malheureusement son incapacité à décider vite et bien.»

Vladimir Poutine et Emmanuel Macron lors d'une rencontre au fort de Brégançon (19 août 2019) - Sputnik Afrique, 1920, 01.03.2021
Sanctions contre la Russie, le Venezuela et la Birmanie: «une erreur stratégique majeure commise par l’UE»
Les Européens ne parleront donc pas d’une seule voix, objectif de la proposition franco-allemande. «Nous ne pouvons pas rester dans une logique purement réactive à l’égard de la Russie, au cas par cas», avait déclaré Emmanuel Macron. Celui-ci avait dressé un constat lucide au mois de mai, relevant que les sanctions antirusses avaient atteint leurs «limites» et que l’Union européenne avait «besoin de recadrer très profondément» sa relation avec la Russie.

Traduction pour Eugène Berg, «l’Europe a pris conscience que les sanctions ne marchaient pas et elle cherche un substitut.» Prises depuis 2014, les mesures européennes et américaines –à l’efficacité discutable– n’ont permis que d’aggraver le fossé stratégique russo-européen. Mais il serait «vain» de croire que l’on peut effacer «d’un seul trait» ce qu’on a accumulé depuis une dizaine d’années, déplore Eugène Berg. On l’a donc bien vu, l’UE n’est «pas prête, n’est pas mûre» pour lever les sanctions. Et cela risque de durer.

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