Au bord du chaos, le Liban peut-il croire à un miracle du Vatican?

© AP Photo / Alessandra TarantinoPape François
Pape François - Sputnik Afrique, 1920, 02.07.2021
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Dix dignitaires chrétiens libanais se sont rendus au Vatican pour rencontrer le pape. Préoccupé par la crise au Liban, le Saint-Siège veut jouer de sa diplomatie pour «attirer les projecteurs». Mais indépendamment des bonnes volontés, le pays du Cèdre est englué dans des divisions communautaires, estime Amin Elias, docteur en science politique.

Et si la solution à la crise libanaise venait du Vatican? Le pape François a réuni le 1er juillet dix archevêques libanais au Saint-Siège pour discuter de la situation au pays du Cèdre. Toute la mosaïque chrétienne libanaise était présente, de la communauté arménienne à la communauté maronite en passant par la chaldéenne, la melkite et l’orthodoxe. Le matin même, le souverain pontife avait entonné le Notre Père en arabe à la basilique Saint-Pierre de Rome.

Face à la situation catastrophique au Liban, il n’a pas manqué de rappeler son soutien inconditionnel à la résolution pacifique de la crise. «Il faut donner aux Libanais la possibilité d’être protagonistes d’un avenir meilleur», a-t-il déclaré avant d’ajouter: «Le pays ne s’effondre pas, mais entame un chemin de reprise.» Le Saint-Père fait du Liban la priorité de la diplomatie vaticane. «Le Vatican a un pouvoir considérable», estime Amin Elias, docteur en philosophie politique à l’université libanaise.

«Lorsque le Saint-Siège dit quelque chose, il impulse une nouvelle dynamique, c’est un lanceur d’alerte en quelque sorte, il veut se faire le héraut des opprimés et des nécessiteux au Liban. Oui, il n’a pas le poids de la Russie, de la Chine ou des États-Unis. Mais son action pour le Liban dépasse le cadre de la symbolique, il y a une attache bilatérale profonde», résume-t-il au micro de Sputnik.

Ce n’est pas la première fois que le souverain pontife montre un intérêt particulier pour le Liban. Le Premier ministre désigné Saad Hariri avait rendu visite au pape François le 22 avril dernier. La rencontre était censée préparer la future venue du chef de l’Église catholique au Liban. En décembre déjà, dans son message pour Noël, le Saint-Père avait déclaré vouloir se déplacer au pays du Cèdre «dès que possible». Selon le Vatican, le pape François pourrait «peut-être» voyager au Liban d’ici à la fin de l’année, de préférence en présence d’un nouveau gouvernement.

Il s’inscrirait dès lors dans la lignée de ses prédécesseurs qui avaient fait le déplacement au pays du Cèdre. Jean-Paul II s’y était rendu en 1997. Lors de cette visite, il avait déclaré dans une lettre apostolique: «Le Liban est plus qu’un État, c’est un message.» État multiconfessionnel, musulmans et chrétiens coexistent au Liban et le pays du Cèdre est ainsi souvent cité pour contrer les penseurs d’un choc des civilisations entre l’Orient et l’Occident. Son successeur Benoît XVI s’y était également déplacé en 2012.

Mais quel pourrait être l’impact d’une telle visite sur la crise libanaise?

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«Dans le fond, le Pape n’a pas le pouvoir de changer les choses au Liban, il a juste le pouvoir de donner de la visibilité, d’attirer les projecteurs», précise Amin Elias. En effet, lors de son voyage historique en Irak en mars dernier, il a pu rencontrer des chefs politiques et religieux de toutes les communautés et s’entretenir avec le Premier ministre Mustapha el Kadhimi, le Président Barham Salih, mais surtout avec le haut dignitaire chiite Ali Sistani. L’impact de cette visite était avant tout symbolique. La diplomatie vaticane vise à apporter une médiation dans les crises et les conflits contemporains.

Depuis son arrivée au Saint-Siège en 2013, le pape François multiplie les déplacements et les prises de position pour tenter de faire bouger les lignes. Mais au regard de la situation libanaise, «il faudrait bien plus que des mots», déplore notre interlocuteur.

«Il serait vain d’attendre quelque chose de concret de la part du pape François. C’est uniquement éphémère. Même les grandes puissances se cassent les dents sur le mur libanais», souligne-t-il.

Et c’est peu dire, le petit État donne du fil à retordre aux puissances occidentales. La France et les États-Unis peinent à imposer des réformes politiques. Mais indépendamment de la symbolique du message papal, le souverain pontife voudrait redonner au Liban son image originelle, celle d’un pays «message universel de paix et de fraternité», a-t-il déclaré le 1er juillet.

Ainsi, il reprendrait la rhétorique du «vivre-ensemble» islamo-chrétien à la libanaise.

«La chrétienté et l’islam ne se comprennent plus»

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Or, malgré les discours de façade, les divisions communautaires restent omniprésentes au Liban. Commentant la visite des dignitaires libanais au Vatican, le Président Aoun a appelé de ses vœux à renforcer «musulmans et chrétiens, les valeurs de justice, de vérité, d’équilibre et de respect mutuel, qui consacrent notre union nationale». Même son de cloche du côté de son adversaire politique avec les propos de Saad Hariri qui espère que cette visite au Vatican «aidera le Liban à sortir de sa dure réalité». «Ce ne sont que des mots, coupe Amin Elias avec amertume, sinon pourquoi le pays est-il sans gouvernement depuis plus de dix mois?»

«Ce message de vivre-ensemble est galvaudé. Aujourd’hui, la chrétienté et l’islam ne se comprennent plus, ils n’ont pas le même logiciel de pensée, le même mécanisme identitaire. Pour les uns, il y a la primauté de la nation, pour les autres, il y a la primauté de la religion avec des références diverses», explique-t-il.

Même le pape François semble conscient de l’impasse libanaise: «Cela suffit d’utiliser le Liban et le Moyen-Orient pour des intérêts et des profits étrangers! a-t-il déclaré. Il faut donner aux Libanais la possibilité d’être protagonistes d’un avenir meilleur, sur leur terre et sans ingérences abusives.» En effet, la politisation des communautés religieuses serait le problème central du Liban:

«Le vivre-ensemble n’existe plus au Liban, c’est une chimère. Une communauté sunnite regarde vers Ankara, l’autre vers Riyad. Chez les chiites, c’est la même chose entre Téhéran et Damas. Chez les chrétiens, il y a définitivement une remise en question de leur enracinement sur cette terre et ils sont divisés entre eux», conclut-il.

Bref, les eaux libanaises sont bien boueuses et il faudra au Pape un miracle pour marcher au-dessus.

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