De l'opportunité d'une coalition russo-polonaise contre les idiots (Michnik)

© RIA Novosti . Anton Denisov / Accéder à la base multimédiaAdam Michnik
Adam Michnik - Sputnik Afrique
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Les ennemis osent rarement lui lancer des accusations en face, en préférant fouiller dans la généalogie et traiter le rédacteur en chef de Gazeta Wyborcza Adam Michnik de traitre à la nation polonaise derrière son dos – disons, dans les journaux nationalistes marginaux ou lors des rassemblements des "antilibéraux".

Les ennemis osent rarement lui lancer des accusations en face, en préférant fouiller dans la généalogie et traiter le rédacteur en chef de Gazeta Wyborcza Adam Michnik de traitre à la nation polonaise derrière son dos – disons, dans les journaux nationalistes marginaux ou lors des rassemblements des "antilibéraux".

La dernière action de se genre a eu lieu sur un stade de football : les "supporters" nationalistes ont étendu au-dessus de leurs têtes un immense poster avec la photo d’Adam Michnik en criant "Szechter, présente des excuses pour ton père et ton frère! ".

En effet, le nom de son père est Ozjasz Szechter. Avant la Seconde guerre mondiale il était membre de l'organisation clandestine du parti communiste d'Ukraine occidentale, qui combattait avec le soutien de l’URSS contre la polonisation des territoires qui font actuellement partie de l’Ukraine. Sa mère, Helena Michnik, était historienne. Son frère aîné a même travaillé dans un tribunal de la République populaire de la Pologne stalinienne. En voyant le véritable visage du socialisme, son père est passé du côté de l’opposition.

Et à 16 ans déjà, le jeune Adam Michnik, en 1962, a fondé sa première organisation dissidente – le Club des chercheurs de contradictions. Puis il a été exclu de l’université, a fondé le Comité de défense des travailleurs et a été conseiller du syndicat Solidarité, et a fait quatre séjours en prison. Dans la nouvelle Pologne née en 1989, Adam Michnik est devenu rédacteur du journal le plus important et le plus populaire, ainsi que député. Adam Michnik considère cette Pologne comme réussie, bien qu’il ne cesse d’y trouver des contradictions.

Son livre Le Russophile antisoviétique, le premier sorti en Russie, est consacré au thème des succès et des contradictions. Il s’agit d’un recueil d'articles sur la nouvelle Pologne et le rôle qu’y jouent l’Eglise, les partis politiques, la russophobie et les relations avec la Russie en général. Lors d’un entretien à la Maison des journalistes de Moscou, le commentateur politique de RIA Novosti Dmitri Babitch a posé à Adam Michnik des questions concernant, avant tout, ces relations, mais pas seulement.

Monsieur Michnik, on connaît votre intérêt pour la Russie. Peut-être qu’il s’explique, entre autres, par le fait que la Russie et la Pologne ont beaucoup de problèmes communs? Parfois, on a l’impression que s’il existe un problème en Russie, il existe forcément en Pologne. Par exemple, les manifestations extrémistes dans les stades de football…

C’est exactement le cas! Je suis absolument d’accord. Et un jour j’avais exprimé cette idée lors d’une conférence au Centre Carnegie de Moscou. Un ami russe m’a pris en aparté après la conférence et m’a dit : "Adam, tu as offensé toutes les personnes présentes! Ils pensaient que tout allait mal seulement chez les russes, mais tu as détruit leurs illusions en disant qu’il existait la même chose en Pologne! ". Mais je n’y peux rien si telle est la situation en Pologne et si telle est la situation en Russie.

En ce qui concerne l’extrémisme dans les stades de football, ce n’est qu’une partie du problème commun qui ne concerne pas seulement la Pologne et la Russie.

En paraphrasant le titre d’un livre de Lénine, je qualifierais le nationalisme de "stade suprême" du communisme. Aujourd’hui, le nationalisme se porte parfaitement bien en Pologne, en Russie et en Hongrie, qui à une époque faisait partie du bloc soviétique. Prenez l’exemple du parti hongrois Fidesz et son leader Viktor Orban – ils sont actuellement au pouvoir, et je les critique depuis des années. Je me souviens de Viktor Orban 22 ans auparavant – c'était un libéral! Aujourd’hui, c’est un ultranationaliste, et en Pologne certains disent qu’il faut suivre la Hongrie d’Orban. Hélas, mes craintes étaient justifiées – regardez attentivement ce qui se passe en Hongrie. Le nationalisme est également dangereux dans un petit pays – pour lui-même.

Et pour la Pologne, son nationalisme n’est-il pas dangereux?

Bien sûr, le nationalisme polonais représente une menace avant tout pour la Pologne. Un ami m’a dit : "Adam, tu aimes tous les nationalismes, à l’exception du polonais". Une remarque aigre, mais il y a quelque chose de vrai. Alexandre Herzen se comportait de la même manière : il soutenait les mouvements nationalistes contre le despotisme tsariste.

Je pense que c’est la bonne voie. Bien que le nationalisme soit dangereux dans les petites nations qui ont été récemment opprimées. Les Polonais ne sont pas une petite nation, mais elle n’est pas grande non plus – 38 millions d’habitants. Et d’une certaine manière, les Polonais ont les traits de caractère négatifs aussi bien des petites que des grandes nations. J’en parle dans les essais écrits dans ce livre. En Pologne on a écrit que ces essais étaient des textes d’un traitre à sa patrie. En Pologne je ne suis ni le premier, ni le dernier à être accusé d’avoir trahi la patrie, j’en suis convaincu. Et désormais les Russes pourront également lire ces essais.

Ils pourront apprendre ce qu’il y a de bon et de mauvais à savoir sur la Pologne : les essayistes et les journalistes n’ont pas à s’occuper de la propagande de leur Etat ou de leur gouvernement.

Ces messieurs du gouvernement trouveront toujours beaucoup de volontaires pour en faire l’éloge. On doit agir comme des oies qui ont sauvé Rome. On doit seulement glousser – c’est notre rôle et notre devoir.

Glousser à propos de quoi?

Par exemple, que le principal parti de l’opposition en Pologne est Loi et Justice, quelque chose entre Vladimir Jirinovski et Dmitri Rogozine en Russie. Et ce parti a dirigé la Pologne pendant deux ans! Les Polonais ont la mémoire courte – ils ont déjà oublié que ce parti a dirigé la Pologne quatre ans auparavant. C’était, je dirais, désagréable.

Dans votre essai Problème, écrit en 1987, et publié cette fois en russe dans Le Russophile antisoviétique, vous citez les critiques des journalistes de l’époque visant le Parti ouvrier unifié polonais (POUP) (l’équivalent polonais du PCUS), l’union syndicale Solidarité.

A l’époque les communistes écrivaient que les membres de Solidarité étaient des "traditionnalistes avec des œillères se nourrissant d'un mélange de fanatisme spirituel composé d’une variété perverse de catholicisme et de traditions romantiques confinant au chauvinisme". Cela ressemble beaucoup à la description de votre journal Gazeta Wyborcza de Solidarité de notre époque, associé au parti de Jaroslaw Kaczynski. Les communistes avaient-ils raison?

Non, car Solidarité actuel n’a pratiquement rien à voir avec Solidarité des années 80.

A l’époque, c’était un mouvement populaire pour la réforme de l’Etat, et aujourd’hui ce syndicat s’est transformé en un petit groupe de marginaux catholiques conservateurs employant la rhétorique nationaliste. Je ne suis pas très déçu à ce sujet.

Et dans l’ensemble, avez-vous un sentiment d’échec? Après tout, lorsque le mouvement de grève a commencé en Pologne en 1980, il était question de l’élection des directeurs, d’un congé de trois ans pour les jeunes mères… Et aujourd’hui en Pologne et dans d’autres pays d’Europe de l’Est il est encore plus facile de limoger quelqu’un qu’à l’époque soviétique…

Le sentiment que ce n’était pas l'objectif de notre lutte. Il demeure également beaucoup de dangers pour la démocratie, la culture et la société en général. Mais ce n’est pas terminé – il existe encore une chance, un espoir. Dans l’ensemble, ces 20 années ont été très réussies pour la Pologne – c’était les 20 meilleures années depuis 400 ans. Lorsque le communisme s’est effondré, je craignais des émeutes antirusses, mais elles n’ont pas eu lieu. Je craignais que la Pologne n’adhère pas à l’Union européenne et que ses relations à l’Est se dégradent. Mais elle a conservé ses relations à l’Est, et a adhéré à l’UE et à l’OTAN. Pour moi c’est la garantie qu’un gouvernement ne respectant pas les normes européennes n’arrivera jamais au pouvoir. En ce qui concerne l’économie, regardez les statistiques. Les gens vivent bien mieux qu’auparavant. Ainsi, il existe un espoir, et ce livre soutien mon espoir.

Le bruit court qu’après la propagation des rumeurs sur la théorie du complot au sujet du crash de l’avion à bord duquel se trouvait le président Kaczynski, Gazeta Wyborcza s’est retrouvé dans la même barque que Vladimir Poutine. Car les nationalistes polonais affirment que non seulement les Russes, mais également le premier ministre libéral Donald Tusk et le journal libéral Gazeta Wyborcza seraient responsables de la catastrophe. Pourrait-on dire que pour la première fois depuis des années votre journal s’est retrouvé dans le même camp que la Russie?

Effectivement! Dans sa vie Poutine a probablement commis nombre d'actes condamnables, mais il n’est pas responsable de la catastrophe de Smolensk. Après cette catastrophe il s’est comporté très dignement.

On se souvient qu’à l’époque les Polonais ont beaucoup apprécié la compassion exprimée par les Russes au sujet du crash. Mais ensuite ce thème a été occulté par les sujets habituels – la lutte pour l’influence sur la Biélorussie, l’Ukraine et d’autres litiges russo-polonais…

Oui, et pour cette raison nous devons avoir beaucoup d’estime pour les personnes qui construisaient des ponts entre les deux peuples. Je me souviens de Jerzy Giedroyc, fondateur de la revue polonaise Kultura  publiée à Paris. Il est le premier à avoir publié à l’étranger

Andreï Siniavski dans les années 60. Voilà un homme qui respectait la culture russe! Un jour, en travaillant sur un numéro, il m’a dit : "C’est le septième livre que je reçois de Russie! Et vous, les Polonais, qu’attendez-vous? Vous êtes des lâches, comparés aux dissidents russes! ".

Il était comme cela. Un patriote polonais, mais loin de l’idée actuellement populaire que les Polonais étaient seulement des victimes innocentes durant toute leur histoire. Et il est temps depuis longtemps de créer en Russie et en Pologne une coalition contre les menteurs et les idiots. Car c’est un problème commun : dans les deux pays il y a d’innombrables politiciens, dont le métier consiste à diaboliser les voisins et faire passer leur nation pour une victime innocente.

Propos recueillis par Dmitri Babitch

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