«Je suis heureuse de ce que je fais»: rencontre avec une travailleuse du sexe

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Pour son premier épisode, «Sputnik donne la parole»… à Bertoulle Beaurebec, artiste polyvalente, performeuse pornographique et érotique. Après un rapide retour sur son parcours, Sputnik aborde des questions plus actuelles, le porno aujourd'hui, le féminisme, le harcèlement ou encore la liberté sexuelle et pourquoi elle dérange certains.Entretien.

La liberté sexuelle, le sexe, le porno, des sujets sensibles pour beaucoup et pourtant le Web pornographique génère plus de 20 milliards de visites par an. La France, en 6e position en termes de fréquentation, se place derrière les Japonais et les Allemands. Une consommation en hausse et ce de plus en plus jeune: la moitié des adolescents entre 15 et 17 ans ont déjà visité un site pour adultes, en grande partie grâce à la gratuité et à la facilité d'accès.

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Un Français sur deux affirme consommer ces films, majoritairement des hommes, le public-cible de la grande majorité des productions. Pourtant des films réalisés pour et par des femmes voient le jour et ouvrent de nouveaux horizons à cette industrie. Des thèmes que Sputnik a abordés avec Bertoulle Beaurebec, «travailleuse du sexe» et auteur du livre «L'art d'être une salope», en attente de publication.

Jeune femme de 22 ans, elle s'intéresse dès l'âge de 18 ans au monde de l'érotisme, un théâtre érotique va d'ailleurs payer ses frais au Cours Florent. Elle se voyait conservatrice de patrimoine, sa manière d'appréhender l'art va l'amener sur une toute autre voie. Une voie qui lui semble naturelle, sur laquelle elle s'engage alors corps et âme.

«Être artiste polyvalente, c'est avoir un point de vue particulier sur la vie, sur son corps, sur le monde et être capable de l'exprimer à travers plusieurs prismes. Ne pas être bloqué dans une seule discipline et ne pas laisser le regard des autres nous définir.»

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Le regard des autres, elle y fait face, son profil qu'elle décrit comme particulier, une femme noire, induit de nombreux stéréotypes. Très tôt, elle est sexualisée, alors pour elle se lancer dans le monde du sexe, c'est une manière de reprendre le contrôle de sa sexualité. Une liberté sexuelle qu'elle assume, à sa manière, mais toujours très sainement. Que ce soit dans le porno ou dans le BDSM (bondage, domination, sadisme, masochisme), elle ne fait que ce qu'elle souhaite faire. Dans le BDSM, elle sublime la douleur, un paradoxe pour beaucoup, une méditation pour elle.

«Dans cette discipline, il y a un rapport de confiance et une éducation au consentement qui est très exacerbé. On ne peut pas pratiquer s'il y a un manque de communication.»

Le consentement, un terme souvent entendu à l'ère de #Metoo, #BalanceTonPorc ou #ThisNotConsent. Des femmes, qui ont malheureusement dû faire face à des bourreaux, à la douleur de vivre avec ce sentiment de contrainte, parfois de honte, une honte que seul l'agresseur devrait ressentir. Alors oui, Bertoulle joue de cette douleur, mais n'en déplaise à certains, chez elle, la douleur est auto-infligée, elle garde le contrôle. C'est pourquoi elle fait une différence entre douleur et souffrance. Pendant ces séances, nulle négociation n'est permise, si elle dit «stop», c'est «stop».

«Les seuls coupables, ce sont les hommes qui agressent, qui violent. Ce ne sont pas les femmes qui font ce qu'elles veulent de leur corps. Une dynamique que les féministes radicales ont, elles pensent les femmes comme une espèce d'entité homogène. […] Moi, je ne suis pas responsable par mes actions de la manière dont les hommes vont regarder d'autres femmes, donc faut vraiment qu'on arrête entre femmes de nous faire porter le chapeau.»

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Le féminisme, justement, parlons-en. Si ce mouvement a pour but d'abolir les inégalités entre hommes et femmes dans certains domaines, il recouvre en fait des courants radicalement différents. Bertoulle se définit comme «afro féministe prosexe». Une explication s'impose.

L'afroféminisme, apparu dans les années 70, se bat contre les discriminations que les femmes subissent à cause de la couleur de leur peau et de leur sexe. Pour ce courant, qui s'appuie sur des études réalisées aux États-Unis, être une femme noire constitue une double peine, notamment dans le monde du travail. Il en va de même sur les réseaux sociaux: Ian Ayres, professeur de droit et d'économie à Yale, explique que les femmes noires américaines sont le plus victimes de discrimination. En se basant sur des statistiques de sites de rencontres américains, il démontre que les hommes répondent moins aux femmes noires qu'à toute autre catégorie. Une discrimination que Bertoulle subit jour après jour, mais elle ne s'en plaint pas: si elle estime cela injuste, elle affirme que c'est à elle de faire en sorte que sa vie vaille le coup.

Le féminisme prosexe est issu du milieu Queer et date des années 80. Il s'oppose au féminisme radical et veut investir la sexualité pour les femmes et par les femmes. Une liberté sexuelle visant à s'emparer de leur corps comme bon leur semble. Ce courant s'oppose donc au «patriarcat» de notre société, qui veut abolir la pornographie, majoritairement consommée par les hommes, on le rappelle. Les abolitionnistes ou anti-pornographie victimisent souvent les travailleuses du sexe.

«Mais qui est réellement la victime? Les femmes qui perdent toute dignité du moment qu'on les voit sucer une bite? Ou les hommes, trop faibles et inaptes à maîtriser leur envie de voir du sexe et de comprendre qu'il s'agit uniquement d'une représentation?», écrivait Virginie Despentes, dans «Porno Sorcières».

«Une femme qui va être libre sexuellement, ça va être une femme beaucoup plus intimidante aux yeux de beaucoup, donc ça protège aussi pas mal. […] Et puis tu as le droit d'être une p***, tu as le droit d'être une sal***, ça ne veut pas dire que tu mérites d'être violée pour autant.»

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Selon Bertoulle Beaurebec, une «hardeuse» est plus troublante que la fille d'à côté, «facile d'accès», donc plus vulnérable. Une femme libérée va attiser la curiosité et les regards, dans le désir ou le rejet. L'image de la femme dans le porno, surtout lorsqu'il est gratuit, n'est généralement pas valorisante. On le remarque bien dans Hot Girls Wanted, un documentaire de Netflix dont beaucoup ont parlé, mais qui ne donne qu'une facette du porno, qui plus est du porno amateur.

«Je pense que le porno est un exutoire pour tout ce qui est tabou dans notre société», estime Bertoulle Beaurebec.

Les tendances que l'on retrouve sur les sites sont parfois surprenantes. Entre les désormais classiques, «ados», «beurette» ou «plans à trois», j'ai remarqué l'émergence de titres de films comprenant des belles-sœurs, des belles-mères, un inceste dissimulé en somme. On dit que le porno est le reflet de la société, il faudrait se demander jusqu'à quel point.

«J'essaye de réhumaniser les travailleuses du sexe et de casser cette image qu'on a d'elles, comme quoi elles vendraient leur corps, car incapables de vendre quoi que ce soit d'autre, surtout pas notre intellect.»

Bertoulle Beurebec est en train d'écrire un livre, intitulé «L'art d'être une salope», où elle dénombre ses principes de «salope» par des anecdotes. Elle dit avoir la responsabilité d'écrire et d'expliquer que son métier est avant tout un choix, qu'elle s'y épanouit tous les jours. Si elle avoue que ce n'est pas un métier facile, elle estime qu'il est de sa responsabilité de briser les tabous autour de sa profession et elle en semble très heureuse.

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