Affaire Mila: pour Fatiha Boudjahlat, «une rupture de paradigme aussi grave que l’attentat de Charlie Hebdo»

© AFP 2023 Timothy A. ClaryNew York: manifestation contre l’islamophobie sur Times Square
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L’affaire Mila déchaîne les passions en France. Une énième polémique qui pose la question de la place de l’islam en France. Malaise grandissant dans une France communautarisée ou psychose engendrée par un effet de loupe des réseaux sociaux? Fatiha Boudjahlat, militante féministe et laïque, revient sur l’affaire au micro de Sputnik.

«Je ne regrette absolument pas mes propos, c’était vraiment ma pensée», a déclaré Mila, sur le plateau de l’émission Quotidien, sur TMC, lundi 3 février. Après deux semaines de harcèlement et de menaces de mort, la lycéenne iséroise de 16 ans a été déscolarisée d’urgence. «On va te retrouver et t’égorger sale chienne», «va mourir sale pute lesbienne», «sale française», tels sont les mots très violents adressés à Mila.

​En réponse à une première vague d’insultes et de menaces proférées contre elle au nom de l’islam, Mila a en effet répliqué par une vidéo sur Instagram le 18 janvier, où elle a tenu des propos hostiles aux religions, particulièrement l’islam: «le Coran il n’y a que de la haine là-dedans, l’islam c’est de la merde.» Ce dernier passage, tronqué, sera abondamment relayé par les réseaux, suscitant des dizaines de milliers d’insultes et de menaces de mort à l’encontre de l’adolescente. Au-delà de ceux qui se sentent visés par son attaque contre la religion, la virulence de ses propos en a choqué plus d’un.

«Elle n’a pas à être dans l’analyse saine, elle est dans l’expression d’une opinion. Maintenant, il faut que tout ce qu’on dit soit sain et pertinent? réagit à notre micro Fatiha Boudjahlat. Elle a exprimé ce qu’elle pensait. Donc les petits c*** qui écrivent sur Zineb, comme quoi il faut la buter, les petits c*** qui sont fans de Booba, tous les autres qui critiquent Israël à longueur de temps, on leur demande à eux d’être dans la critique saine? […]
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Il n’y a qu’avec l’islam que ça donne un scandale en France. Je réclame que l’islam soit traité comme les autres religions, et comme une religion comme une autre. Elle n’était pas dans la critique saine, elle dit qu’elle n’aime pas l’islam et elle a le droit. C’est une musulmane qui vous le dit, elle a le droit.»

Enseignante en histoire-géographie à Toulouse, cette militante laïque et féministe a publié l’essai Combattre le voilement (Éd. du Cerf). Elle a reçu en 2019 le prix spécial de la laïcité. Elle juge que cette affaire est extrêmement grave quant à son traitement politique:

«Ça révèle qu’en France, les politiques ont atteint un niveau de médiocrité intellectuelle. Ce ne sont pas des godillots, ce sont des semelles de godillots.»

Politiques et l'affaire Mila

En effet, alors que la presse, hormis Marianne, Valeurs actuelles et Charlie Hebdo, a tardé à se saisir de l’affaire, personnalités publiques et politiques ont été invités à réagir à cette polémique, qui a fini par prendre une ampleur nationale. Interrogé le 23 janvier sur Sud Radio, Abdallah Zekri, délégué général du Conseil français du culte musulman (CFCM), a fustigé Mila et explique la campagne de haine qui s’est abattue sur elle en déclarant que «qui sème le vent récolte la tempête», terminant par «elle l’a cherché, elle assume».

​Rappelant les caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo, le médiatique historien des religions, Odon Vallet, a anticipé de nouvelles violences contre la France: «si on continue à injurier l’islam, on aura prochainement des attentats contre des Français en France ou dans des pays d’Afrique». Pour Fatiha Boudjahlat, l’affaire Mila et les déclarations polémiques qui ont suivi sont révélatrices:

«Je pense que c’est un jalon essentiel pour l’affaissement de la République. Les islamistes ont vu qu’ils n’avaient rien à faire grâce à la lâcheté, à la complicité et à l’obséquiosité des politiques et des journalistes. C’est une rupture de paradigme aussi grave que l’attentat de Charlie Hebdo. Rien à voir évidemment en termes de coût humain, mais dans ce que ça a révélé des politiques et de ce qu’ils étaient prêts à accepter.»

Un droit au blasphème?

Il faudra toutefois attendre la sortie de Nicole Belloubet, le 29 janvier sur Europe 1 pour que l’ensemble de la classe politique réagisse. La Garde des Sceaux a déclaré à propos de l’affaire Mila qu’une «insulte à la religion, c’est évidemment une atteinte à la liberté de conscience, c’est grave», avant de rétropédaler devant le tollé quelques heures plus tard.

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«Sa formule impardonnable, inqualifiable, dont je ne me remets pas, a réintroduit en gros le délit de blasphème. Le lendemain, elle a dit que c’était une maladresse d’expression. C’est une faute morale, c’est une faute politique, une erreur de droit d’étudiant de première année», fustige la militante laïque et féministe.

Quelques heures après cette intervention, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a contredit sa collègue, en déclarant qu’il «n’existe pas, dans ce pays [...] il n’existera jamais sous l’autorité de ce gouvernement, de délit de blasphème». Il a ainsi réaffirmé le droit de la jeune fille, de par la liberté d’expression, de «pouvoir critiquer une religion».

​Toutefois, Fatiha Boudjahlat juge sévèrement la prégnance de la religion dans le débat public et le recul de l’un des fondements de la République, la laïcité:

«Le climat est en train de devenir religieux. Avant, il ne l’était pas. On est toujours en train de nous dire “Mon Dieu, on n’arrête pas de stigmatiser l’islam et les musulmans”», relève la militante, avant de poursuivre:
«Les musulmans sont considérés comme un peuple à part parce qu’on ne peut pas les vexer, ils sont trop fragiles. On est dans la dictature du “pas offenser”. Moi, j’offense et je réclame le droit d’offenser. Le climat en France doit être à la discussion, il ne doit pas être religieux. Nous sommes dans un État laïque.»

L’un des enjeux soulevés par l’affaire Mila est en effet le droit de critiquer les religions, de blasphémer.

​La Lycéenne elle-même a affirmé à la télévision n’avoir jamais «voulu viser des êtres humains», seulement avoir «voulu blasphémer».

«Ce n’est pas un droit au blasphème. Le blasphème appartient au religieux. On leur laisse les termes religieux. Je refuse de m’inscrire dans leur propre discours», précise Fatiha Boudjahlat.

Le rôle de la Justice

De plus, une procédure avait été ouverte par le Parquet de Vienne contre la jeune fille pour «provocation à la haine à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une race ou une religion déterminée», mais finalement, la plainte a été classée sans suite. Une autre enquête a été ouverte pour «menaces de mort, menaces de commettre un crime et harcèlement». La militante laïque et féministe revient sur ces deux procédures:

«Ce parquet stupide qui a ouvert une enquête pour menace de mort et qui à la fois, s’est autosaisi d’une enquête pour incitation à la haine raciale. On arrive au point en France, où l’égalité c’est, sept minutes pour les nazis, sept minutes pour les Juifs. Elle a exprimé une opinion, elle l’a fait sur un réseau social. C’est devenu une affaire d’État juste parce que c’est l’islam. Ce n’est pas acceptable.»

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Cette affaire Mila aurait pour seul point positif, selon Fatiha Boudjahlat, de démontrer que l’intersectionnalité, la convergence des luttes entre «minorités opprimées», concept de plus en plus utilisé à gauche de l’échiquier politique, n’est pas pertinente. 

«La seule chose intéressante, c’est que ça montre que l’intersectionnalité est un cul-de-sac et une impasse.»
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