Le coronavirus précipite-t-il la fin de la suprématie occidentale?

© REUTERS / Saul LoebUS-Präsident Donald Trump und Präsident der Volksrepublik China Xi Jinping
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Le coronavirus peut-il redéfinir l’ordre mondial? Construit sur les cendres de la Seconde Guerre mondiale, le système international influencé par le modèle américain a-t-il vécu? Philippe Moreau-Defarges, diplomate et spécialiste des relations internationales, décrypte pour Sputnik les nouveaux rapports de force qui se dessinent.

«Il existe des preuves immenses que c’est de là que c’est parti», a déclaré Mike Pompeo, le 3 mai. Interrogé par la chaîne ABC, le secrétaire d’État américain n’a pas mâché ses mots pour pointer du doigt la responsabilité de l’Institut de virologie de Wuhan dans la diffusion du coronavirus. Donald Trump a pratiqué un amalgame similaire, menaçant la Chine de «taxes douanières punitives».

La diplomatie chinoise n’est pas en reste, car depuis le mois de février, celle-ci n’a de cesse de répondre aux accusations visant son pays et de contre-attaquer. Dernier exemple en date, le compte Twitter de l’ambassade chinoise à Paris n’épargne pas Washington, sur un mode sarcastique:

«Il était un virus»

L’un des axes du réquisitoire américain contre Pékin est de dénoncer l’entrisme chinois au sein de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Donald Trump propose de remédier à cette situation en suspendant les financements américains à cette agence onusienne. Cette influence supposée de la Chine sur l’OMS est-elle le symbole d’une redéfinition de l’ordre international qui prévaut depuis 1945? Nés après la Seconde Guerre mondiale, l’Onu et son Conseil de sécurité (CS) sont-ils encore adaptés aux réalités du XXIe siècle? Entre l’isolationnisme relatif américain, la montée en puissance de la Chine et une Europe plus que jamais affaiblie, la fin de la suprématie occidentale est-elle actée?

2020, le bouleversement de l’hégémonie occidentale?

Pour Philippe Moreau-Defarges, ancien diplomate et spécialiste des relations internationales, auteur du livre Une histoire mondiale de la paix (Éd. Odile Jacob), la réponse est sans équivoque:

«Oui, incontestablement, c’est un choc très dur pour la suprématie occidentale.»

Pour l’essayiste, les États-Unis ont choisi de pratiquer «une politique de renfermement et de repli» qui laisse le champ libre à d’autres puissances, notamment asiatiques, leur permettant de prendre un jour le relais. L’ancien diplomate évoque également le modèle libre-échangiste occidental sur des secteurs précis tels que le tourisme, l’automobile, l’aéronautique, qui «ont besoin de la mondialisation». Ainsi le Covid-19, catastrophe sanitaire et économique, serait-il un révélateur de la «transformation profonde du système économique et géopolitique mondial». La chute de l’URSS en 1991 avait propulsé Washington en tant qu’«hyperpuissance», selon le mot célèbre d’Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac. 2020 sera-t-elle une année comparable en termes d’impact sur les équilibres mondiaux?

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Déjà interrogé le 6 février par Sputnik, Philippe Moreau-Defarges développait une analyse sur la rivalité sino-américaine et comment le «Piège de Thucydide» était inévitable:

«On a un bras de fer entre la Chine –qui émerge et qui commence à faire peur– et des États-Unis, qui ont peur de perdre leur premier rang», expliquait-il alors.

Une chose est sûre pour l’ancien diplomate, l’élection de novembre 2020 –qui mettra probablement face-à-face Donald Trump et Joe Biden, deux septuagénaires –ne changera fondamentalement pas la donne. Est-il pourtant possible qu’un éventuel avènement du candidat Démocrate participe au rapprochement entre Européens et Américains et à l’établissement de nouvelles relations avec Pékin et Téhéran?

«Les non-Occidentaux se sont approprié ce modèle»

Selon le spécialiste des relations internationales, une telle hypothèse ne jouerait de toute façon qu’à la marge: il s’agit selon lui d’une mutation beaucoup plus profonde et structurelle, en raison de la mondialisation du modèle occidental:

«Les non-Occidentaux se sont approprié ce modèle occidental, non pas pour l’imiter passivement ni pour s’y soumettre, mais au contraire pour se l’approprier et le mettre à leur service. Regardez la Chine, qui reste communiste et qui est en même temps capitaliste.»

Si de nombreux spécialistes partagent ce constat sur le déclin de la suprématie occidentale, faut-il pour autant voir dès à présent s’affirmer une nouvelle hégémonie chinoise? Pas si sûr, selon Philippe Moreau-Defarges. Il ne se montre pas tendre avec le modèle chinois «par rapport à la démocratie», mais surtout en raison de ses enjeux de «pays encore pauvre, avec des masses mal intégrées et des problèmes de pays riches, avec le vieillissement de sa population». Selon les données de la Banque mondiale, le PIB chinois par habitant (en dollars américains courants) se situait en 2018 à 9.770 dollars. À titre de comparaison, le même chiffre pour la France est de 41.463 dollars. Second facteur, Pékin va se heurter non seulement aux résistances américaines et européennes, mais également à celles des autres pays asiatiques: «le Vietnam ou l’Inde ne sont pas du tout prêts à accepter une hégémonie de la Chine».

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Si cette suprématie occidentale est bel et bien remise en cause, quel avenir peut-on dresser pour la communauté internationale et le multilatéralisme?

«Ces institutions sont un enjeu géopolitique entre les colosses»

Très attaché à ces questions, l’ancien diplomate souligne la grande contradiction existentielle des institutions internationales, un système qui suppose des États souverains «acceptant de se soumettre à des règles et à des institutions supérieures», évoquant même la possibilité d’un «fédéralisme mondial ou d’une gouvernance mondiale».

Une perspective que les pays les plus puissants comme les États-Unis ne souhaitent pas, réfutant toute délégation de souveraineté. Jusqu’en 1991, l’ordre international était régi par l’équilibre de la terreur entre les deux blocs et non par l’Onu. Dans les années 1990, l’Américain Francis Fukuyama imaginait un peu vite «La Fin de l’histoire», avec l’avènement planétaire du libéralisme. D’autres rêvaient aussi de la possibilité de voir émerger enfin la puissance onusienne. Son bilan depuis près de trente ans laisse pourtant à désirer, entre impuissance chronique à régler des conflits et blocages engendrés par les vétos répétitifs au CS.

«Ces institutions sont un enjeu géopolitique entre les colosses», nuance cependant Philippe Moreau-Defarges, qui imagine deux scénarios. Soit les grandes puissances détruisent ces institutions pour leur intérêt propre, soit ces colosses acceptent la logique de ces institutions: «on peut imaginer que la Chine et les États-Unis s’entendent, dialoguent pour essayer de bâtir ensemble le monde du futur». Mais qu’en est-il du Conseil de sécurité, où siègent cinq membres permanents?

«Oui, le Conseil de sécurité a aujourd’hui une utilité. Toutes les structures où les gens se parlent, discutent, ont une utilité. Le problème, c’est sa légitimité […] Ce système a été fixé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, nous sommes maintenant dans les années 2020, il faut s’interroger sur ce système. La difficulté, c’est que ça se bouscule au portillon: l’Inde, le Mexique, le Brésil [voudraient leur siège permanent au CS, ndlr].»

Ainsi dans un Conseil de sécurité actualisé en fonction des rapports de force en 2020, il est probable que les États européens sur le déclin comme la France et la Grande-Bretagne perdraient leur siège permanent. Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres, estime Philippe Moreau-Defarges:

«Pour que cette transformation du Conseil de sécurité soit possible, il faut deux conditions qui ne sont pas réunies. Il faut que les États-Unis, la Russie et la Chine s’entendent pour mettre de côté les deux vieilles puissances européennes […] Deuxième condition, c’est que les pays du Sud, tous ceux qui aspirent à être au Conseil de sécurité, se mettent d’accord.»

Une telle hypothèse reste évidemment hautement improbable, étant donné la complexité d’un tel changement, qui nécessiterait l’abstention, voire l’aval des cinq membres permanents. Car la troisième condition à ce bouleversement n’est pas non plus à l’ordre du jour: que Paris et Londres avalisent une telle proposition.

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