«Les policiers sont du gibier pour la racaille» pendant que «Marlène Schiappa fait de l’enfantillage», selon Raufer

© SputnikRassemblement de policiers devant le commissariat de Champigny-sur-Marne, 12 octobre 2020
Rassemblement de policiers devant le commissariat de Champigny-sur-Marne, 12 octobre 2020 - Sputnik Afrique
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Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, a annoncé les axes de la nouvelle stratégie de prévention de la délinquance. Parmi eux, le «travail alternatif payé la journée» pour les jeunes impliqués dans le trafic de drogue. Une bonne idée? Pas pour le criminologue Xavier Raufer, qui s’est confié à Sputnik.

«La question de la lutte contre les trafics de drogue, c’est la priorité numéro un du ministère de l’Intérieur.» Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté, a donné une interview exclusive au Figaro, dévoilant les grandes lignes de son nouveau plan de lutte contre la délinquance. Elle y a largement évoqué le trafic de drogue qui gangrène de nombreux quartiers sensibles. Les autorités souhaitent notamment trouver des moyens d’empêcher les plus jeunes de choisir la voie de la délinquance.

«En complément de la lutte contre les réseaux, il s’agit de proposer un contre-modèle aux plus jeunes qui, dans les cités, font le “chouf” et commettent des petits délits pour gagner de l’argent et espérer avoir un rôle dans la société. Je veux montrer qu’il est possible de leur trouver une place dans la société qui passe par un autre chemin, par une voie qui respecte les valeurs de la République», a expliqué au Figaro Marlène Schiappa.

«Marlène Schiappa fait de l’enfantillage. Cela me fait penser aux anciennes bandes dessinées pour enfants, “Martine”. Cette fois ce n’est pas “Martine va à la plage”, mais “Marlène va en Seine–Saint-Denis”», lui rétorque ironiquement le criminologue Xavier Raufer, au micro de Sputnik.

«Manifestement, cette dame ne connaît pas grand-chose aux affaires dont elle parle dans cette interview. Marlène Schiappa est compétente sur un certain nombre de sujets, dont le féminisme, mais concernant la délinquance et le trafic de drogue, on a l’impression qu’elle récite des fiches toutes faites agrémentées de phrases convenues», ajoute celui qui est l’auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages sur la criminalité.

«Cette dame ne connaît pas grand-chose aux affaires dont elle parle»

L’une des idées de la ministre est de développer le travail alternatif payé à la journée ou Tapaj. D’après le site Tapaj France, il s’agit d’un dispositif d’insertion spécifique destiné à des jeunes en difficulté, qui leur permet de mener à bien des activités professionnelles, réalisables sans qualification ou expérience professionnelle particulière. Elles ne nécessitent pas d’engagement sur la durée.

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«Donc cela leur donne le goût du travail, le goût de l’effort. De premières expérimentations menées à bas bruit marchent très bien. Nous voulons les étendre à 60 nouveaux quartiers d’ici à 2022», annonce la ministre.

Marlène Schiappa se défend de toute volonté «d’acheter la paix sociale». «Nous allons proposer des travaux très concrets, non qualifiés et sans engagement, indemnisés au jour le jour, avec un accompagnement social. Cela peut être des travaux d’urbanisme, de ramassage ou de nettoyage.»

Pour Xavier Raufer, la priorité est clairement ailleurs: la criminologue assure que le gouvernement a devant lui moins de 20 mois pour régler plusieurs problèmes liés à la délinquance avant l’élection présidentielle.

«Et il évite toujours le sujet principal: celui des zones de non-droit présentes sur le territoire français. Des territoires dans lesquels la police ne se rend pratiquement plus et où la drogue se vend par centaines de kilos, où les commissariats sont attaqués et les femmes agressées», poursuit-il.

Le criminologue prend en exemple la récente attaque du commissariat de Champigny-sur-Marne en banlieue parisienne. Dans la soirée du 10 octobre, une quarantaine d’individus s’en sont pris au bâtiment, notamment à coups de mortiers d’artifice.

​Un drame que Marlène Schiappa a qualifié d’«attaque ignoble et inexcusable, qui devra être condamnée avec la plus grande fermeté». Pour Xavier Raufer, cet acte a été motivé par la proximité du commissariat avec des zones de trafic.

«Tant qu’on n’aura pas réglé le problème des territoires hors de contrôle, il ne sert à rien de s’attaquer à ses conséquences. Cela revient à mettre des rustines sur une chambre à air crevée. Pour faire ce que Marlène Schiappa souhaite, la police devrait pouvoir se rendre où elle veut sur une base quotidienne. Ce n’est pas le cas, à Champigny-sur-Marne comme ailleurs. Dans ces quartiers, les policiers sont du gibier pour la racaille», alerte-t-il.

L’idée de Marlène Schiappa de développer le Tapaj serait d’autant plus inefficace, selon le criminologue, que les jeunes sont selon lui sous emprise de leurs aînés et qu’accepter de telles missions serait même dangereux pour un certain nombre d’entre eux:

«Dans les cités sensibles, les gamins sont sous le contrôle des caïds, de gens armés avec des Kalachnikov dont ils n’hésitent pas à se servir. Vous voyez sérieusement un large nombre de jeunes accepter de bosser pour quelques dizaines d’euros et ensuite rentrer dans la cité? Beaucoup se feront casser la figure sur le champ.»

Les montants colossaux que génère le trafic de drogue sont un autre frein au projet de Marlène Schiappa, souligne Xavier Raufer. La ministre ne donne pas de détails concernant les niveaux de rémunérations du Tapaj. D’après elle, le but est «de compenser ce que les “petits frères” pourraient gagner en faisant quelques heures de “chouf” pour le compte des dealers», explique-t-elle au Figaro.

Le Tapaj peut-il se montrer attractif?

Que dit le site de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives à propos du Tapaj? : «L’originalité de ce dispositif réside dans une proposition d’entrée progressive, mais immédiate dans le monde du travail commençant par une journée par semaine, sur un emploi réel, mais non qualifié, payé à la fin de chaque journée (salaire horaire: 10 euros). Les temps de travail sont ensuite progressivement augmentés tout en permettant une mise à plat de la situation administrative du jeune.»

De quoi faire dévier les jeunes guetteurs ou vendeurs de leur chemin criminel? Il y a débat sur les sommes réelles que rapporte le trafic de drogue aux différents éléments qui y participent. Début 2015, BFMTV diffusait un reportage affirmant que les guetteurs gagnaient en moyenne 2.400 euros par mois, une somme bien supérieure au salaire médian français dans le secteur privé, qui s’élevait à 1.789 euros nets en 2016 selon l’INSEE. C’est encore bien plus pour les vendeurs, avec 6.000 euros et la somme monte à 9.000 euros pour les gérants, à en croire la chaîne d’information en continu.

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La même année, Libération donnait des chiffres très différents après avoir couvert le procès d’un réseau de trafic de drogue qui opérait dans la cité de la Castellane à Marseille. «Rapportant les éléments du procès, la journaliste Stéphanie Harounyan comptait: entre 50 et 80 euros par jour pour un guetteur, entre 100 et 140 euros par vacation pour un vendeur et de 4.000 euros mensuels à “beaucoup (beaucoup) plus” pour un gérant. Selon la présidente du tribunal, un des gérants aurait gagné 33.000 euros en trois mois», relate le quotidien classé à gauche. Si l’on se penche sur le cas des guetteurs, des postes souvent occupés par les plus jeunes, les chiffres avancés par Libération sont très inférieurs à ceux évoqués par BFMTV et se rapprochent davantage de ceux du SMIC. De quoi néanmoins faire vivre une famille dans ces quartiers.

«Cela fait longtemps que les trafiquants des cités ne vendent plus que du cannabis et proposent également de la cocaïne, de l’héroïne et toutes sortes de drogues», assure Xavier Raufer, qui prend l’exemple de la saisie en février dernier de trois tonnes de cocaïne à destination de Marseille. «Maintenant que représentent trois tonnes de cocaïne comme somme d’argent?», lance de manière rhétorique celui qui est également professeur de criminologie et docteur en géographie/géopolitique.

«Cette cargaison payée aux trafiquants sud-américains va être divisée et distribuée pour revente à son arrivée en France dans diverses cités hors contrôle. L’opération représente 70 à 100 millions d’euros. Vous comprenez que les 10 euros de l’heure du Tapaj font office de farce à côté d’un tel trafic», poursuit Xavier Raufer, qui rappelle que «pour chaque saisie, de nombreuses cargaisons de drogue passent entre les mailles du filet.»

La stratégie de Marlène Schiappa se base sur le principe du «tu casses, tu répares», comme elle l’a confié au Figaro. Elle assure que «cela peut aussi avoir un impact positif dans la cité. En effet, si un jeune a remis quelque chose en état et qu’il en assume la responsabilité, ses copains auront peut-être tendance à ne pas saccager son travail.»

«La théorie de la vitre brisée»

De quoi rappeler la stratégie de Rudolph Giuliani? L’ancien maire de New York, tombeur de la mafia et connu pour avoir fait drastiquement baisser la délinquance de la mégalopole dans les années 90, avait suivi «la théorie de la vitre brisée», idée développée par les criminologues James Q. Wilson et George Kelling. «Si la vitre brisée d’un immeuble n’est pas réparée, toutes les autres fenêtres seront bientôt cassées. […] Une fenêtre non réparée envoie le signal que personne n’a rien à faire de la situation et que casser plus de fenêtres ne coûte rien», considéraient les deux spécialistes qui ont servi d’inspiration à Rudolph Giuliani.

​Pour Xavier Raufer, le projet évoqué par Marlène Schiappa est bien loin de la tolérance zéro appliquée par l’ancien maire de la Grande Pomme: «Cela n’a rien à voir. Rudolph Giuliani partait du principe qu’il fallait agir dès que s’installaient les signes du désordre social. Un gamin qui casse un carreau dans une usine abandonnée sera immédiatement suivi par d’autres. Même chose pour les tags ou les petites incivilités qui encouragent la délinquance quand on les laisse faire.»

«Marlène Schiappa nous dit: “Qui casse répare.” Mais comment voulez-vous que cela soit le cas quand vous savez que la police doit mobiliser d’énormes ressources en hommes et matériel pour mener la moindre expédition coup-de-poing dans les zones de non-droit?» conclut Xavier Raufer.
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