Guerre au Haut-Karabakh: «Nous sommes peut-être à l’aube d’une Troisième Guerre mondiale»

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Stepanakert, capitale de la république autoproclamée du Haut-Karabakh, après une frappe d'artillerie - Sputnik Afrique
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Alors que la guerre entre les forces arméniennes du Haut-Karabakh et l’Azerbaïdjan se poursuit, les appels au cessez-le-feu des grandes puissances sont plus que jamais inaudibles. Rémy Makinadjian, chef d'entreprise à la tête du Comité George V et membre influent de la communauté arménienne en France, craint une internationalisation du conflit.

Malgré le cessez-le-feu négocié à Moscou le 10 octobre entre les forces arméniennes du Haut-Karabakh et l’armée azérie, les combats font toujours rage pour le contrôle de cette région peuplée à majorité d’Arméniens, qui a fait sécession de l’Azerbaïdjan.

​Les deux parties se rendent mutuellement responsables du conflit et les affrontements ont déjà fait au moins 600 morts, selon des bilans partiels, qui pourraient s’avérer très en dessous de la réalité. Ilham Aliev, Président de l’Azerbaïdjan et soutenu par la Turquie de Recep Tayyip Erdogan et Arayik Haroutiounian, à la tête du Haut-Karabakh, se rendent coup pour coup à travers des combats acharnés.

Rémy Makinadjian, chef d'entreprise à la tête du Comité George V et membre influent de la communauté arménienne en France, craint que le conflit ne dégénère au niveau international, dans ce qu’il qualifie de «poudrière» du Caucase. Entretien.

Sputnik France: En tant qu’Arménien d’origine, j’imagine que ce conflit vous touche particulièrement…

Rémy Makinadjian: «Le mot est faible. Je suis traumatisé. Je n’en dors plus. J’ai de la famille à Erevan et à Stepanakert. Nous avons un attachement profond à nos terres. Le Haut-Karabakh n’a jamais été autre chose qu’arménien, même s’il a été rattaché à l’Azerbaïdjan par Staline, en violation des traités internationaux.»

Sputnik France: Comment expliquez-vous que ce conflit, larvé depuis plus de 20 ans, ait repris avec tant de force?

Rémy Makinadjian: «Ilham Aliev est en difficulté et est politiquement très affaibli, comme l’est d’ailleurs Erdogan. L’opposition gagne du terrain dans les deux pays. Ils font donc de la surenchère nationaliste dans le but d’annoncer une victoire à leurs peuples.»

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Sputnik France: Êtes-vous en contact avec le pouvoir arménien?

Rémy Makinadjian: «Je communique régulièrement avec Masis Mayilyan, ministre des Affaires étrangères de la République du Haut-Karabakh, ainsi qu’avec la porte-parole de Nikol Pachinian, Premier ministre arménien. Les échos qui me viennent d’Arménie font état d’une mobilisation hors-norme. De très nombreux hommes en âge de se battre ont rejoint le combat pour défendre la mère patrie. D’ailleurs, ils viennent du monde entier, de toute la diaspora arménienne. Si je n’avais pas la responsabilité de m’occuper de mes jeunes enfants, je serais allé me battre, j’aurais sauté dans le premier avion.»

Sputnik France: Quelle est votre position par rapport à ce conflit?

Rémy Makinadjian: «Le traité de Sèvres, conclu le 10 août 1920 à la suite de la Première Guerre mondiale reconnaissait l’indépendance d’une grande Arménie. Il n’a jamais été appliqué. Cela le rend-il caduc pour autant? Je ne pense pas. Évidemment, cela ferait bouger les frontières.»

Sputnik France: Comment jugez-vous la récente déclaration de Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, qui dit que la France devait rester neutre dans ce conflit?

Rémy Makinadjian: «Je la trouve très étonnante. Emmanuel Macron avait fait preuve d’un grand courage en dénonçant la participation de combattants djihadistes venus de Syrie en transitant par la Turquie, une prise de position rare en Occident depuis le début du conflit. La France est l’ami de l’Arménie. La décision de reconnaître le génocide arménien en 2001 le montre. Cela rend d’autant plus décevante la déclaration de Jean-Yves Le Drian. Pourtant, la France a une occasion historique de reconnaître l’indépendance du Haut-Karabakh, ce qui pourrait insuffler une dynamique suivie par d’autres États.»

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Sputnik France: Vous dites d’Emmanuel Macron qu'il a fait preuve de courage…

Rémy Makinadjian: «Oui, il faut dire qu’Erdogan finance des djihadistes venus de Syrie pour se battre aux côtés des forces azéries, au contraire des Arméniens, qui ne font pas appel à des mercenaires étrangers.»

Sputnik France: Comment expliquez-vous la volonté de la Turquie de soutenir l’Azerbaïdjan?

Rémy Makinadjian: «La Turquie est particulièrement affaiblie aujourd’hui, que ce soit au niveau politique ou économique. Sans parler des relations internationales, où elle se trouve de plus en plus isolée. Erdogan, comme Aliev, cherche à redorer leurs blasons. Erdogan rêve de recréer l’Empire ottoman. Il n’en pas les moyens et de par sa folie des grandeurs il est en train de mettre la Turquie en péril. Il joue le tout pour le tout. Je pense que le moment choisi pour attaquer le Haut-Karabakh est tout sauf anodin. Nous sommes en pleine crise du Covid-19. Les nations tentent de résoudre leurs problèmes internes et sont focalisées sur le sort de leurs populations. Erdogan et Aliev ont saisi une opportunité.» 

Sputnik France: La communauté internationale semble hésitante par rapport aux agissements de la Turquie. Comment l’expliquez-vous?

Rémy Makinadjian: «Je trouve très choquant le manque de réaction par rapport aux actes d’Erdogan. Jusqu’à quand va-t-on le laisser faire? Encore une fois, il est aussi très isolé. Il est en confrontation avec la Grèce, membre de l’Otan, il est en délicatesse avec plusieurs pays européens, dont la France. Il joue un double jeu avec les États-Unis et la Russie. Ceci ne peut pas bien finir.»

Sputnik France: Les Américains sont plutôt silencieux sur ce conflit…

Rémy Makinadjian: «Je pense qu’ils ne veulent pas se fâcher avec les Turcs. Ils représentent pour eux un levier de pression sur la Russie.»

Sputnik France: Comment analysez-vous la position de Moscou?

Rémy Makinadjian: «Les Russes craignent par-dessus tout une déstabilisation de cette région, notamment avec l’arrivée de mercenaires djihadistes financés par la Turquie. Je pense sincèrement que Poutine ne laissera pas faire. La nation russe est chrétienne et historiquement plus proche de l’Arménie que de l’Azerbaïdjan.

Reste que les intérêts géopolitiques invitent Moscou à la prudence, ne serait-ce que pour des questions énergétiques liées au pétrole et au gaz. Ce qui, comme souvent, est un point important pour comprendre les enjeux du conflit. Les forces du Haut-Karabakh ont d’ailleurs récemment attaqué un pipeline azéri.»

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Sputnik France: Les Turcs ont appelé à des pourparlers à quatre avec les représentants arméniens, azéris et russes. Qu’en pensez-vous?

Rémy Makinadjian: «Je m’interroge sur le poids qu’auraient de telles négociations si elles venaient à avoir lieu, ce dont je doute fort. Le groupe de Minsk composé des États-Unis, de la France et de la Russie a un mandat pour jouer le rôle d’arbitre dans cette région. Erdogan ne peut pas imposer sa volonté. Je ne vois pas la France et les États-Unis se laisser mettre hors-jeu.»

Sputnik France: Que va-t-il se passer maintenant?

Rémy Makinadjian: «Les combattants arméniens du Haut-Karabakh ne lâcheront rien. Le camp d’en face peut exploser nos maisons et nos écoles, mais nous défendrons nos femmes, nos enfants et nos aînés. Ceux qui se battent ont l’extrême conviction d’être sur leurs terres. Rien ni personne ne les fera partir du front.

Je pense que l’attitude de la communauté internationale vis-à-vis de la Turquie va être déterminante. L’Azerbaïdjan seul n’a pas les moyens de mener cette guerre. La position délicate d’Aliev dans son pays peut également jouer. Il va lui être de plus en plus difficile de justifier ce conflit et les pertes humaines qu’il entraîne. De plus, la position diplomatique de Bakou vis-à-vis de l’opinion publique va être de moins en moins tenable. Reste également l’hypothèse d’une intervention de Moscou.»

Sputnik France: Craignez-vous que le conflit s’internationalise?

Rémy Makinadjian: «La zone du Caucase, magnifique, est aussi une poudrière géopolitique. Je crains que nous assistions à un événement qui pourrait déboucher sur un conflit international. Nous sommes peut-être à l’aube d’une Troisième Guerre mondiale.»

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