Enseignant décapité: «Vous pensez que l’Arabie saoudite ou l’Algérie accepteraient cela?», dénonce Jean-Paul Brighelli

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Action d'hommage à Samuel Paty, professeur décapité à Conflans, à Paris, le 18 octobre - Sputnik Afrique
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L’exécutif a annoncé vouloir mener «une guerre contre les ennemis de la République» après la décapitation d’un enseignant par un islamiste radical à Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines. Pour Jean-Paul Brighelli, enseignant et essayiste, il y a urgence à agir face à ce qu’il considère comme une «guérilla islamiste».

«Les islamistes ne doivent pas pouvoir dormir tranquilles dans notre pays»: Emmanuel Macron avait un ton martial au moment de s’exprimer lors d’un Conseil de défense organisé le 18 octobre. Dès le lendemain, plusieurs opérations de police étaient lancées contre «des dizaines d’individus» proches de la mouvance islamiste, comme l’a expliqué le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin sur Europe 1.

​La sordide décapitation le 16 octobre de Samuel Paty, enseignant d'histoire-géographie au collège du Bois d'Aulne à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) tué par Abdoulakh A., jeune radicalisé de 18 ans réfugié en France depuis ses 6 ans, a provoqué une forte émotion dans le pays. D’après les premiers éléments de l’enquête, le professeur a été tué pour avoir montré à ses élèves des caricatures du prophète Mahomet publiées par Charlie Hebdo.

«Ce drame s’inscrit malheureusement dans la continuité de ce qu’il se passe depuis des années. Nous sommes confrontés à une guérilla islamiste qui pose ses jalons les uns après les autres. Tout cela a réellement débuté avec l’affaire Merah en 2012. Depuis, la guérilla s’étend et frappe ici et là. Je pense que nous avons affaire à un mouvement organisé et coordonné», explique au micro de Sputnik l’enseignant et essayiste Jean-Paul Brighelli.

Le geste de Samuel Paty lui a valu la colère de plusieurs parents d’élèves parmi lesquels Brahim Chnina, dont la fille n’était pourtant pas présente le jour où Samuel Paty a décidé de montrer les caricatures à ses élèves. C’est pourtant ce qu’il a déclaré sur les réseaux sociaux dans des messages et vidéos vindicatifs qui ont beaucoup circulé et dans lesquels il donnait l’identité et l’adresse de l’enseignant. De plus, d’après Le Point, Brahim Chnina se serait rendu devant l’école en compagnie d’un islamiste notoire. Il s’agissait d’Abdelhakim Sefrioui, «vieux routier de l’islam radical» et «fiché depuis au moins 15 ans», selon l’hebdomadaire.

«Les autorités tardent terriblement à prendre la mesure du phénomène»

De quoi étayer le discours qui veut qu’enseigner dans certains quartiers devient de plus en plus difficile, notamment par rapport à la question religieuse?

«Pas forcément dans certains quartiers. Je rappelle que Conflans-Sainte-Honorine est une localité assez bourgeoise, dans l’ensemble. Le collège en question est un établissement standard dans lequel ne se trouve pas de minorité agissante particulière. Nous ne sommes pas en Seine-Saint-Denis. Cela montre que partout en France, des enseignants sont susceptibles de s’autocensurer pour des motifs de plus en plus variés», répond Jean-Paul Brighelli.

Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui avaient notamment qualifié Samuel Paty de «voyou». «Ils ont manifestement lancé une fatwa contre le professeur», a lancé Gérald Darmanin sur Europe 1 le 19 octobre. Les deux hommes font partie des individus qui ont été placés en garde à vue depuis l’attentat.

​«Au départ, il ne fallait pas mentionner Darwin et la théorie de l’évolution, il ne fallait pas offenser le prophète ou tout simplement ne pas parler d’islam. Aujourd’hui, on en vient à censurer des auteurs comme Voltaire car il a écrit “Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète”. Maintenant, cela glisse vers l’éducation physique avec des demandes de séparer les vestiaires entre garçons circoncis et non-circoncis. Et je ne parle pas des piscines réservées aux filles, etc.», se désole Jean-Paul Brighelli.

Ce dernier, auteur de Voltaire ou le jihad: le suicide de la culture occidentale (L’Archipel, 2015), fait une comparaison avec le jeu de go, très populaire en Chine:

«Il s’agit de conquérir des territoires avec des cailloux noirs ou blancs, et petit à petit, la France voit se poser de plus en plus de cailloux noirs. Les autorités tardent terriblement à prendre la mesure du phénomène.»

Le Figaro rappelle que la principale de l’établissement dans lequel enseignait Samuel Paty «avait contacté les équipes “Valeurs de la République” (les référents laïcité de l'Éducation nationale) après l'incident, afin que soient étudiés les risques associés». L’hebdomadaire Le Point assure qu’un inspecteur avait été envoyé pour rappeler à Samuel Paty «les règles de laïcité et de neutralité». Le rectorat informe quant à lui d’un «échange» qui a eu lieu entre Brahim Chnina et l’enseignant dans le but «d'expliquer la démarche du professeur dans un souci d'apaisement».

«La principale a agi en respect des protocoles et les équipes “Valeurs de la République” n’ont pas de fonction répressive vis-à-vis des enseignants. Il s’agit plutôt d’étouffer dans l’œuf des revendications exagérées de certains parents», souligne Jean-Paul Brighelli.

L’essayiste rappelle que Brahim Chnina avait porté plainte contre Samuel Paty, qui avait à son tour porté plainte pour diffamation. D’après ses informations, la principale de l’établissement a plutôt soutenu son enseignant. «De plus, la presse a rapporté que le rectorat avait fait de même», souligne Jean-Paul Brighelli, auteur de nombreux ouvrages sur l’éducation. Avant de poursuivre:

«Mais il s’agissait d’un soutien dans le cadre de ce qui était prévisible. Il est évident que l’administration n’a pas réalisé que l’on allait basculer dans l’imprévisible. Les vidéos qui circulaient sur les réseaux sociaux, relayées par des mosquées pour appeler à protester contre Samuel Paty, ont fait office d’incitation au meurtre.»

Il s’inquiète du message envoyé par cet attentat et de la peur qu’il risque de distiller davantage au sein du corps enseignant: «Cette affaire est un signal de plus aux enseignants, qui sont en train de mourir de trouille: “Ne parlez pas de ceci ou de cela si vous ne voulez pas que cela vous arrive”. D’autant plus que ce n’est pas une profession qui a l’habitude de briller par son courage.»

«Ambiance surréaliste»

Jean-Paul Brighelli est notamment préoccupé que «des élèves soient dans le coup». Selon des informations du Monde, l’auteur de l’attentat aurait distribué de l’argent à des collégiens pour obtenir des informations sur Samuel Paty. Un élève de 15 ans a été placé en garde à vue le 18 octobre.

Devant le collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine. Photo d'illustration  - Sputnik Afrique
Lors d’un hommage à Samuel Paty, elle dénonce les «courbettes à la fraction réactionnaire de la mouvance catholique»

Des journalistes du Figaro qui se sont rendus dans la soirée du 16 octobre à Conflans-Sainte-Honorine ont décrit une «ambiance surréaliste entre condamnation molle et ambiance potache» du côté du collège du Bois d’Aulne. Le quotidien raconte avoir vu des élèves «faire les idiots» devant une caméra.

Une jeune fille se présentant comme élève de Samuel Paty assure au Figaro qu’«il avait une réputation de raciste». Son ami ajoute que «c’est une offense [contre Mahomet]» avant de tempérer que «mourir pour une caricature, c’est fou». «Il a insulté notre prophète, on en parlait en cour de récréation», lance un autre. Une jeune fille ira même jusqu’à montrer aux journalistes «sans grande émotion» la tête coupée de son professeur, visible sur une photo publiée sur Twitter.

«On n’a pas pris la mesure des choses. En 2015, lorsqu’il avait fallu faire une minute de silence après la tuerie de Charlie Hebdo, beaucoup d’élèves avaient refusé. Najat Vallaud-Belkacem, qui était ministre de l’Éducation nationale à l’époque, n’avait pas levé les sourcils. La même année, un professeur de Mulhouse avait été suspendu pour avoir montré les caricatures de Mahomet faites par Charlie Hebdo à ses élèves», s’alarme Jean-Paul Brighelli.

Ce dernier assure qu’«on part de très loin». Pour l’enseignant, Jean-Michel Blanquer a beaucoup de travail devant lui mais «il ne pourra le faire seul»: «Il faut que le ministère de l’Intérieur y mette du sien, de même que celui de la Justice. Il faut arrêter le laxisme. Il y a des milliers d’individus étrangers radicalisés en France, qu’il faut expulser sur le champ. Vous pensez que l’Arabie saoudite ou l’Algérie accepteraient cela? La France est la bonne poire de l’islamisme. Cette époque doit cesser. J’essaie de rester optimiste mais je le suis modérément. Je connais la lâcheté des élites». Jean-Paul Brighelli en appelle également à la communauté musulmane:

«Je ne mets pas tous les musulmans dans le même sac mais j’aimerais que tous ceux qu’une telle attaque indigne aient le courage de le crier haut et fort.»
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