LA NOUVELLE DOCTRINE MILITAIRE RUSSE POUR UN MONDE GLOBALISE

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Moscou, 2 octobre /par le commentateur militaire de RIA-Novosti Viktor Litovkine/

Moscou n'admet plus, même en théorie, la possibilité d'une guerre conventionnelle ou nucléaire contre l'OTAN. C'est la principale nouvelle qu'apporte l'étude de la doctrine militaire exposée par le ministre de la Défense Sergueï Ivanov le 2 octobre 2003.

L'armée russe s'est adaptée aux nouvelles réalités globales, a dit le ministre. C'est la raison pour laquelle certains fondements de la planification militaire ont été révisés. Notamment, la guerre nucléaire globale et une guerre à grande échelle avec recours aux armements conventionnels contre l'OTAN et tout autre coalition dirigée par les Etats-Unis ont été exclues du nombre des conflits les plus probables auxquelles l'armée russe pourrait participer. Ce qui a, à son tour, permis de réduire substantiellement le potentiel nucléaire et conventionnel de la Russie, sans porter préjudice à la sécurité du pays. Et, dans la préparation des troupes, le commandement militaire accorde davantage d'attention à des opérations telles que le maintien de la paix, réduction de la menace de guerre par la coopération, la lutte antiterroriste, la participation aux conflits locaux.

D'autres changements substantiels ont marqué les engagements militaro-politiques de la Russie envers ses alliés et partenaires. Ils s'appuient sur les fondements solides du droit international. Les opérations de guerre seront menées uniquement en conformité avec la Charte de l'ONU, et avec l'aval du Conseil de sécurité. Pour lancer ces opérations, une décision du président et de l'Assemblée fédérale sera requise. Ces décisions sont aussi définies par le Traité de sécurité collective des pays de la Communauté des Etats indépendants et par d'autres accords, notamment de sécurité, comme entre la Russie et la Biélorussie, ou comme entre les pays de l'Organisation de coopération de Shanghai.

Les liens de partenariat avec les forces armées américaines et de l'OTAN, a déclaré le ministre de la Défense Sergueï Ivanov, ont permis de mettre en place des structures et des institutions supplémentaires de stabilité globale. Ces rapports restent en vigueur, malgré de considérables dissensions sur les questions liées à l'élargissement de l'Alliance à l'Est et aux activités militaires de l'OTAN dans les zones de conflits. Mais la création du Conseil Russie-OTAN, a-t-il fait observer, a permis de concevoir un système de liens et de consultations en période de crise et d'élaborer les procédures de formation de contingents militaires dans les zones de conflits. A travers des groupes de travail, Moscou et Bruxelles mènent une coopération active dans l'utilisation en commun de l'espace aérien, de la logistique, dans la mise en place d'un ABM de théâtre. Un document cadre prévoyant le sauvetage des sous-marins en détresse a été signé en février 2003.

Aujourd'hui, non seulement nous participons à des exercices avec les pays de l'OTAN, mais aussi nous menons avec eux des opérations de paix conjointes, par exemple, au Kosovo, en Bosnie- Herzégovine. Une coopération technico-militaire avec certains Etats de l'Alliance devient réalité (la DCA grecque est assurée par les batteries de missiles antiaériens Osa-AKM et Tor-M1, des entreprises aéronautiques russes ont créé les avions d'entraînement MiG-AT et Yak-130 avec la France et l'Italie). Les parties conçoivent d'autres produits à vocation militaire, la standardisation des composantes et des ensembles est en cours ; les parties règlent les questions relatives à la compatibilité opérationnelle des unités russes et otaniennes, condition obligatoire du succès des mesures projetées en commun.

Mais Moscou voit que ces résultats sont encore incertains. Franchement, le ministre de la Défense a dit : "La Russie suit avec attention le processus de transformation de l'OTAN et compte que soient retirées, complètement ou partiellement, les dispositions à tendance antirusse, aussi bien de la planification militaire que des déclarations politiques des pays membres de l'Alliance". Et "si l'OTAN se maintient en sa qualité d'alliance militaire à doctrine offensive, cela impliquera une refonte de la planification militaire et des principes des forces armées de Russie, y compris un changement de la stratégie nucléaire russe".

Ces mêmes complexités marquent, souligne la nouvelle doctrine, les rapports avec les Etats-Unis, le partenaire stratégique de la Russie. D'une part, Moscou compte sur une extension de la coopération avec Washington dans les sphères politique, militaro-politique et économique. Son objectif consiste à poursuivre la coopération avec les Etats-Unis dans le domaine de la stabilité stratégique et du démantèlement de l'héritage de la "guerre froide", dans la stabilité régionale et la non-prolifération des armes de destruction massive, dans la lutte contre le terrorisme international. Mais d'autre part Moscou insiste pour que ces rapports soient édifiés sur la base du respect des normes du droit international et de la primauté des intérêts nationaux. Ceux de la Russie y compris.

La nouvelle doctrine militaire russe reflète la dualité de la situation militaro-politique globale. Le monde, en effet, aspire, d'une part, à un système plus équitable et démocratique des relations internationales. Mais d'autre part on assiste à l'extension des pratiques marquées par le recours à la force armée sur la base de décisions unilatérales et sans l'aval de l'ONU. Les clichés de la période de la confrontation idéologique existent toujours, compliquant considérablement la coopération des plus grands pays du monde. Et si, vu cette situation, la Russie possède toujours des armements modernes et efficaces, cela devient une des conditions de son intégration réussie et indolore dans le nouveau système des relations internationales.

La doctrine militaire russe fait ressortir plusieurs tendances caractérisant cette situation. La première, c'est la lutte contre les nouveaux défis stimulés par la globalisation : la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, le terrorisme international, l'instabilité ethnique, les activités des communautés religieuses extrémistes, le trafic de drogue et le crime organisé. Il est impossible de livrer une lutte dans le cadre de certains Etats, souligne Sergueï Ivanov, notre tâche consiste à créer des coalitions entre structures de force, y compris entre services spéciaux et forces armées.

La réalisation des opérations internationales en dehors des organisations militaro-politiques traditionnelles devient réalité. Cette pratique est objective aux yeux de Moscou et elle doit se développer. L'armée russe pourrait y prendre part mais à condition que soit respecté le droit international et que ces coalitions répondent à ses intérêts de politique extérieure.

Une autre tendance, poursuit la doctrine, est l' "économisation" des priorités diplomatiques des Etats. Cela veut dire que les intérêts économiques de tel ou tel Etat commencent à prendre le dessus sur des intérêts politiques ou militaro-politiques. Surtout quand ces intérêts coïncident avec ceux des firmes transnationales. Résultat, les prétextes pour recourir à la force deviennent plus pragmatiques et même cyniques, ils ne sont que légèrement masqués par la présence d'une menace militaire directe et par d'autres "arguments de poids". Pour la Russie, cela signifie qu'elle ne doit jamais oublier la nécessité de renforcer sa propre capacité défensive et sa sécurité.

La fusion du terrorisme intérieur et extérieur est un signe distinctif de notre époque. Cette tendance rend inutile la division des menaces en "domestiques" et "étrangères". Il faut combattre ce mal conjointement, souligne la doctrine, dans le cadre d'une internationale antiterroriste. Pour les forces armées russes, cela signifie une extension de leur sphère de responsabilité.

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